OCTOBRE - NOVEMBRE 2020

Le Kirghizistan : un modèle d’alliance avec la Russie ?

par François LEJEUNE


Le Kirghizistan ou République Kirghize est un pays au centre de l’Asie centrale. Très montagneux, il est souvent confondu avec ses voisins. Le Kirghizistan est la seule démocratie aux alentours. La situation économique est sociale est loin d’être fameuse malgré des indicateurs socio-économique moyens. Après la révolution de 2010 et les affrontements inter ethniques violent qui s’en est suivis, le pays s’est tourné vers Moscou et a entrepris une politique de reconstruction et de consolidation de l’État sous l’aile de la Russie. Ce pays a maintenu tant bien que mal la russophonie de son pays ainsi que sa présence au coté de son puisant allié dans les organisations internationale eurasiatique.
Cette petite république depuis 2010 est connue comme l’archétype du pays asiatique fidèle à Moscou. Même si elle n’est pas en guerre une base de l’armée russe est maintenue et la Fédération russe a investi dans cette petite république turcophone à large majorité musulmane. Les présidents et ministres rassurent toujours Moscou et affichent leurs amitiés avec le Kremlin. Néanmoins, il convient de noter que cette alliance et cette domination souffrent de plusieurs problèmes.
En effet l’économie contrairement à ses voisins ne peut pas se reposer sur les hydrocarbures et la dépendance envers le grand frère russe se fait sentir. La corruption règne à tous les niveaux et la criminalité organisée prospère. Les tensions économiques et sociales se traduisent parfois violement notamment avec la minorité Ouzbek interne forte de prêt de 15 % de la population.
Plus qu’un problème inter ethnique, l’islamisme semble pointer le bout de son nez.
Le Kirghizistan est l’une des deux ex-Républiques socialistes soviétiques, avec le Kazakhstan, à avoir conservé le russe comme langue officielle. Le pays a, en plus de celle-ci, ajouté la langue kirghize peu après l’indépendance en septembre 1991. Celle-ci appartient au groupe des langues turques. En 1924, un alphabet basé sur l'alphabet arabe fut introduit, remplacé par l'alphabet latin en 1928. En 1941, l'alphabet cyrillique fut définitivement adopté.
Toutefois, la langue russe est maîtrisée par 40 % de la population en raison du fait qu’elle constitue encore la langue des affaires et de la politique. On constate néanmoins une tendance à une arrivée de la langue kirghize sur la place publique. Les mesures adoptées à l'égard de la langue russe permettraient surtout de contenter les investisseurs russes et de juguler la fuite des russophones hors de Kirghizie.
La dégradation de la qualité de l’enseignement du russe s’est fait sentir sur la jeune génération au détriment du Kirghize et de manière informelle de l’Ouzbek. Le moins que l'on puisse dire, c'est que la question linguistique est restée au Kirghizistan un objet de grande controverse et que la bagarre n'est certainement pas terminée.
Le Kirghizistan jouissait d’une pertinence stratégique durant le pic du conflit en Afghanistan. Entre 2001 et 2013, la coalition menée par les États-Unis avait une base militaire à Bichkek. Dans la foulée, en 2002, la Russie a également déployé une présence militaire. Cela signifie que pendant des années, le Kirghizistan était l’un des rares pays dont le territoire abritait des forces russes, américaines et des autres nations de la coalition. La situation a changé en 2013 lorsque les USA ont modifié leur stratégie et diminué leurs opérations en Afghanistan. Le contrat de location pour la base à Bichkek est également arrivé à expiration et n’a pas été renouvelé, obligeant ainsi les États-Unis à quitter.
L’intérêt que les États-Unis portent pour l’Asie centrale a considérablement chuté et Washington ne considère plus la région comme l’une de ses priorités. L’armée kirghize pour sa part a été complètement restructurée sur la base des forces russes en complément même des forces de leurs bases militaires sur place. Beaucoup d’expert pointe la faiblesse de cette armée et de la police ne cas de conflit majeur.
La criminalité n’est pas en reste dans ce pays, notamment le trafic de drogue. La frontière sud du Kirghizstan avec le Tadjikistan et l’Ouzbékistan, dans la région d’Och, joue avec celle de Batken, un rôle-clé : depuis 2002, on observe dans ces deux provinces une progression spectaculaire du trafic d’opiacés afghans.
Ces trafics agissent en parfaite impunité à cause d’un état pauvre miné par la corruption qui ne veut pas faire de vagues et se fâcher avec des groupes criminels qui achètent la tranquillité.
