L’incompétence ou l’inconscience ? Un point sur la plainte contre Agnès Buzyn et Édouard Philippe déposée devant la Cour de justice de la République
par Fabrice DI VIZIO
Maître Fabrice Di Vizio nous livre un éclairage sur les fondements de la plainte pénale déposée à l’endroit de monsieur Edouard PHILIPPE, Premier ministre et Madame Agnès BUZYN, ancienne ministre de la Santé.
La France est en guerre, a tenu à rappeler le Président de la République, lors de son allocution annonçant le confinement généralisé du territoire. La guerre est menée par les soignants, combattants de première ligne, et exposés par des décisions inadaptées, à un danger véritable.
La question de l’incompétence de l’État à anticiper cette crise est au cœur des discussions sur les réseaux sociaux, tenant lieu de nouveaux comptoirs de café, où l’on refait le monde. Les difficultés d’approvisionnement en masques de protection respiratoire, le manque de gel hydroalcoolique, l’insuffisance du nombre de lits de réanimation sont autant de raisons légitimes, pour les médecins, de se plaindre.
Mais voici que cette semaine, un énorme pavé a été jeté dans la mare profonde de la gestion du covid-19. Et il l’a été par l’ancienne ministre de la Santé elle-même, celle qui, le 24 janvier, annonçait à la France, pas encore apeurée, que le virus, comme le nuage de Tchernobyl, s’arrêterait à la frontière et que celui-ci n’atteindrait pas la France ou l’Europe, du fait du confinement chinois.
C’est une tout autre histoire qu’a cru devoir confesser Agnès Buzyn après sa défaite aux municipales : elle savait et a tout dit au Président de la République et au Premier ministre qui n’en ont rien fait, tant et si bien que ses larmes de départ du ministère étaient le signe de son inquiétude face « au tsunami » qui allait s’abattre sur nous.
On aurait pensé qu’une telle déclaration fasse l’effet d’une bombe au point de devoir faire se réfugier le Président de la République et le Premier ministre dans un bunker nucléaire de peur que les déflagrations de ce qui s’annonçait être l’étincelle brulante d’un énorme scandale sanitaire ne les atteignent. C’est ainsi que fonctionnent les démocraties.
Mais… il n’en a rien été, en temps de guerre, on fait corps avec les généraux, en temps de guerre, on ne discute pas, on tire !
C’est en substance le message qu’on a entendu : nous verrons après, il sera temps de déterminer les responsabilités, le temps présent est à l’unité nationale. Bref, ce n’est pas le moment.
Pourtant, trois médecins ont pensé le contraire et l’auteur de ces lignes n’a pu que les encourager à laisser libre cours à ces pensées dissidentes : le moment de demander des comptes n’est pas demain, mais aujourd’hui, car c’est aujourd’hui qu’ils risquent leur vie. C’est aujourd’hui qu’ils n’ont ni masques, ni blouses, ni lunettes. C’est aujourd’hui qu’ils ne peuvent pas tester leurs patients…
Alors ? Eh bien alors, la Cour de Justice de la République a été saisie contre Madame BUZYN, Monsieur PHILIPPE, et il est à parier que le prochain sur la liste des plaintes pénales sera le Directeur général de la santé. Sur quel fondement ? Il n’en existe, à mon sens qu’un seul : l’article 223-7 du Code pénal selon lequel :
« Quiconque s’abstient volontairement de prendre ou de provoquer les mesures permettant, sans risque pour lui ou pour les tiers, de combattre un sinistre de nature à créer un danger pour la sécurité des personnes est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende. »
Pour que l’infraction soit constituée, il faut trois conditions : 1) une abstention volontaire 2) que cette abstention ne lui occasionne aucun risque ni aux tiers 3) un sinistre de nature à créer un danger pour la sécurité des personnes.
La deuxième et la troisième condition ne posent aucun problème et il va de soi que l’impréparation de la crise sanitaire majeure que nous traversons est bien de nature à créer un danger pour la sécurité des personnes. Sauf à considérer que les masques de protection et les lits de réanimation, pour ne citer que ces deux exemples, ne soient pas nécessaires à la sécurité des patients et des soignants.
Reste la première : l’abstention était-elle volontaire ? Un doute pouvait-il être permis quant à la déflagration qu’allait provoquer le covid-19 ?
La réponse est en deux temps : en premier lieu, elle est à rechercher du côté de la déclaration de l’OMS du 30 janvier 2020 selon laquelle l’épidémie du coronavirus était considérée comme une urgence de santé publique internationale. Cette déclaration, intervenue 6 fois depuis l’édition du règlement sanitaire international de 1964, se définit de la façon suivante :
« un évènement extraordinaire dont il est déterminé qu’il constitue un risque pour la santé publique dans d’autres États, en raison du risque de propagation internationale de maladie (…) »
Le compte rendu de la réunion de l’OMS du 30 janvier est particulièrement intéressant puisqu’on y lit :
« Le Comité a également reconnu qu’il subsiste encore de nombreuses inconnues, que des cas ont désormais été signalés dans cinq régions de l’OMS en un mois et qu’il y a eu une transmission interhumaine à l’extérieur de Wuhan et à l’extérieur même de la Chine. »
« Le Comité est d’avis qu’il est encore possible d’interrompre la propagation du virus, pour autant que les pays prennent des mesures fortes pour détecter rapidement la maladie, isoler et traiter les cas, rechercher les contacts et réduire les contacts sociaux dans une mesure adaptée au risque. Il est important de noter que les objectifs stratégiques aussi bien que les mesures de prévention et de réduction de la propagation de l’infection devront être adaptés à l’évolution de la situation. Le Comité est convenu que la flambée épidémique remplit désormais les critères d’une USPPI (…) » et encore…
« On peut s’attendre dans n’importe quel pays à l’apparition de nouveaux cas exportés de Chine. Par conséquent, tous les pays doivent être prêts à prendre des mesures pour endiguer l’épidémie, notamment par une surveillance active, un dépistage précoce, l’isolement et la prise en charge des cas, la recherche des contacts et la prévention de la poursuite de la propagation de l’infection par le 2019-nCoV, et à communiquer l’ensemble des données à l’OMS. »
Le moins que l’on puisse dire est que le ton est sérieux, et le risque de propagation internationale clairement assumé !
