Lorsque l’on évoque le sujet des volontaires internationaux, involontairement mille images nous viennent à l’esprit, mêlant vision romanesque de l’aventurier et figure fantasmée du mercenaire. Naturellement, l’une des principales questions posées à tout volontaire étranger présent dans le Donbass est celle tenant aux raisons de sa présence. Question aussi vaste que personnelle, elle permettrait au curieux de mieux cerner son interlocuteur, comme si sa démarche ne pouvait aller de soi et devait nécessairement être le fruit de réflexions byzantines.
Guerre des Cristeros, d’Espagne, de Yougoslavie… Les exemples de conflits nationaux auxquels prirent part des volontaires extranationaux ne manquent pas et des parallèles plus ou moins hasardeux peuvent être tracés au gré des affinités politiques de l’observateur. Or, ces évocations romantiques ne résistent que très difficilement à l’épreuve du constat sommaire que l’on peut faire quant à la disparité des sensibilités et des motivations tant personnelles que politiques partagées par les volontaires. Il est certes assez poétique d’essayer d’inscrire ce phénomène dans la continuité historique des conflits du siècle dernier, mais ce n’est bien souvent qu’au prix d’une forme de négation des réalités concrètes.
Indépendamment de toute question politique et historique, dans l’inconscient collectif la figure du volontaire se confond assez régulièrement avec celle du mercenaire. Bien plus qu’une simple question d’ignorance, l’analogie qui est faite est symptomatique d’une frontière extrêmement poreuse entre ces deux profils.
Figure du mercenariat à la française et compagnon de route de Bob Denard, François-Xavier Sidos distinguait trois formes de motivations dans l’engagement du mercenaire : un attrait purement financier, un goût de l’aventure ou un engagement idéologique. Or, là où les motivations du mercenaire sont relativement explicites, il n’en va pas de même pour celles du volontaire. Ainsi, d’un point de vue strictement juridique, la définition du statut du combattant – dont la protection est par principe refusé au mercenaire — est particulièrement significative de la difficulté de parvenir à une définition objective. Effectivement, les trois profils retenus par Sidos peuvent s’appliquer à l’une ou l’autre partie. Dès lors, le critère de distinction semblant faire l’unanimité est celui « d’avantage financier » or, sous la pression des autorités françaises se refusant à considérer la Légion étrangère comme des mercenaires, celui-ci a fortement été relativisé. Dans un premier temps, fut donc mis en avant le fait que l’État au service duquel se met le mercenaire devait être légitime et reconnu internationalement. Néanmoins, au vu des accords internationaux, il importe peu que l’État duquel est issu le combattant soit reconnu par l’adversaire, pour lui octroyer le statut de combattant. Ipso facto, si le volontaire est combattant, il ne peut être mercenaire. De manière pragmatique, est considéré comme mercenaire, toute personne s’engageant au service d’un État dont il n’est pas ressortissant, afin d’obtenir un avantage financier supérieur à ce qu’obtiennent des nationaux.
À cet effet, par logique inverse, on pourrait être amené à considérer qu’est volontaire tout individu s’engageant dans un conflit armé sans être motivé par l’appât du gain. Cette définition permet peut-être d’établir une distinction avec le mercenaire, mais n’est pas suffisante pour définir le mobile de l’engagement du volontaire en tant que tel. Bien qu’il n’obtienne pas nécessairement un avantage financier par rapport à celui des autres engagés, la solde peut être bien supérieure à ce qu’il obtiendrait dans son pays d’origine. En ce sens, il serait réducteur de considérer qu’un volontaire ne puisse être vénal. De même, il pourra tout aussi être attiré par l’aventure que par idéologie.
En considérant que le profil de l’aventurier et du « gamelard » n’est pas caractéristique de l’engagement des volontaires internationaux dans la Donbass, mais inhérent à tout conflit, il conviendra de ne pas s’y attarder outre mesure. La question fondamentale est ainsi celle de l’idéologie. Là où un mercenaire pourra s’engager auprès d’un État par conscience politique, cette motivation ne sera pas déterminante, mais intimement liée à une question financière servant de vecteur commun.
