par G.G. TCHÉPIGA
Dans l'historiographie du Donbass et vis-à-vis de certaines régions il demeure des polémiques qui prennent leur origine depuis la naissance de la science moderne au XIXème siècle. Bien que la plupart des questions problématiques de l’histoire aient trouvé leurs explications, par l’analyse de nouvelles sources historiques, des légendes demeurent...
On pourrait parler d’erreurs scientifiques si la volonté, d'ordre idéologique et politique, de cultiver ces légendes n’étaient pas si évidentes. Ainsi, il y a tout d’abord une volonté de vieillir l’âge des cités du Donbass et à les faire remonter à des temps plus ancestraux. Il en a été ainsi pour déterminer la date de la fondation du monastère de Svyatogorsk, des villes de Slavyansk, d’Artiomovsk, de Mariupol, de Donetsk – des villes et des lieux, qui sont importants pour l'histoire moderne du Donbass.
Les désaccords des historiens sur cette question se manifestent à travers plusieurs exemples. Ainsi la fondation du monastère de Svyatogorsk qui apparaît datée du début du XVIIe siècle est, pour d’autres, datée du début du XVIe siècle, voire même au XVe siècle. La ville de Slavyansk est également datée de 1645 alors qu’il semble plus probable qu’elle ait été fondée en 1676. Une volonté d’antérioriser la fondation de la première colonie permanente sur le site de la ville de Mariupol est aussi constaté en la datant du XVe siècle (1611 1634) au lieu de la seconde moitié du XVIIIe siècle. Jusqu’à présent la ville d’Artoimovsk était officiellement considérée comme une ville fondée en 1571, bien qu'il y a une preuve que c’était un « storoja » - un lieu des rencontres des troupes frontalières russes, et non pas une forteresse. Ce lieu de rencontre ne saurait donc constituer une ville à proprement parler et les sources démontrent, a contrario, que la construction d'une forteresse sur le site d'Artiomovsk par des cosaques du Don ne date que de 1701. Enfin, Donetsk, dont la date de fondation est traditionnellement considérée en 1869, est avancée à la deuxième moitié du XVIIIe siècle, en motivant l'existence sur son territoire de colonies de cosaques. En cela il est négligé, qu'aucune des colonies rurales, qui existaient à cette époque-là dans les frontières de Donetsk, n'a pas eu assez d’importance pour être considérée comme une ville.
On pourrait croire à des erreurs de jugement mais il s’agit en réalité d’une volonté de fausser l’histoire en l’étoffant de nombreux détails. Ces distorsions sont malheureusement reprises dans les ouvrages scientifiques et la littérature populaire et ainsi à nouveau dupliquées dans des ouvrages plus contemporains et dans les encyclopédies modernes. On retrouve cette même volonté de travestir l'histoire des cités moins connues du Donbass, où l’on assimile l’origine d’une cité à la présence temporaire d’une colonie, notamment lors des hivernages de cosaques au XVIIe siècle et parfois même au XVIe siècle. Dans chacun des cas, la fondation de la cité est associée aux cosaques de Zaporojié. L'affirmation selon laquelle de nombreux villages de la région du Donetsk ont été fondés durant ces périodes d’hivernages est, malheureusement, très répandue. L’ignorance des faits contribue à l’acceptation de cette version et on remarque aisément l’intérêt évident de souligner le facteur ukrainien dans le développement de la région. Il devient alors naturel et d’usage courant d’affirmer que le Donbass est une région de cosaques (de Zaporojié).
Les sources historiques ne confirment pas ces faits. A ce jour, ce sont les travaux du scientifique Vasiliï Alexeyevitch Pirko qui contiennent le plus d’informations concernant le peuplement de la région de Donetsk. Ce scientifique a alimenté une base documentaire, en citant les dates et les évènements liés avec la construction de la ville de Tor (Slavyansk), de Maytsk et d’autres cités russes dans le Pridontsovié moyen, et de leur peuplement par les Russes et les Circassiens.
