« Réveil à 6 heures du matin. Pour la première fois, cela peut sembler bizarre, je m’occupe de ma blessure. Elle ne m’a fait souffrir à aucun moment, mais mon pied droit est paralysé.
Je regarde ma jambe. Voici le trou d’entrée, pas de sortie, donc elle est dedans la coquine. Le poste de secours est plein de blessés, peu du 33e, beaucoup du 8e qui a vigoureusement donné. […] La 1re section de brancardiers de corps a pris possession du poste de secours. Un aide-major de 2e classe, très bien à tous points de vue, regarde ma blessure1.»
Tôt le matin, avec d’autres blessés, il est conduit en automobile par le médecin principal Fasquelle de sa division, au château d’Ostemerée à Serville, à 2 km d’Anthée, où il retrouve ses camarades du 33e.
C’est là qu’un jeune notaire de Philippeville, Paul Le Boulengé,président de la Croix-Rouge locale, embarque dans sa voiture un grand lieutenant et deux autres blessés pour les conduire à la gare de Charleroi. Charles de Gaulle voudra naturellement saluer sa sœur qui habite rue d’Assaut. De Charleroi, Il sera dirigé sur Arras puis sur Paris, à l’hôpital Saint-Joseph où la balle sera extraite et enfin sur Lyon, à l’hôpital Desgenettes où il passera sa convalescence.
Charles de Gaulle est à nouveau blessé l’année suivante en Champagne, à Mesnil-lès-Hurlus. Et une troisième fois, en mars 1916, à Douaumont où il sera sérieusement blessé et fait prisonnier jusqu’à l’Armistice de 1918.
Après la guerre, en janvier 1949, le notaire Paul Le Boulengé, devinant l’identité de l’officier transporté le 16 août 1914, écrira au Général de Gaulle à Colombey-les-deux-Églises.
Le château de Bouvignes
CONTROVERSE AU SUJET DU PASSAGE DU LIEUTENANT DE GAULLE AU CHÂTEAU
En août 1914, dès les premiers jours de la guerre, Jeanne de Bonhomme, épouse de Ludovic Amand de Mendiéta, bourgmestre de Bouvignes, connue pour sa grande sollicitude envers les plus nécessiteux, voyant affluer de nombreux soldats blessés, avait eu la bonne idée d’installer, ce que l’on appellerait aujourd’hui, un hôpital de campagne.
Le lieutenant de Gaulle, blessé au pont de Dinant, y a-t-il été soigné ou y est-il simplement passé, avant d’être conduit à Anthée ?
Le château de Bouvignes et « le vieux quartier » où était installé l’hôpital de campagne en 1914
(Photo C. Ferrier)
Si l’on se réfère à ce qu’il écrit dans ses carnets au cours de sa convalescence, il ne se soucie de sa blessure que le matin du 16 août à Anthée :
« Pour la première fois, cela peut sembler bizarre, je m’occupe de ma blessure ».
Il est donc fort peu probable qu’il ait été soigné durant la journée du 15 août à Dinant.
En 1970, le gendre de madame Amand de Mendiéta, le chevalier Paul de Stexhe, sénateur et ancien ministre de la Culture française, voulut en avoir le cœur net et écrivit au général de Gaulle.
La réponse de ce dernier n’en fait aucunement mention même s’il n’ignore pas les soins prodigués aux officiers et aux soldats français blessés en même temps que lui.Et, si le lieutenant de Gaulle s’est rendu au château de Bouvignes, il n’en dit mot dans ses carnets.
Où exactement le lieutenant de Gaulle a-t-il été blessé ?
PLUSIEURS VERSIONS EXISTENT !
En 1949, dans sa réponse au notaire Paul Le Boulengé, le général de Gaulle, précise qu’il a été blessé au pont de Dinant.
En 1970, Roger Bodart, écrivain et poète dinantais, préparant la rédaction d’un guide littéraire pour le Benelux, écrit au Général à Colombey afin de connaître l’endroit exact de sa blessure.
Dans sa réponse datée du 10 mai 1970, celui-ci indique que c’est au passage à niveau du chemin de fer, avant le pont. (Rue Sodar !)
La mémoire du Général, 56 ans après l’évènement n’est peut-être plus très fidèle ! Il faut comprendre que, c’est des tranchées de la voie de chemin de fer, des deux côtés du passage à niveau qu’est partie la compagnie du lieutenant de Gaulle pour se diriger vers le pont qu’elle devait franchir. La confusion peut se comprendre. Les deux versions sont évidemment très différentes.
En 1971, l’amiral Philippe de Gaulle, dans un article publié dans la Collection « En ce temps-là », situe l’endroit au milieu du pont.