Ainsi, il semble opportun de se demander si le volontaire international présent dans le Donbass peut être considéré comme un partisan politique. Le cas échéant, comment expliquer la multiplicité des consciences politiques en présence ? Répondre à ces questions amènera nécessairement à démontrer en quoi l’afflux des volontaires dans le Donbass n’est pas symptomatique des conflits du XXe siècle.
Jean-Paul Sartre écrivait que « toute guerre est un manichéisme », l’affrontement de ce que l’on perçoit comme le bien envers le mal, de l’ami contre l’ennemi. Cette manière de percevoir le conflit, tenante des théories schmittienne et freundienne, a transcendé la vision politique de la deuxième moitié du XXe siècle, à tel point que certains penseurs ont pu y voir le moteur de l’Histoire. Celle des volontaires internationaux au cours du siècle dernier en est ainsi une parfaite illustration. Que ce soit entre laïcs et catholiques, entre « fascistes » et communistes ou encore entre impérialistes et anti-impérialistes, les lignes de fracture étaient bien définies et particulièrement visibles. Néanmoins, si les belligérants pouvaient être clairement identifiés d’un point de vue idéologique, il n’en allait pas nécessairement de même concernant les hommes qui les composent.
Bien que portées par un élan antifasciste commun, les brigades internationales étaient composées d’hommes aux motivations multiples, pouvant aller de la défense de la démocratie à la volonté de la mise en place d’une révolution prolétarienne. Ces mêmes divergences se retrouvèrent au sein des volontaires français qui servirent sous l’uniforme feldgrau durant la Seconde Guerre mondiale. Que ce soit par anglophobie, par antijudaïsme, par antibolchevisme, par patriotisme français ou européen, ils acceptèrent tous de se ranger derrière le IIIe Reich, dans une volonté commune de combattre le « bolchevisme » et de participer à la création d’une certaine vision de l’Europe. De manière similaire, les luttes « anti-impérialistes » de la seconde moitié du XXe siècle, menées au nom du communisme dépassèrent largement cette idéologie, tant sur les tenants, que sur les aboutissants. De manière symptomatique et quel que soit le conflit, les volontaires étrangers étaient animés de motivations extrêmement diverses pouvant se révéler parfois opposées, mais ils acceptèrent tous de se ranger derrière un idéal plus vaste et clairement défini.
La fin de « l’équilibre traditionnel » du monde, faisant suite à la chute du bloc soviétique, est venue complexifier cette situation. Elle s’est caractérisée d’une part par la victoire du libéralisme sur le champ politique et par l’hégémonie américaine d’un point de vue géopolitique. En partant de ce postulat, des auteurs comme Francis Fukuyama ont pu proclamer « la fin de l’histoire », amenant à une crise des idéologies voire à leur fin. Historiquement, le libéralisme s’est effectivement opposé au marxisme et au fascisme en leur menant une guerre non seulement technologique pour sa survie, mais en défendant une certaine idée d’un modèle futur. En vainquant ses opposants, il devient la seule pratique post-politique. Puisque fondé sur les principes occidentaux humanistes des lumières, le libéralisme politique implique les notions de libertés et de démocratie. John Stuart Mill souligne à ce propos que la liberté défendue est ainsi une notion strictement négative, dissociant un concept de liberté relative et la liberté de faire. Dans l’esprit, l’on se retrouve à nouveau dans une dialectique ami/ennemi où l’adversaire n’est plus défini par lui-même, mais par opposition avec soi-même. Toute idéologie ne se fondant pas directement sur le libéralisme politique lui est dès lors hostile.