Les États ont reçu un avertissement très clair sur le risque de propagation internationale, tandis qu’on imagine aisément que ce type de déclaration est le fruit d’une réflexion en amont, et d’une concertation interétatique.
On se souvient, à cet égard, de la déclaration solennelle du Président de l’OMS qui qualifiait la menace de propagation d’élevée.
Pour remettre les choses en perspective, il faut également se souvenir qu’à ce moment précis, la Chine faisait face à des décès quotidiens de plus en plus élevés et que les cas augmentaient sensiblement, dans le monde, puisque nous étions à plus de 10 000 contaminations au plan international, et ce alors que le virus était apparu en Chine un mois plus tôt.
Le déclenchement de l’urgence sanitaire internationale aussi rapidement était un signe tout à fait clair de l’inquiétude de l’OMS, qui, par ailleurs, avait été accusée de complaisance avec la Chine à l’apparition du virus.
Dès lors, il est notoirement impossible que les autorités françaises aient ignoré la dangerosité de ce nouvel ennemi, résultant précisément de sa vitesse de propagation. Le respect des consignes de l’OMS n’était pas une option, mais une obligation, et ce précisément au terme de l’article sus visé du Code pénal, pour ne citer que lui, et sans même référence au principe de précaution à la valeur constitutionnelle certaine. Ce qui constitue une obligation est bien le fait de s’abstenir volontairement de prendre des mesures préventives ou, disons régulatrices.
Faire abstraction des recommandations internationales entre incontestablement dans la catégorie de l’abstention coupable ! Ne prendre aucune mesure propre à permettre de faire face à une propagation d’un virus à la contagiosité exponentielle est l’archétype de la faute pénale.
Madame Buzyn est d’ailleurs parfaitement en phase avec cette réalité, soulignant qu’elle a alerté le Président de la République et le Premier ministre sur la propagation de ce virus qui empêcherait probablement la tenue des élections municipales. C’est donc dire si cette dernière avait l’étroite conscience de ce que la situation allait être, épidémiologiquement, hors de contrôle, dès le mois de janvier.
Agnès BUZYN est probablement l’un des pionniers de la veille sanitaire en France, en ce qu’elle a dirigé la HAS, et l’anticipation est l’essence même de sa carrière, de sorte que ses remords ont une tonalité de vérité.
Pour le dire autrement, entre l’incompétence et l’inconscience, mon cœur balance… mais penche du côté de l’inconscience, au regard du parcours médical, universitaire et administratif exceptionnel d’une femme particulièrement brillante. Elle l’avoue : elle a choisi de se taire et dans un élan de confession, le regrette. Mais le mal est fait, et il est bien fait pourrait-on dire, et le recours au mot de tsunami dans la bouche de notre ancienne ministre sonne tellement juste, si l’on pense que nous n’en sommes qu’au début.
D’aucuns ont cru voir dans les propos de l’ancienne ministre la volonté de se disculper au profit du Premier ministre, mais c’est notoirement impossible là encore ! Sa carrière, son parcours universitaire et professionnel ne peuvent lui faire méconnaitre les termes de l’article L3131-1 du Code de la santé publique (que son successeur connait puisqu’il en a fait application) :
« En cas de menace sanitaire grave appelant des mesures d’urgence, notamment en cas de menace d’épidémie, le ministre chargé de la santé peut, par arrêté motivé, prescrire dans l’intérêt de la santé publique toute mesure proportionnée aux risques courus et appropriée aux circonstances de temps et de lieu afin de prévenir et de limiter les conséquences des menaces possibles sur la santé de la population (…) »
Il ressort de toutes ces considérations, in fine, que Madame Buzyn et Monsieur Philippe sont responsables et coupables ! Ils n’ont pas entendu les soignants qui depuis des mois leur demandent des moyens pour faire face à la crise qui s’annonçait inéluctablement et qu’ils voyaient arriver de plus en plus rapidement. Ils n’ont pas entendu les experts internationaux qui ont rappelé inlassablement l’importance du dépistage massif et systématique. Ils n’ont pas entendu les chefs de service de réanimation qui demandaient des lits supplémentaires. Ils devront maintenant entendre la voix des juges et celle de l’opinion.
Or, si la voix de l’opinion peut être parfois difficilement audible, certains hommes politiques et non des moindres ont entendu la voix puissante des juges ! Gageons que nous ne sommes qu’au début de cette affaire comme nous en sommes au début de l’épidémie.
F.D.V.
Sur le sujet lisez: Un collectif de professionnels de santé saisit la cour de justice de la république contre Agnès BUZYN et Edouard PHILIPPE
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