JUILLET - AOÛT 2021

Ukraine : instrumentalisation de la question des peuples autochtones contre la Russie

par Karine BECHET-GOLOVKO


Le Président ukrainien continue à remplir son devoir en faisant monter la pression contre la Russie et en réécrivant grossièrement l'histoire du pays, selon le modèle globaliste. En déposant un projet de loi sur les peuples autochtones en Ukraine, il évacue non seulement les Russes, mais tous les peuples européens qui ont formé l'Ukraine, pour ne retenir in fine quasiment que la Crimée. Ce qui se passe dans ce pays est une parfaite illustration du processus d'autodestruction des pays sous l'effet d'un faux patriotisme, qui n'est qu'une haine non seulement de l'Autre, mais surtout de Soi.
Continuant le travail de constitution d'une identité ukrainienne, coupée de son passé et de son histoire, lancé après la chute de l'Union soviétique et accéléré avec la première révolution de 2004, puis avec le Maîdan de 2014, dans une pure logique atlantiste, Zelensky perpétue la guerre menée contre l'Ukraine.
Cette reconstitution artificielle passe par le rejet de la Russie, de la langue, de la culture, de la civilisation est, en ce sens, un rejet de soi-même, par l'affaiblissement. En quoi la culture ukrainienne sera plus forte depuis que la langue russe est interdite dans l'espace public ? Y a-t-il eu, tout à coup, une grande vague d'écrivains, de peintres, de compositeurs, de cinéastes, jusque-là écrasés par la civilisation russe, qui maintenant émergent et brillent dans le monde libre ? 
Or, l'Ukraine s'est construite avec la Russie, avec une histoire commune, autant qu'une culture ; son territoire actuel s'est constitué par divers transferts européens et russes, depuis des siècles et jusqu'à l'époque soviétique. Rejeter la culture russe, c'est se rejeter soi-même. Pour s'individualiser, l'Ukraine se focalise sur ses détails, développe une forme de narcissisme des petites différences, qui oblige à une agressivité d'État pour ne pas succomber au vide, pour ne pas voir l'absurde. Pour ne pas voir le processus d'autodestruction qui est en place. Comme l'exprime parfaitement Jung dans l'Ame :

« la propension à renier toutes les valeurs antérieures au profit de leurs contraires est aussi exagérée que l'exclusivisme précédent. Dans la mesure où il s'agirait de valeurs incontestables et universellement reconnues, la perte éprouvée en les rejetant est aussi déplorable que fatale. Quiconque agit ainsi et jette par-dessus bord ses valeurs, s'y jette lui-même en même temps. »

En déposant ce 18 mai un projet de loi1 sur les peuples autochtones d'Ukraine, qui ne prend pas en compte les peuples européens qui ont historiquement constitué l'Ukraine, Zelensky « jette par-dessus bord » des siècles d'histoire, pour satisfaire les intérêts anti-russes atlantistes. Déjà, en 2004, lors du précédent projet de loi sur le sujet, la Commission de Venise avait souligné la diversité ethnique du pays (point 7) :

« Outre les Ukrainiens, la nation éponyme, les principaux groupes ci-après vivent dans le pays : Russes (deuxième grand groupe ethnique), Juifs, Biélorusses, Moldaves, Tatars de Crimée, Bulgares, Polonais, Hongrois et Roumains (les autres groupes représentant moins de 1 % de la population). Les autres groupes vivant dans le pays sont les suivants : Grecs, Tatars de la Volga (ou de Kazan), Arméniens et Allemands, Roms, Gagaouzes, Géorgiens, Tchouvaches, Ouzbeks, Mordves, Slovaques, Tchèques, Bachkirs, Lettons, Lituaniens et Estoniens. D’après le discours à la Nation prononcé le 26 août 1991, plus de 110 nationalités vivent sur le territoire ukrainien »

En jouant sur l'absence de définition claire de la notion de peuple autochtone, l'Ukraine fusionne quand ça l'arrange ce concept avec celui de minorité, qui est beaucoup moins protégé en droit international. Ainsi, la Déclaration2 de l'ONU sur les droits des peuples autochtones de 2007 qui, notamment, interdit l'assimilation forcée ) l'art. 8, formellement ne s'applique que pour les peuples autochtones et non pas pour les ethnies minoritaires, qui donc peuvent a contrario être assimilées, sans bénéficier d'aucune protection de langue ou de culture. Car avec la définition qui est donnée à l'art. 1 du projet de loi, tous les peuples européens, auparavant reconnus, sont exclus de la catégorie des peuples autochtones :

« un peuple autochtone d'Ukraine (...) est une minorité ethnique de la population, qui n'a pas de formation étatique en dehors de l'Ukraine. »

Ce critère, de l'absence d'un Etat de rattachement ethnique, est absent des définitions retenues par l'ONU, qui principalement sont celles de la Convention N°169 de l'OIT et du rapport Cobo de 1986 sur la lutte contre les mesures discriminatoires et la protection des minorités, définitions qui prennent en compte la présence historique sur le territoire, l'existence d'une langue et d'une culture propre sur ce territoire au cours des âges. 
Ainsi, Zelensky réduit la catégorie des peuples autochtones principalement aux Tatares de Crimée et aux peuples de Crimée. Par ce jeu, il nie la réalité politique et juridique de l'Ukraine d'après 2014. Ainsi, l'art. 4 du projet de loi prévoit une représentation de ces peuples autochtones au sein du Parlement ukrainien, mais aussi dans les instances représentatives de Crimée ... Même remarque pour le droit au développement durable reconnu à l'art. 7, qui concerne notamment la Crimée. Comme si la législation ukrainienne avait une quelconque force juridique en dehors de ses frontières. Comment prendre au sérieux un Etat qui veut aveuglément vivre, d'une manière tellement primaire, dans une réalité parallèle ?  
Il reste toujours le recours aux instances européennes pour les Européens vivant en Ukraine, mais nous avons vu l'absence d'efficacité de ces structures lors de la réforme de l'enseignement et des langues, qui violait pourtant ouvertement les standards européens. Manque certainement aussi de volonté, au-delà des grands discours qui n'engagent à rien. Il n'y a aucune chance pour que cela soit différent sur cette question.
C'est une guerre qui se mène. Une guerre que les dirigeants ukrainiens mènent contre leur propre population en affirmant lutter contre « l'agression russe ». Comment appeler des dirigeants qui combattent leur propre peuple pour servir des intérêts étrangers ? Cela a bien un nom, la trahison, et aucune réécriture de l'histoire ne le changera.

K. B-G.

NOTES ET RÉFÉRENCES

1. http://w1.c1.rada.gov.ua/pls/zweb2/webproc4_1?pf3511=71931
2. https://www.un.org/development/desa/indigenouspeoples/wp-content/uploads/sites/19/2018/11/UNDRIP_F_web.pdf

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