Le politologue russe et journaliste Andreï Gratchev constate ainsi que « la chute du mur de Berlin a marqué un tournant : l’effondrement du communisme, la faillite de ses régimes et surtout de l’idéologie en tant que telle, ont débouché sur l’unipolarisation du monde autour des États-Unis et l’accélération de la mondialisation, de la globalisation. Les soldats perdus qui étaient jadis manipulés par l’un des deux grands camps se sont laissé happer par les idéologies faciles, primitives et belliqueuses : le nationalisme, le fondamentalisme religieux. Le vide créé par le démantèlement de l’empire soviétique est donc bien à l’origine de la généralisation des guerres asymétriques ».
À l’heure où politologues et historiens ont proclamé la fin de la bipolarisation du monde et par là même la fin du conflit manichéen, peut-on encore parler d’homogénéité dans l’engagement des volontaires ?
Indépendamment de la mutation structurelle des idéologies politiques, l’évolution et la redécouverte de certaines formes de guerre pourraient expliquer en partie le relatif flou artistique entourant les motivations des volontaires internationaux.
Suite à la seconde Guerre du Golfe, différents stratèges ont renouvelé le concept de guerre moderne, en distinguant les conflits symétriques, dissymétriques et asymétriques. Bien plus qu’une forme nouvelle, il s’agirait davantage d’une redécouverte de modes opératoires considérés jusqu’à présent comme anecdotiques ou désuets. S’ils semblent s’imposer actuellement, c’est que le type symétrique classique a montré sa faiblesse lors des deux guerres mondiales et de la guerre froide, amenant à un enlisement systématique. Ainsi, selon l’État-major de l’armée française, la dissymétrie présente un « déséquilibre au niveau de la performance des moyens employés », alors que l’asymétrie serait caractérisée par une « différence radicale dans la manière d’agir et de réagir, du fait de l’hétérogénéité des valeurs morales ou des modes d’action ».
Du fait de ses particularismes, il semble délicat d’analyser le conflit ukrainien sous un seul et même angle. D’une situation initiale caractérisée par des mouvements populaires, en se stabilisant et en s’institutionnalisant, le conflit a stratégiquement changé de nature. Ainsi, il semble nécessaire de distinguer deux périodes : l’une correspondant à un conflit asymétrique et l’autre correspondant davantage au type dissymétrique.
Violence politique, « terrorisme » et guerre de l’information peuvent caractériser une première période où la distinction entre les personnes participant ou non au conflit était extrêmement poreuse. Effectivement, l’asymétrie se caractérise également par le fait qu’une multiplicité de groupes armés non étatiques participe au conflit. Ce critère « d’étatique » permet d’opposer des moyens d’action considérés comme conventionnels à d’autres qui ne le sont pas. Au regard du conflit ukrainien, cette distinction bipartite semble trop restrictive pour être pertinente, puisqu’il existe des groupes non étatiques tant du côté loyaliste que séparatiste. L’utilisation par l’État de moyens d’action qui ne lui sont traditionnellement pas associés pourrait expliquer pour partie la politisation caricaturale des belligérants. C’est le propre des forces non gouvernementales que d’utiliser la guerre de l’information et la propagande afin de renforcer leurs effectifs. Aux uns se réclamants du nazisme afin de justifier leur « antisoviétisme », les autres répondirent en se réclamant du communisme. Quelle que soit la position, elle ne fait que répondre à une logique inhérente à la structure du conflit. Ces idéologies ne sont qu’alors artificiellement rattachées aux parties et ne représentent qu’une infime réalité endogène.
La seconde période, que l’on pourrait qualifier de dissymétrique, correspondrait à celle où les deux forces en présence se sont institutionnalisées. Bien qu’il puisse y avoir une évolution certaine dans le mode opératoire, certains moyens caractéristiques du conflit asymétrique subsistent en résonnance. Néanmoins, ceux-ci sont dès lors analysés par certains observateurs comme étant substantiels. De manière significative, Alexeï Feneko analysait le conflit dans son ensemble et annonçait que « Le conflit armé en Ukraine ressemble de plus en plus à une guerre limitée du XVIIIe siècle plutôt qu’à la version moderne des guerres totales du XXIe siècle ». C’est justement le propre d’une guerre dissymétrique d’éviter que le conflit s’étende comme une traînée de poudre et finisse par s’enliser. Le fait que les États-Unis et la Fédération de Russie n’interviennent pas directement n’est pas constitutif d’une guerre limitée, mais bien révélateur d’une peur commune d’un conflit ouvert symétrique.
