200 ans après sa mort, la dépouille du général français de la Grande Armée de Napoléon a enfin été transférée de la Russie vers la France. Un aboutissement pour notre ami Pierre Malinowski, dont les auteurs réguliers de Méthode n’ignorent ni ses travaux de chercheur, d’historien et d’archéologue ni son engagement constant dans les rapprochements franco-russes. N’en déplaise à ses détracteurs, Pierre Malinowski, à la tête de la Fondation franco-russe des initiatives historiques, n’a pas vocation à être réduit à son passé d’attaché parlementaire, fusse-t-il du « diable ». On juge un homme à ce qu’il est et non à ce qu’il a été et, honnêteté oblige, si Pierre Malinowski a obtenu la confiance d’un chef de parti national, c’est avant tout une preuve de son intelligence et de sa fidélité. Deux qualités qu’il a manifestement conservées. Certes il n’a ni doctorat en Histoire ni en archéologie, mais il n’est pas seulement un chercheur… il trouve !
Né à Montargis en 1768, Charles Étienne Gudin de la Sablonnière a étudié à l’école de Brienne où il côtoya déjà Napoléon. Passé lieutenant en 1791, il connaît ses premiers faits d’armes dans l’armée du Rhin en 1795 et devient général de division en 1800. Six ans plus tard, son dévouement et son intelligence tactique le font briller à la bataille d’Auerstaedt et Napoléon le fait défiler en tête des troupes. Il est nommé comte de l'Empire par lettres patentes du 7 juin 1808. En 1809, il est blessé à Wagram. L’officier se distingue une dernière fois pendant la campagne de Russie, lancée en juin 1812.
En août 1812, les troupes françaises et les armées du Tsar s’affrontent aux confins de la grande Russie. « Alors que Napoléon visitait la cathédrale de Smolensk, un courrier annonce qu'une bataille se joue. Aussitôt, il envoie Gudin au secours de Ney », précise Pierre Malinowski. Arrivé sur place, Gudin se fâche avec le maréchal Ney et lui lance : « Vous allez voir comment ma division sait enlever une position qu'elle a mission d'attaquer ».
Le 16 août 1812, c'est la bataille de Smolensk. Gudin et la brigade Desailly attaquent la porte de Mecislaw, à trois heures précises. Devant eux, six mille Russes forment un mur impénétrable. Alors Gudin ordonne une charge à la baïonnette. « Sur les hauteurs de Smolensk », raconte de Ségur, « l’armée contemplait, avec une silencieuse anxiété, ses braves compagnons d’armes s’élancer tout au travers d’une grêle de balles et de mitraille, et persévérer avec une ardeur, une fermeté, un ordre admirables ; alors, saisis d’enthousiasme, on entendit battre des mains. Le bruit de ce glorieux applaudissement arriva jusqu’à nos colonnes d’attaque ».
La division Friant vient de faire jonction avec celle de Gudin et l’offensive redouble d’ardeur. L’ennemi accablé défend ses positions avec acharnement. Le combat n’est qu’un horrible carnage.
Le 19 août 1812, à Valoutina Gora, à 20 kilomètres à l'est de Smolensk, Gudin reçoit l’ordre de Napoléon : « Portez votre division au pas de course auprès du Maréchal Ney, voyez la situation et concertez-vous avec lui sur les mesures à prendre. »
Le général Gudin, à la tête de sa division composée de 10.000 hommes et d’une quinzaine de canons, suit le plan offensif de Ney, il doit passer avec sa division sur un pont avant d’atteindre le champ de bataille. « Peu confiant à cheval », selon Ségur, il descend de sa monture pour passer sur la Kolowdnia, c’est alors qu’un boulet ennemi vient lui emporter la cuisse et lui fracasser un mollet. Il fut transporté à Smolensk. Le 21 août, Napoléon est au chevet de son ancien condisciple de Brienne. Il demande aux chirurgiens Larrey et Percy d’amputer en sa présence la jambe droite du général. Mais la gangrène a déjà amorcé son œuvre destructrice et l’opération ne fait que précipiter son ami, qui meurt, âgé de 44 ans, le 22 août 1812. On dit qu’Étienne Gudin est mort dans les bras de Napoléon, en larmes. Le souverain portait une attention particulière à ce général courageux, l’un des 1 500 qui le servirent au cours de ses campagnes.
Napoléon lui fit cette oraison dans son 14e Bulletin, daté du 23 août 1812 : "Le général Gudin était un des officiers les plus distingués de l'armée ; il était recommandable par ses qualités morales autant que par sa bravoure et son intrépidité."
