Le Secrétaire d’État des États-Unis, Mike Pompeo, est souvent décrit, par les observateurs de la politique américaine, comme un « faucon », un « va-t-en-guerre », un « néoconservateur »... Qu’en est-il vraiment et qui est réellement Mike Pompeo, au regard de ses deux ans et demi passés à la tête des Affaires étrangères de Washington ?
L’une des principales qualités d’un manager est de savoir bien s’entourer. Et même si Donald Trump, novice en politique mais ancien grand entrepreneur de New-York, est toujours sous-estimé, il possède de toute évidence cette compétence qui lui a permis de faire fructifier ses affaires dans le civil comme de ne pas tomber dans les pièges politiques depuis quatre ans.
Certes, depuis 2016, au Secrétariat d’État et à la Défense (comme ailleurs dans l’administration Trump), d'innombrables collaborateurs et ministres, démissionnaires ou congédiés, se sont succédé à un rythme infernal. Un turn-over assez inédit à Washington et dans l’histoire du pays, dû essentiellement au caractère intransigeant du sulfureux locataire de la Maison-Blanche, qui confond souvent les impératifs de succès et les notions de temps du monde de l’entreprise et de la géopolitique, pourtant très différents.
La conquête du pouvoir suprême fut effectuée de main de maître. Mais la victoire acquise, Donald Trump savait que sa tâche serait loin d’être simple, qu’il n’aurait aucun répit et qu’il serait attaqué de toute part. Même dans son propre camp. En politique, les alliés ou les « amis » peuvent s’avérer devenir les pires ennemis. C’est pourquoi, il lui fallait, dès son investiture, placer devant la porte du Bureau ovale d’efficaces Cerbères.
Âgé de 61 ans, l’ancien gouverneur de l’Indiana, Mike Pence, le discret vice-président américain, est connu pour avoir rempli ce rôle. Conservateur mais homme politique calme, posé et respectable, Pence possède toujours une base électorale solide et surtout, les réseaux nécessaires et indispensables au soutien du parti Républicain pour le Président sortant. D’ailleurs, après quatre ans à la Maison-Blanche, le vice-président a été reconduit par la convention du Parti le 27 août dernier.
Mais un autre « survivant » de l’équipe Trump s’est révélé être un élément clé dans la politique du Président. Peut-être plus important que Pence puisqu’il est devenu, depuis quatre ans, un rouage essentiel et incontournable, tant sur le plan intérieur qu’extérieur.
Pompeo, un Mazarin américain
En fonction depuis le 26 avril 2018, l’actuel Secrétaire d’Etat des Etats-Unis, Mike Pompeo est souvent représenté dans les analyses superficielles et partisanes des médias comme un « faucon » ou un « va-t-en-guerre ». Or, il ne faut pas se méprendre sur le personnage car il n’est rien de tout cela. Certes, Directeur de la CIA de 2017 à 2018, ne voulait-il pas que l’Agence soit « plus agressive, brutale, impitoyable, implacable » ? Le journaliste d’investigation, Maxime Chaix, le décrit à juste titre comme un « Dick Cheney de la guerre économique ». Il est vrai qu’il est peut-être le maître d’œuvre voire le véritable architecte de la politique de pressions maximales de Trump au Moyen-Orient, notamment envers l’Iran.
Cette stratégie de la tension calculée et maîtrisée satisfait pleinement par ailleurs le complexe militaro-industriel. Car, même en l’absence de guerre, les ventes d’armes américaines se multiplient dans la région (cf. les F35...).
Depuis peu toutefois, dans certains milieux d’initiés, une rumeur court encore sur une éventuelle et prochaine intervention militaire américaine au Moyen-Orient. A quelques semaines de l’échéance de novembre, cela paraît fort peu probable, quand on connaît la position du Président sortant sur le sujet. Sur nombre de dossiers de la région - où il joue un rôle discret mais primordial comme dans les « Accords d’Abraham » ou le « Deal du siècle » -
et même sur l’Iran, Pompeo est, beaucoup plus qu’on ne le croit, sur la même ligne que son patron dont il souhaite la victoire pour ses propres ambitions politiques...