L’illusion occidentale que l’on peut avoir d’une guerre opposant fascisme et communisme ou Américains et Soviétiques est donc essentiellement artificielle. Liée à une logique stratégique en deux temps, la politisation n’est pas fondamentale, mais n’est qu’une conséquence accessoire. Tout parallèle ainsi tracé avec les conflits idéologiques du XXe siècle devient donc parfaitement incongru. Néanmoins, ce n’est pas parce le clivage ne se situe pas sur un plan strictement politique, qu’il n’existe pas. Bien plus qu’un affrontement purement dogmatique, cette opposition – tout comme les motivations des volontaires seraient à placer dans un contexte de multipolarisation du monde.
Bien plus qu’une simple « fin de l’Histoire », l’écroulement du monde bipolaire a amené des auteurs à s’intéresser à l’émergence d’une multipolarité.
En prenant en considération que dans le contexte du XXIe siècle, une civilisation (ou grand espace) se définit comme une zone d’influence durable et enracinée d’un style socioculturel déterminé, il est tout à fait naturel d’admettre le fait que des processus analogues puissent se poursuivre autour du monde. Ainsi, à la suite de Carl Schmitt et de sa théorie de l’intégration des grands espaces, Huntington distingue la civilisation occidentale, confucéenne, japonaise, islamique, hindouiste, slave-orthodoxe, latino-américaine et peut-être la civilisation africaine. C’est l’idée même d’un monde multipolaire, d’un universalisme régional, comprenant autant de pôles que de visions différentes sur les questions culturelles, sociales ou spirituelles. Cette question fait ainsi écho à celle de l’opposition entre universalisme et relativisme. L’universalisme est la position selon laquelle certains systèmes d’éthique s’appliquent universellement, c’est-à-dire pour « tous les individus dans la même situation », indépendamment de la culture, la race, le sexe, la religion, la nationalité, la sexualité, l’inscription sociale ou tout autre caractéristique distinctive. Jean-Louis Vullierme évoquait ainsi que « L’humanisme moderne est un subjectivisme abstrait. Il imagine les hommes comme des individus préconstitués, substances universellement porteuses des mêmes attributs, aptes à faire valoir les mêmes exigences en toutes circonstances d’après des règles formelles déductibles d’une rationalité unique ». À l’opposé, le relativisme culturel est la thèse selon laquelle il n’est pas possible de déterminer une morale absolue ou universelle, mais que les valeurs morales ne valent qu’à l’intérieur de frontières culturelles, où le code moral est le produit des coutumes et des institutions du groupe humain considéré.
De manière pragmatique, s’il l’on détache toute question personnelle ou idéologique du conflit ukrainien, l’on peut se demander ce qui peut pousser des extranationaux à s’engager. Certains pourraient arguer qu’il ne s’agirait que de l’affrontement entre les impérialismes russes et américains. Dans cette mesure, s’engager ne reviendrait qu’à s’inscrire dans l’un ou l’autre camp. Si l’impérialisme est vu uniquement sous le prisme économique, en quoi cela les toucherait-il en particulier ? S’il est vu sous le prisme politique et territorial, l’on peut se demander pourquoi les volontaires ne se réduisent pas qu’aux Russes, voire aux serbes. Ainsi, il semblerait que la question soit bien plus culturelle que politique. Il s’agirait de choisir le « grand espace » dans lequel on souhaite se placer, chose particulièrement significative au regard de l’appel continuel que font les politiques au pseudo « choc des civilisations ». L’attitude hostile des néoconservateurs libéraux à l’égard des thèses de Lorenz vis-à-vis de l’inné et de l’acquis, pourrait expliquer en partie que la délimitation géographique que fait Fukuyama des blocs civilisationnels soit sujette à critique. Là où il exprime des réticences à l’égard du bloc africain unitaire, il considère qu’il existe un seul et unique espace « slave orthodoxe ». Bien que la base civilisationnelle soit commune, les cheminements historiques amenèrent à clairement distinguer Slaves de la baltique, de l’est et de l’ouest. Puisqu’il écarte toute considération raciale et ne se concentre que sur le plan purement culturel, peut-on dans cette logique se refuser à concevoir que l’influence pluriséculaire des différents Empires a pu induire un changement profond des mentalités ?