La dernière consécration vint de ses soldats : associée à toute l’armée, sa division éleva un mausolée en forme d’étoile, faite de fusils brisés lors des combats de Valoutina Gora, symbole éternel de la grandeur impériale.
Ne pouvant rapatrier la dépouille du Général, son cœur est ramené en France1 tandis que son corps est inhumé sur place. « Son corps a été inhumé dans la citadelle de Smolensk. Son cœur, rapporté en France par ordre de l’Empereur Napoléon Ier, repose ici...», peut-on lire sur la sépulture parisienne du Père Lachaise. Le nom de Charles Étienne Gudin sera en mémoire gravé sur l’Arc de Triomphe de l’Étoile.
Hélas, au fil du temps la tombe semblait avoir disparu.
Longtemps, les témoignages ont divergé sur la localisation de sa tombe. Mais une équipe franco-russe d'archéologues avait repris les recherches en mai 2019 à l'initiative de Pierre Malinowski, qui raconte ses recherches dans A la recherche du tombeau perdu 2.
Après plusieurs recherches infructueuses c’est en cherchant à se transposer à la situation et aux circonstances de l’époque que Pierre Malinowski, malgré les doutes naissant parmi certains chercheurs et toujours avec le soutien des équipes russes, retrouve, le 10 juillet 2019, au terme d'une intense campagne de fouilles, le corps du Général Gudin.
Le constat d’une jambe amputée laisse peu de doutes à l’archéologue français… il ne peut s’agir que du Général ami de Bonaparte.
À l’annonce de la découverte, une pluie de « spécialistes » s’abat sur l’équipe d’archéologues… il ne peut s’agir du Général Gudin puisque personne ne sait où est sa tombe, alors de là à imaginer qu’une équipe « d’amateurs » puissent la trouver… Les russophobes se déchainent. Quelles preuves peuvent-ils avoir de la véracité de cette découverte ?
Pierre Malinowski est bien vite conscient que seule une analyse ADN permettra de mettre fin à ce début de polémique. "Je suis revenu en France avec dans mes valises un bout de fémur et des dents trouvés sur la dépouille" explique-t-il, "je les ai confiés à un professeur de Marseille pour qu'il compare l'ADN avec celle du frère et de la mère du général enterrés dans le Loiret". Des tests qui s’avèreront positifs et confirmeront ainsi que le corps retrouvé est bien celui du Général Gudin.
Suivie en haut lieu par Bruno Roger-Petit, conseiller « mémoire » du président de la République, et Patrick Strzoda, son directeur de cabinet, l'intérêt pour cette découverte s'accélère le 9 décembre 2019 avec la venue de Vladimir Poutine au sommet de Paris. Le président français aurait alors évoqué le sujet avec son homologue russe et décidé de mettre à profit la découverte du corps du général d'empire3.
Hélène Carrère d'Encausse, secrétaire perpétuelle de l'Académie française et autorité incontestée de la relation franco-russe explique alors :« Le président Macron essaie de remettre les relations franco-russes sur les rails. Il avait déjà relancé la chose d'une manière très intelligente à Versailles. Il s'était emparé du mythe de Pierre le Grand. Le général Gudin était un compagnon de Napoléon, et Emmanuel Macron a le sens des symboles.3 » et d’ajouter « « Je ne suis pas le conseiller du prince. Mais j'ai dit au président l'importance que pouvait avoir cette découverte pour la France, et surtout la Russie. L'anniversaire de la bataille d'Austerlitz, c'est à peine si on s'en est aperçu ici. Les Russes, eux, sont très respectueux du souvenir napoléonien. Ils le respectent pour sa grandeur. »
Peu de temps après4, Bruno Roger-Petit adresse un SMS à Pierre Malinowski dans lequel il lit : « C’est bon, le général Gudin rentre à la maison. Le président Macron a signé. Ce sera à la rentrée 2020. Il va être inhumé aux Invalides lors d’une cérémonie digne du grand homme qu’il fut 5.»
Mais deux évènements vont successivement bouleverser ce programme : la pandémie du coronavirus et l’affaire Navalny. Deux raisons qui vont distendre, une nouvelle fois, les relations franco-russes et reporter le rapatriement du corps du général de l’Empire.
Ces dernières semaines, le dossier Gudin semble toutefois redevenir d’actualité. Le 23 juin dernier, la Consul de France pose les scellés officiels sur le sarcophage du général devant des bénévoles en costumes.