Bien qu’indépendant depuis 1991, le Kirghizistan reste économiquement dépendant de la Russie, son plus grand partenaire commercial et le premier investisseur. La Chine pour sa part n’y porte que peu d’intérêt. La population est d’environ six millions d’habitants et un peu moins d’un million travaillent en Russie. Les envois de fonds provenant de ces travailleurs représentent 30 % de notre PIB.
Ces chiffres approximatifs parlent d’eux-mêmes. Le Kirghizistan poussé par ses intérêts économiques a récemment rejoint l’Union Économique Eurasienne (UEE) et la Russie a promis de débloquer des fonds pour nous venir en aide.
L’UEE offre aussi des avantages au niveau de l’emploi en facilitant l’octroi de permis de travail depuis notre adhésion. Selon la terminologie en usage jadis, le Kirghizistan socialiste bénéficiait de dotations, ce qui signifie que son budget était subventionné par Moscou jusqu’en 1991. Ensuite, le Kirghizistan a été obligé de moderniser son économie, mais beaucoup sont partis chercher du travail à l’étranger. Le plus simple était d’aller en Russie.
En 2014, suite aux sanctions économiques contre la Russie, beaucoup de Kirghizes ont perdu leur emploi et sont rentrés au pays. Les transferts d’argent provenant des travailleurs émigrés ont cessé d’affluer. Pire encore, les réfugiés ukrainiens se sont vus préférés par les employeurs russes et les immigrants kirghizes ont vu leurs conditions se dégrader pour ceux qui ont réussi à travailler en Russie.
La pression démographique n’a pas cessé malgré l’immigration des populations russophones vers la Russie. Les tensions entre communauté Kirghize et Ouzbek ont afflué. Les Ouzbeks constituent 15% de la population et restent proches de leur patrie d’origine l’Ouzbékistan. Les membres de la minorité ouzbek ne sont pas représentés dans l'administration régionale, ni dans les commerces ni dans les médias ; ils doivent faire face à certaines suspicions de la part des Kirghizes qui, depuis l'indépendance, se méfient des Ouzbeks. Se sentant exclus de la vie politique et subissant des pressions dans le domaine économique, certains Ouzbeks trouvent un débouché dans la criminalité ou le fondamentalisme islamique.
Suite à la dissolution de l’Union Soviétique, le regain d’intérêt pour la religion a été fort. L’Islam Kirghize était peu revendicatif et emprunt de coutumes locales colorées et peu orthodoxe. De manière générale la population était vu comme très peu pratiquante.
Les organisations caritatives islamiques et les mosquées sont apparues dans le paysage kirghize, et joue en grande partie, un rôle constructif pour empêcher les jeunes de s’engager sur la voie du radicalisme. Telle est la raison pour laquelle les autorités kirghizes maintiennent un dialogue avec eux. La fondation Iman par exemple, donne des bourses d’études à ceux qui désirent recevoir une éducation religieuse formelle pour devenir eux-mêmes des enseignants en religion.
Les chrétiens (8 %) pour la plupart orthodoxes et slaves jouissent d’une relative paix, mais les organisations protestantes pointent des injustices et des pressions sur leurs convertis issues de l’Islam.
Mais malgré un discours officiel rassurant, on peut voir un islamisme rampant venant d’Arabie Saoudite et des frères musulmans de Turquie. Ces pays ont financé la restauration et la construction de mosquée ainsi que d’écoles coraniques.
Les autorités kirghizes ont choisi une politique inclusive et cherche le dialogue avec tous les groupes religieux, au lieu de les montrer d’un doigt accusateur. C’est par exemple le cas de Tablighi Jamaat qui n’est pas interdit au Kirghizistan à la différence de certains pays voisins. Si l’État achète en partie la paix avec les islamistes, le pays sert de terrain de replis pour les islamistes persécutés par les pays voisins.
L’islamisation se fait sentir avec le Hidjab noir qui apparait dans les lieux publics. Des Kirghizes sont partis rejoindre l’« État islamique » et les autorités militaires et policières du pays font état d’une montée de l’islamisme qui pourrait déboucher vers du terrorisme. Un scénario de guerre civile pourrait même avoir lieu selon les spécialistes les plus alarmistes.
Dans cette position extrême seule la Russie serait à même de régler le conflit. La Russie réussira-t-elle jouer les pompiers et garder ce pays dans son orbite ? Seul l’avenir le dira …

F.L.

SOURCES

Dessous des cartes sur l’Asie centrale

Sites novostan et Eurasia.net

Partager cette page

S'abonner à « Méthode »


Saisissez votre adresse mail dans l'espace ci-dessous : c'est gratuit et sans engagement

Nous contacter