Le discours se voulait martial. Ainsi, le 16 mars dernier, le Président de la République a-t-il choisi d’utiliser le mot guerre à sept reprises, marquant le début d’un état d’exception autorisant la mise en œuvre de mesures d’exception. Il ne nous revient pas de remettre en cause cette décision du chef de l’État, bien que nous contestions le recours à une rhétorique inepte, un énoncé performatif aux conséquences lourdes. En contrepartie, il est de notre responsabilité, à tous et à toutes, d’envisager les conséquences de ce positionnement polémologique sur l’avenir de la Nation. Fin de la République début de l’Empire : le Covid-19 marque une nouvelle métamorphose dans le paysage politique français. « Une société de vigilance voilà ce qu’il nous revient de bâtir », affirmait le Président de la République en octobre dernier, société de vigilance qui pourrait se renforcer et nous amènerait irrémédiablement vers un régime de surveillance continue et permanente. L’éventualité d’une société de surveillance qui s’imposerait sans même que nous nous en rendions compte ne peut manquer d’inquiéter.
Quelles en seraient alors les limites ? Quel en serait le cadre normatif ? Quelles garanties dans un contexte de crise ? Et le jour d’après ? Quelle serait la situation ? Qu’aurons-nous perdu, qu’aurons-nous accepter sans mot dire et que serons-nous prêts à accepter à l’avenir ?
Dans ce contexte, l’intelligence artificielle s’impose plus que jamais. La technologie, désormais vue comme une thériaque contre tous nos maux viraux, s’immisce dans les moindres recoins de nos vies avec notre consentement passif, notre « nouvelle servitude volontaire » pour reprendre la formule de Philippe Vion-Dury.
Du contrôle par drones, aux applications permettant de détecter les personnes infectées, en passant par la géolocalisation, l’intensification du recours à l’Internet (messages, vidéos, images), la collecte de données au motif de lutter contre le coronavirus, ou encore les développements de la robotique d’assistance et les casques équipés de dispositifs pouvant prendre la température à distance, une nouvelle normalité semble s’installer lentement sans que nous la questionnions.
Le discours polémologique qui entoure désormais la crise sanitaire que nous traversons, est susceptible de faciliter la mise en place d’un régime dérogatoire qui pourrait à terme menacer notre société. Au nom d’un supposé état de guerre le recours à des moyens « exceptionnels » serait justifié sans justification. Une forme de gouvernementalité foucaldienne permettant, avec l’appui des moyens technologiques modernes, d’assurer un contrôle des corps et des esprits.
La société du contrôle n’est pas nouvelle. De la gouvernementalité de Michel Foucault à l’algocratie d’Olivier Ertzscheid, en passant par le Panoptique de Jeremy Bentham, la gouvernementalité algorithmique d’Antoinette Rouvroy et Thomas Berns, ou encore les sociétés de contrôle de Gilles Deleuze, le développement de moyens intrusifs facilitant l’exercice d’un biopouvoir qui permet de produire des « corps dociles », d’obtenir la discipline et l’obéissance de la population sans passer par la contrainte physique est devenu monnaie courante.
L’IA n’en serait qu’un outil de plus, auquel ne manquait qu’un contexte favorable que la crise sanitaire du Covid-19 lui sert sur un plateau. Il aura suffi d’un virus et d’un acte de langage présidentiel pour créer un écosystème favorable à l’accentuation du contrôle social.
D’aucuns affirmeront que la France n’est pas la Chine, et que les pratiques visant à violer les libertés fondamentales ne pourraient se développer dans l’Hexagone. Mais qui aurait pensé, il y a quelques semaines, voir ces scènes tout droit sorties de films de sciences fictions dans lesquels des drones survolent les villes en lançant des avertissements aux populations. Qui garantit que ces systèmes ne collectent pas de données et qu’ils ne le feront jamais ? Qui garantit qu’en cas de dégradation de la situation nous ne basculerons pas vers la reconnaissance faciale à l’instar de la Chine, et l’identification des malades par applications de téléphones intelligents interposées ? Qui garantit que ces données ne tomberont pas sous le régime d’exceptions prévues à l’article 9(2) du Règlement général sur la protection des données de l’Union européenne ?
Non seulement personne ne l’a garanti, mais pire, trop occupés que nous sommes à mener une guerre qui n’en est pas une, personne n’a même pensé à demander.
Sans sombrer dans une psychose inutile, il semble qu’il est temps de s’assurer que les dérives possibles ne se métamorphosent en dérives effectives pour que le Covid, ne soit à l’origine d’une nouvelle métamorphose à ajouter aux quelques deux-cent-cinquante du poème ovidien éponyme.
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