Dans la mesure où tant sur le plan religieux que philosophie, les influences lituaniennes et par la suite austro-hongroises, ont amené dans une certaine mesure à une « révolution des âmes », il semble dès lors relativement cohérent de considérer que ces zones d’influence ne sont pas intangibles. Que ce soit de manière exogène par réaction géopolitique ou par une influence purement économique amenant crescendo un changement des mentalités, ces espaces tendant à s’agrandir où à se réduire. La logique libérale et par extension la politique européenne de « démocratie militante » ont choisi de s’imposer par la politique des « petits pas ». Alexis de Tocqueville disait que la conséquence logique du libéralisme était le capitalisme. Le fait que les pays émergents et la Fédération de Russie aient adopté l’économie de marché n’amène pas nécessairement à considérer que le libéralisme connaît une victoire absolue et totale. Ces pays n’ont adopté ce modèle économique que de manière exogène, sans avoir pour autant le fondement philosophico-culturel qui s’y rapporte. Effectivement, là où en Occident le modèle libéral est perçu comme une finalité logique puisque répondant à un cheminement historique précis, ce n’est absolument pas le cas dans d’autres « grands espaces » où il pourrait être abandonné aussi vite qu’il a été adopté.
Bien plus qu’une simple question politique ou économique, il semblerait que l’engagement des volontaires soit une réponse à la multipolarisation du monde, tant dans une volonté de se placer dans un espace particulier faisant écho à leurs valeurs, que dans le fait de lutter contre un universalisme expansionniste. Cette manière d’appréhender le conflit permet de se rendre compte que les tenants d’une Ukraine strictement indépendante de toute sphère d’influence se placent à contre-courant de la logique géopolitique actuelle, en adoptant une attitude conservatrice typique des courants nationalistes du début du XXe siècle. Or, cette volonté ne permet pas à elle seule de se mettre à l’abri des « guerres de proxy » et elle offre aux espaces expansionniste un moyen de déstabilisation politique, par le biais de la stratégie du « governement change ».
dans le Donbass, 2016En tant que telles, la fin du manichéisme politique, l’évolution structurelle des conflits modernes et la « multipolarisation » du monde répondent à une même logique, mais ne peuvent à elles seules expliquer la mutation opérée dans la logique de l’engagement des volontaires. De manière bien plus individuelle, ces phénomènes ont amené à une distanciation par rapport à la politique, accentuée par une plus grande facilité d’accès à l’information via Internet. Le modèle classique du parti politique en tant que vulgarisateur et vecteur d’idéologie s’en trouve ainsi fortement diminué.
La victoire du libéralisme politique a induit une dissociation entre le spectre réel et celui présent sur la scène politique. Là où existaient par le passé des divergences fondamentales, il ne se trouve à présent que de multiples variantes d’une même idéologie. Alexandre Douguine expliquait très clairement que l’illusion du choix démocratique moderne relevait d’une grille de lecture biaisée. Pour lui, le « conservateur libéral » est tout aussi opposé au « conservateur traditionnel » que peut l’être le « social libéral » au « conservateur social ». Au libéralisme, il oppose ainsi le conservatisme, qu’il soit révolutionnaire, social, traditionaliste ou fondamentaliste. Dans cette mesure, l’on comprend mieux que des lignes de fracture profondes apparaissent au sein d’une même famille politique, mais aussi à titre d’exemple, qu’un « conservateur libéral » français puisse avoir l’illusion d’une certaine proximité avec Poutine, qualifié par Douguine de « conservateur social ». Là où jadis un parti pouvait effectivement se confondre avec la cause qu’il défendait, l’absence de réelle identité de ces premiers a inévitablement conduit à une forme de détachement du « partisan ». Le Larousse définit celui-ci comme une « personne qui est attachée à une cause, à un parti, à une doctrine dont elle prend la défense ». Puisque détaché de tout ancrage formaliste et dépourvu d’une quelconque nécessité d’identification à un groupe, le phénomène de distanciation politique vide de sa substance la définition classique. Dès lors, comment considérer que parmi les volontaires il ne puisse exister qu’une seule cause, une seule doctrine pouvant servir de vecteur unitaire ?