À cette période, le retour en France est validé mais il est annoncé qu’il n’y aurait pas d’hommage particulier rendu à son arrivée. Pourtant un général d’Empire peut-il rentrer comme un clandestin dans son pays natal ? Qu’a-t-il fait pour ne pas avoir droit aux honneurs militaires auxquels il peut prétendre ? Aucune infamie, aucune trahison, ne viennent entacher son uniforme et sa mémoire. Grand Aigle de la Légion d’honneur depuis 1809, ce qui correspond à l’actuelle Grand’ Croix aujourd’hui, la France est dans l’obligation de lui rendre les hommages dus aux dignitaires de la Légion d’Honneur. Ne pas le faire serait donc aussi indigne qu’illégal. Malgré l’incertitude de la position du gouvernement, Pierre Malinowski organise le retour du Général Gudin. Pour ce faire, il loue un Airbus privé : « J'ai dû trouver une parade juridique, comme c'est une trouvaille archéologique, il fallait que la France fasse une demande officielle. Puisqu'elle ne l'a pas fait, on a formulé une demande via ses descendants. C'est donc comme si on rapatriait un membre de la famille ».
Une question reste, en ce début de mois de juillet, en suspens: les Invalides ne semblant plus devoir accueillir la dépouille de Général Gudin… où l’inhumer ?
Selon le Comité du Souvenir Français « Le général Gudin se doit de rejoindre son épouse qui a fait élever un caveau au cimetière du Père Lachaise dans lequel elle repose aux côtés du cœur du général qui avait été rapporté de Russie ». Le général Gudin retrouverait aussi en ce lieu de nombreuses gloires de l’Empire, à commencer par le maréchal Davout sous les ordres duquel il écrit certaines des plus belles pages de l’épopée napoléonienne.
L’idée de Montargis, ville natale de l’officier, est également évoquée.
« Nous, on n’en veut pas et on n’a pas les moyens de lui construire un mausolée », s’agace dans les colonnes du Parisien le maire (LR) de Montargis, Benoît Digeon, qui, par ailleurs, doute de la véracité du corps. « Tout cela ressemble à une affaire à la Tintin. Je suis un admirateur de Napoléon, mais ne cédons pas aux manipulations du Kremlin.» Pour un élu se disant admirateur de l’Empereur, chacun appréciera.
Si Albéric d'Orléans s’étonne de la réaction de l’édile montargois et précise « Nous ne lui avons pas demandé de l'accueillir », le maire de de Bry-sur-Marne, Charles Aslangul (LR), propose alors de l'accueillir dans son cimetière communal «Quand j'ai vu l'article du Parisien, mon sang n'a fait qu'un tour. Il ne sera pas dit qu'en France, il n'y a pas un français qui n'ait un sens de la dignité, de l'honneur et de l'histoire ».
Enfin ce 13 juillet, après une courte cérémonie sur le tarmac russe, le Général Gudin retrouve sa terre natale.
Il y a quelques semaines, son descendant, Albéric d'Orléans, regrettait le manque d'hommage national : « Il a sacrifié sa vie à la France, en tant que soldat il aurait droit à un minimum de reconnaissance. Vu les services rendus, on aurait pu espérer qu'il y ait un peu plus de mobilisation ».
Son appel aura finalement eu un écho au sein du Ministère des Armées puisque Madame Geneviève Darrieussecq, Ministre déléguée en charge de la Mémoire et des anciens combattants a accueilli, ce 13 juillet, le corps du général Gudin. Une cérémonie sans faste particulier, sous deux Concordes, où la garde républicaine faisait face à la cinquantaine de volontaires de l'association Paris Napoléon 2021, habillés en grognard et où fut placé entre eux le cercueil du général recouvert de ses victoires.
Durant cette cérémonie, la Ministre a néanmoins confirmé que la dépouille serait inhumée aux Invalides le 2 décembre, en présence du premier ministre, Jean Castex, avec les honneurs qui lui sont dus. Le corps du général Gudin, devrait alors rejoindre le caveau où reposent le général Nivelle, le maréchal Juin ainsi que Rouget de Lisle, en attente de sa panthéonisation. A préciser toutefois qu'Emmanuel Macron a d'ores et déjà annoncé qu'il ne participerait pas à cette cérémonie qui sera "intimiste" selon les informations de notre ami Frédéric de Natal.
F.M.
NOTES ET RÉFÉRENCES
1. Déposé dans le caveau de son épouse au cimetière du Père Lachaise.
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