Plus tard, dans ses Mémoires accessoires2, l’amiral écrit :
« A peine sortis du pâté de maisons qui les abrite, lui et ses hommes, le lieutenant de Gaulle est fauché d’une balle sous le genou dès l’entrée du pont. »
Dans une lettre datée du 16 juin 2012, adressée au bourgmestre de Dinant, Richard Fournaux, à propos du projet de statue du Général au pont de Dinant, l’amiral Philippe de Gaulle, profondément ému du projet de la ville de Dinant, répond à la question de l’endroit exact de la blessure de son père :
« En ce qui concerne la petite controverse du lieu exact de la blessure de mon père, je pense que la courte lettre tapée à la machine, qu’il a signée le 20 mai 19703, voulait indiquer qu’il venait du passage à niveau et que sa compagnie n’avait pas franchi le pont, lui ayant été blessé à l’entrée de ce dernier.
Ainsi de son manuscrit du 4 janvier 1949 dont vous possédez le texte4et ainsi du carnet manuscrit commencé le 1er août 1914 qui est en archives difficilement accessibles qui a néanmoins été exposé plusieurs fois à Paris, il y a une vingtaine d’années, et qui a été publié chez Plon en 1980 dans ses « Lettres, Notes et Carnets ».
QUE DIT CHARLES DE GAULLE DANS SES CARNETS ?
Il décrit très clairement le point de départ de sa section à partir du passage à niveau de la rue Sodar, l’entassement au bout de cette rue débouchant dans la rue de la station qui se trouve exactement dans l’axe du pont à franchir
Étant donné la proximité de l’évènement, la précision consignée dans ses carnets rédigés au cours de sa convalescence à l’hôpital de Lyon : « J’ai à peine franchi la vingtaine de mètres qui nous séparent de l’entrée du pont … » doit être considérée comme la version la plus vraisemblable.
De Gaulle de retour à Dinant
Au mois d’août 1923, à la fin de la première année à l’Ecole supérieure de guerre, en compagnie d’une trentaine d’élèves, le capitaine de Gaulle visite, lors d’une excursion en Belgique, le château de Bouillon, les grottes de Han sur Lesse ainsi que la ville de Dinant qu’il appelle « mon champ de bataille ».
La plupart des officiers sont accompagnés de leur épouse. Sa femme Yvonne a ainsi pu voir le lieu de son baptême du feu et de sa première blessure.
NOTES D’UN CARNET PERSONNEL5
Août 1923.
Visite Dinant, mon « champ de bataille ». 30 hommes de 25 à 40 ans. J’étais le seul qui eût fait la guerre !
Grottes de Han. Bouillon – Château de Bouillon construit au VIIe siècle, restauré par Louis XIV.
Bouillon français en dehors de nos frontières.
CARTE POSTALE DU CHÂTEAU DE BOUILLON ENVOYÉE À SON PÈRE LE 30 AOÛT 1923
Mon cher papa,
Voici Bouillon, Bouillon français que nos folles secousses révolutionnaires ont eu pour résultat d’exclure de nos frontières.
Yvonne et moi vous envoyons, ainsi qu’à Maman, nos respectueuses tendresses. Mille affections à tous.
Charles de Gaulle
1927 : À Dinant, de Gaulle et Pétain, côte à côte
Le 11 septembre 1927, le maréchal de France Philippe Pétain est l’invité d’honneur de la Ville de Dinant et de l’Association « Les Amitiés françaises ».
Ce n’est pas un hasard si le capitaine Charles de Gaulle, qui est affecté depuis le 1er juillet 1925 et pour quelques jours encore, à l’état-major particulier du vice-président du Conseil supérieur de la guerre, fait office d’aide de camp du maréchal Pétain à Dinant.
Le vainqueur de Verdun doit inaugurer une avenue à son nom (elle deviendra l’avenue Churchill en 1945 !) et, au cimetière français de la citadelle, le monument l’Assaut, œuvre du sculpteur dinantais, Alexandre Daoust, représentant le sergent-major Bouchez, baïonnette au canon, montant le premier à l’assaut de la citadelle.
COUR DE L’HÔTEL DE VILLE DE DINANT, LE 11 SEPTEMBRE 1927
Devant le monument aux morts, le maréchal Pétain entouré du bourgmestre, Léon Sasserath et du président des Amitiés françaises, Édouard Gérard. Derrière eux, le capitaine de Gaulle.
Après les cérémonies de Dinant, le maréchal Pétain accompagné de son aide de camp, le capitaine de Gaulle, ainsi que plusieurs généraux français et belges se retrouvent au château de Bioul, à quelques kilomètres de Dinant, à l’invitation du baron Vaxelaire.
A l’arrière-plan, le capitaine de Gaulle
C’est au cours des combats d’août 1914, dans la région deDinant où il avait établi son poste de commandement, que le général Pétain avait séjourné au château de Bioul et noué des relations amicales avec son propriétaire.
De g à dr : le capitaine de Gaulle, le maréchal Pétain et le bourgmestre de Dinant, Léon Sasserath.
Face au monument français, le maréchal Pétain prononce son discours. A droite, de dos, le capitaine de Gaulle.