Il conviendrait d’atténuer ce constat devant la définition du « partisan » dans son acceptation militaire où l’on retient un double critère de non-appartenance à une armée régulière et celui d’un engagement mû par un idéalisme. L’idéalisme d’un combattant pourrait-il s’ancrer dans le réel sans l’intervention d’un parti ou d’un quelconque groupement politique ? Les théories éculées voudraient que, pour répondre à cette question, l’on procède à une définition par exclusion. Les partisans ne pourraient avoir d’unité que de manière exogène, en réaction à un phénomène externe auquel ils s’opposent de concert. Or, tout volontaire présent dans le Donbass – quelles que soient ses sensibilités politiques — vous dira qu’il n’est pas ici contre, mais pour quelque chose. La nature ayant horreur du vide, face à l’obsolescence progressive des partis, s’est développé une conception de la politique visant à la dépasser et à « s’inscrire dans les rapports de force sociaux et économiques en déployant des concepts au niveau culturel pour influencer la sphère politique et y faire progresser ses idées ». Cette définition de la métapolitique fait directement écho au phénomène d’organisation multipolaire du monde. Ainsi, « véritable guerre idéologique qui déplace les enjeux politiques, sociaux et économiques au niveau moral et culturel, cette forme de lutte politique se caractérise par l’absence de revendications politiques concrètes ». De ce fait, se plaçant sur le champ moral et culturel et dépourvu de revendications politiques concrètes, il semble difficile de définir un vecteur unitaire concret au sein des volontaires, du point de vue des conceptions politiques classiques. Appréhendées au travers d’un angle relativiste et métapolitique, les motivations deviennent évidentes. D’une certaine manière, elles peuvent même se retrouver opposées à la logique passéiste empreinte de nostalgie des observateurs s’aventurant à établir des parallèles historiques hasardeux, puisque ne se préoccupant pas du passé, mais des problématiques postmodernes. La logique dans laquelle se placent les volontaires étant fondamentalement liée à une évolution politique et géopolitique logique, toute comparaison historique ne peut être que l’expression de la projection qu’un observateur peut faire de ses propres accointances politiques. Cette conclusion prend un sens particulier à l’aune du conflit en Syrie où de multiples volontaires étrangers affluent. Là où au Donbass s’opposent des conceptions culturelles et morales différentes, l’on retrouve au Moyen-Orient une résurgence du conflit manichéen typique où les volontaires se rangent de concert derrière le « bien » pour combattre le « mal », quel qu’il soit. Ainsi, de manière flagrante, l’on peut voir qu’il ne s’agit que d’une résurgence de l’opposition classique entre deux modèles universalistes visant à s’imposer de manière globale. Caricaturalement, l’idée de « choc des civilisations » ne prend nullement en considération l’expression endogène des cultures, mais ne s’attache qu’à analyser les conséquences de leur influence prosélyte extérieure, quitte à grossièrement forcer le trait.
Il semblerait qu’aujourd’hui, dans une optique profondément relativiste, le paradigme se soit inversé. Il ne s’agit plus de mettre une cause au service d’une idéologie, mais des idéologies tant morales que culturelles au service d’une cause. À ce titre, le volontaire étranger dans le Donbass peut être considéré comme un « partisan métapolitique », un idéaliste cherchant à transcender la « politique politicienne ».
Alexandre Markovitch,
volontaire en Novorossia
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