C’est peut-être le Secrétaire d’État américain qui est même à l’origine de cette rumeur concernant un conflit éminent. N’oublions pas que Trump et Pompeo participent tous deux à une chorégraphie bien huilée. Se partageant et s’échangeant les rôles des fameux « bad cop » et « good cop » au gré des circonstances, ils jettent ainsi le chaud et froid dans toutes les négociations en cours. Quand Trump menace, Pompeo devient le modérateur. Et inversement, quand le Président appelle au dialogue, le Secrétaire d’Etat joue les durs.
Aux Etats-Unis, plus qu’ailleurs, les politiques internationale et intérieure s’imbriquent et parfois se confondent.
Si un temps, Donald Trump avait choisi comme conseiller à la sécurité nationale des États-Unis John Bolton, un vrai « va-t-en-guerre » lui, et surtout le chantre des néoconservateurs américains, pour succéder au général H.R. McMaster, c’est d’abord (comme d’ailleurs, dans une moindre mesure avec la nomination de Mike Pompeo au Secrétariat d’Etat) pour des raisons de politique intérieure. Car en effet, cette décision très politicienne (avant les élections de novembre 2018, les Midterms) avait certes d’abord permis de lancer un message fort à Téhéran et ainsi inquiéter les Iraniens (tout en rassurant au passage les alliés israéliens et saoudiens). Or, il ne faut pas perdre de vue que pour le président américain, ce fut surtout un subtil moyen, le temps des élections, d’amadouer, voire de calmer, les critiques du courant néoconservateur (soutenu par les lobbies anti-russes et pro-saoudiens) encore très influents à Washington, notamment chez les élus républicains mais également démocrates. Mais en septembre 2019, Bolton, trop véhément contre l’Iran, fut de ce fait congédié.
Mike Pompeo, lui, est toujours là et bien là ! Discipliné, limite obséquieux avec Trump, il est actuellement peut-être même l’éminence grise la plus influente de la Maison-Blanche. A la différence des néoconservateurs et intellectuels hors sol, comme John Bolton, le massif Secrétaire d’Etat, lui, serait plutôt une sorte de Mazarin de 130 Kg !
Ancien militaire et major de promotion de West Point, docteur en droit d’Harvard, avocat, homme d’affaires et ex-patron de la CIA de 2017 à 2018 (qu’il a, au passage, méthodiquement purgée des éléments les plus dogmatiques et belliqueux), ce petit-fils d’immigrés italiens connaît très bien les arcanes internationales et particulièrement moyen-orientales. C’est un réaliste et un pragmatique.
Ne perdons pas de vue, qu’il est également un stratège et tacticien, et surtout, un fin politicien, élu républicain du Kansas à la Chambre des représentants depuis 2011.
Sans scrupule, redoutable manœuvrier et grand connaisseur des rouages de la politique politicienne américaine et des coulisses du Congrès, il se doit donc de louvoyer et composer avec ses électeurs, ses riches donateurs, les barons (et les autres « faucons ») de son parti et par-dessus tout, les puissants groupes d’influence de Washington.
Très rusé et très intelligent, comme toutes les personnes efficaces, il demeure souvent en retrait mais ne cache plus néanmoins ses ambitions présidentielles pour 2024. Même si les derniers sondages du parti Républicain sur cette lointaine échéance le situent, pour l’instant, en 3e ou 4e position derrière Pence voire Ivanka Trump, son avenir dépend grandement de la victoire du Président sortant. Jusqu’au 3 novembre, Pompeo évitera donc d’engager son pays dans un nouveau conflit ouvert au Moyen-Orient.
Pour preuve, en dépit des dernières attaques de milices chiites sur l’ambassade, les intérêts et les militaires américains en Irak, les Etats-Unis font toujours, pour le moment, le dos rond...
Comme le dit le proverbe : « Méfions-nous toujours de l’homme silencieux. Car pendant que les autres parlent, il observe. Quand les autres agissent, il calcule. Et quand les autres se reposent enfin... il frappe ! »
R.L.
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