Au château de Bioul (entre Dinant et Namur)
Sur la terrasse du château, Pétain entouré de généraux belges et français. Derrière le maréchal, on reconnaît aisément le capitaine de Gaulle.
Dinant et Charles de Gaulle, une histoire de cœur ?
Charles de Gaulle aurait encore pu revenir à Dinant. Deux occasions ont sans doute été manquées.
En septembre 1945, quelques jours avant la visite officielle du général de Gaulle à Bruxelles, l’oncle du notaire Henri Mathot, député de l’arrondissement de Dinant, écrit à l’ambassadeur de France, Raymond Brugère, pour lui proposer une brève visite du Général à Dinant. Le programme établi par le Palais royal ne l’a malheureusement pas rendu possible.
RÉPONSE DE L’AMBASSADEUR DE FRANCE AU DÉPUTÉ MATHOT
En 1963, en visite officielle dans le département des Ardennes, Charles de Gaulle, président de la République française, est à Givet, le 23 avril, à vingt kilomètres de Dinant.
N’a-t-il pas dit à des personnalités dinantaises présentes :
« J’aurais aimé revoir Dinant ».
Dans le cœur de Charles de Gaulle, Dinant qui peut s’enorgueillir d’avoir été le théâtre de son baptême du feu et de sa première blessure de guerre, aura toujours occupé une place privilégiée.
De Gaulle à Givet
Allocution du général de Gaulle au balcon de l’hôtel de ville de Givet, place Carnot, le 23 avril 1963.
Notre-Dame de Foy à Dinant
On ne peut pas parler de la relation de Charles de Gaulle avec Dinant sans évoquer Notre-Dame de Foy.
Si l’on se réfère à des témoignages plus ou moins dignes de foi, Charles de Gaulle aurait eu, dès sa plus tendre enfance, une réelle dévotion pour Notre-Dame de Foy dont la statuette se trouve précisément dans une niche vitrée de la façade de sa maison natale à Lille.
La niche de N-D de Foy en façade de la maison natale à Lille.
(Photo C. Ferrier)
Adolescent, il aurait formulé cette prière :
« N’importe quoi, Notre-Dame de Foy, mais quelque chose de grand. »
Notre-Dame de Foy est originaire de Foy Notre-Dame, petit village faisant partie de l’entité dinantaise.Le 6 juillet 1609, un bûcheron chargé de couper un gros chêne destiné à la construction d’un bateau, découvre fortuitement une petite statue de la Vierge Marie en pierre apparemment datée du XVe siècle et qui va s’avérer miraculeuse.
Les pèlerins vont bientôt affluer de partout et quelques années plus tard, une remarquable église sera construite. Son plafond formé de 145 caissons peints représentant une centaine de saints et de bienheureux constitue à lui seul une œuvre unique.
Si le développement du culte pour la vierge de N-D de Foy s’inscrit dans le cadre d’une dévotion populaire spontanée, il doit également se comprendre dans l’intérêt politique qu’il présente dans la lutte contre le protestantisme.
Les jésuites prendront une part importante dans la propagation du culte de N-D de Foy jusque dans le nord de la France, notamment à Lille, et dans de nombreux pays d’Europe et même jusqu’au Québec.
Pour le premier anniversaire de la mort du Général, le 9 novembre 1971, une délégation dinantaise6 se rendit à Colombey-les-deux-Eglises pour remettre à Madame de Gaulle une statuette en chêne spécialement sculptée par un grand artiste belge, réplique exacte de la statue miraculeuse de N-D de Foy.
Le 15 novembre, Madame de Gaulle remerciait par une gentille lettre, l’abbé Albert Dubois, curé de Foy N-D qui, souffrant, n’avait malheureusement, pu être du voyage :
« Monsieur le Curé,
Combien j’ai été émue de recevoir cette statue de Notre-Dame de Foy ! Combien je vous remercie, ainsi que vos amis, d’avoir eu la pensée de l’apporter à l’époque de ce premier anniversaire de la mort du général de Gaulle. Elle sera en honneur dans notre maison. »
Lettre d’Yvonne de Gaulle
à l’abbé Albert Dubois
La statuette a toujours sa place sur la cheminée de la salle à manger de la Boisserie
C.F.
NOTES ET RÉFÉRENCES
1. Charles de Gaulle, 1980, Lettres, Notes et Carnets,1905-1918, Plon, pp90-91.
2. Philippe de Gaulle, 1997, Mémoires accessoires, 1921-1946, Plon, p. 52.
3. La réponse à Roger Bodart.
4. L’amiral fait allusion à la réponse au notaire Le Boulengé.
5. Charles de Gaulle, 1980, Lettres, notes et carnets, tome II, Plon, p. 208.
6. La délégation se composait de : MM. Léon Gigot, Georges Bourdeaux, Robert Colet, Robert Leclerc, Léon Knuts, Gilbert Navet et Raoul Daras.
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