Cet ouvrage collectif intitulé l’Europe au temps de Napoléon propose, selon nous, une étude véritablement magistrale de notre glorieux et passionnant passé. Elle aidera certainement à mieux comprendre notre présent. Chacun sait que les vieilles monarchies européennes ont combattu la France de la Révolution et de l’Empire. Napoléon a, de son côté, voulu dominer l’Europe, afin de restaurer, toute proportion gardée, l’Empire romain ou encore celui de Charlemagne. Le projet était-il possible ? Souhaitable ? Nous ne répondrons pas à ces deux questions aujourd’hui. Nous constatons que l’Europe française napoléonienne a échoué.
Pourtant, Napoléon, en combattant ses ennemis et en voulant sauvegarder coûte que coûte les conquêtes territoriales de la Révolution, a réveillé l’Europe. Une partie de l’Europe l’a certes haï, détesté, moqué, une autre, notamment après l’expérience napoléonienne, l’a vénéré, adulé, et l’a même pris comme modèle, au point d’en faire un Prométhée moderne ou l’étendard des aspirations des sans grades et des contempteurs des différentes monarchies nationales, esseulés dans cette Europe post-1815 façonnée par la Sainte Alliance.
Dans sa pertinente préface, Jean Tulard rappelle que « durant deux décennies, la France a dominé l’Europe. Une suprématie qui s’explique par le poids de sa démographie, l’universalité de sa langue, le caractère national de ses armées, ses innovations techniques… On parle de la Grande Nation puis du Grand Empire. Rome, Bruxelles, Hambourg, Cologne, Amsterdam sont françaises depuis 1811 ». Il ajoute avec raison : « Le destin des Suisses, des Allemands, des Italiens, de la majeure partie de l’ancienne Pologne et de l’Espagne se joue en réalité à Paris ».
Pour bien intégrer la prépondérance française d’alors, Tulard écrit « qu’un maréchal français est choisi comme prince héritier de Suède et le Danemark se comporte en fidèle allié. L’empereur des Français épouse la fille de l’ancien maître du Saint Empire romain germanique devenu plus modestement empereur d’Autriche. En 1812, il lance contre la Russie une armée où l’on trouve des contingents de tous les pays d’Europe ».
Les victoires militaires françaises sont en réalité précédées par la victoire intellectuelle des idéaux révolutionnaires. Ces idées se diffusent dans toute l’Europe par la presse, car l’élite européenne de chaque pays parle la langue de Molière. L’académie de Berlin en 1784 avait désigné le français comme « langue universelle ».
Nous lisons donc sans surprise le propos suivant : « La France, en étendant son influence sur les pays voisins, y a exporté non seulement les idées et les institutions révolutionnaires mais aussi sa culture. Dans ce domaine le chemin était frayé, car la langue française, véhicule de la culture française était alors considérée comme universelle et parlée par toutes les élites. Les émigrés qui avaient précédé les armées françaises, avaient aussi contribué à en répandre la langue ».
Le point de fort de ce livre est qu’il ne se consacre pas à la seule France. Napoléon et l’Empire sont décryptés par des analyses prenant en compte le regard de nos voisins. Il est véritablement intéressant de savoir comment était vu l’Empereur en Angleterre, Suisse, Italie, Portugal, Allemagne, Autriche, Russie, etc. Ces captivants chapitres nous éclairent sur les différents rapports que l’Empire français entretenait avec ses alliés et ses différents ennemis. De même, les contributions font le point sur le rôle décisif de l’armée napoléonienne, aussi bien sur le champ de bataille que dans la société. Elle fut à la fois un outil de conquêtes, de promotions et le symbole invincible de son illustre promoteur.
Toutefois les premières défaites, en particulier en Espagne, ne renversent pas totalement l’opinion française et européenne, même si certains proches de l’Empereur commencent à le mettre en garde, tandis que d’autres conspirent (Fouché) ou trahissent (Talleyrand) dès 1808… Les conséquences de la guérilla espagnole et du blocus sont très bien étudiées. La Grande Armée s’est véritablement épuisée en Espagne mais également aux quatre coins de l’Europe en jouant aux gendarmes.
Finalement, la maîtrise des mers et la révolution industrielle assurent à Albion des armes non négligeables. Tulard écrit : « La Grande-Bretagne l’emporte sur Napoléon grâce à sa flotte mais aussi grâce aussi à ses manufacturiers et à ses négociants, à l’esprit d’invention de la City et à la force des traditions d’une noblesse par ailleurs égoïste et brutale ». Il s’agit d’un constat factuel et par conséquent implacable.
Les pages dévolues à Metternich montrent, s’il en était encore besoin, qu’il fut vraiment un très grand diplomate et un serviteur exemplaire de la monarchie des Habsbourg. Ce livre permet entre autres de mieux et de bien mesurer l’échec napoléonien. Il aborde aussi les nombreuses adversités que Napoléon dut subir durant toute sa carrière à la tête de la France. A nos yeux, Napoléon Bonaparte fut incontestablement un génie… mais à l’impossible nul n’est tenu, pas plus lui qu’un autre.
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