C’est V.A. Pirko qui a ainsi pu identifier l’auteur de l’une des erreurs les plus répandues – la date de la fondation de l’Artiomovsk (Bakhmoute) en 1571. Cette erreur a été commise par historien ecclésiastique Théodose (Makarevskiy) dans son ouvrage « Sources pour la description historique et statistique de l’évêché d’Yekaterinoslav » (1880). C’est en fait Théodose qui le premier a erronément usé du mot « storoja » en l’associant à la ville future d’Artiomovsk. Néanmoins, Vasiliï Alexeyevitch Pirko validera l’autre information de Théodose qui concerne la présence d’une grande quantité d’hivernages de cosaques dans la région jusqu’à la deuxième moitié du XVIIIe siècle. Dans cette question Pirko a cité l’ouvrage bien connu de D.I. Yavornitskiy « Histoire des cosaques de Zaporojié ». Ce chercheur, spécialiste des cosaques de Zaporojié, en mentionnant la présence des Zaporogues sur le territoire du Priazovié nord, cite aussi l’ouvrage de Théodose. Les auteurs de l’édition célèbre « Histoire des villes et des villages de la République socialiste soviétique d'Ukraine. La région de Donetsk » dans les versions russe et ukrainien ont également utilisé l’ouvrage de Théodose. Certaines éditions contemporaines continuent de reproduire les données de cette édition qui démontre pourtant beaucoup d’anachronisme.
Ainsi, la majorité des auteurs, en mentionnant les Zaporogues dans la région de Donetsk antérieurement de la deuxième moitié du XVIIIe siècle, utilise l’ouvrage de Théodose comme ouvrage de référence. Cependant, il y a très peu de faits réellement démontrés sur les colonies de notre région au cours de la deuxième moitié du XVIIe siècle. Il n’existe qu’un fait se rapportant à la première moitié du XVIIe siècle – c’est une mention de la communauté monastique dans les Montagnes Saintes. Les informations de leur présence au cours du XVIe siècle sont totalement inexistantes. A contrario, il y a bien des témoignages archéologiques sur la migration de différents groupes de population, mais les Zaporogues ne sont pas ni les seuls et ni même les principaux. Ainsi, Théodose mentionne le lieudit « Coin Rouge », où la montagne Faucon est « fameuse et connue » pour la communauté de Zaporojié et où un docte personnage Dovgale s’est établi : « … dans le magnifique et majestueux coin, pour rendre hommage et pour les conversations spirituelles, souventes fois en hordes, les cosaques-Zaporogues venaient du lieudit de Tchenoukhino ».
Ce message qui ne contient pas de date ne se réfère par ailleurs à aucune source d’information. En outre, cette région « fameuse et connue » l’est depuis les temps anciens non seulement par la communauté de Zaporojié. Comme l'indique le document de 1704, la montagne de Faucon était non seulement connue des cosaques de Zaporojié, mais également des cosaques du Don, et des Slobojaniens depuis le début du XVIIe siècle.
D.I. Bagaleï cite ainsi un document qui mentionne le lieudit : en 1638. D. Fedorov s’est rendu sur Donets d’Azov, près des montagnes de Faucons, sur les rives des Eaux de Loup, et également au bord de la rivière Tor. Ainsi, les Tatars bien connaissaient aussi les montagnes de Faucons. Ils en avaient même un sentiment de propriété.
Il est manifeste que la plupart des auteurs utilisent essentiellement l’histoire de Zaporojié pour rendre les dates de fondations des cités plus anciennes.
Lors de l'analyse de l’ouvrage de Théodose on peut remarquer une division évidente de ces témoignages en deux parties : la première partie représente le traitement des sources cosaques, la deuxième - contient généralement les documents de la deuxième moitié du XVIIIe siècle. De courtes citations sont mises en italiques et contiennent un lexique spécifique. Théodose a essayé de mettre en évidence l'histoire des colonies de tous les districts de l’évêché d’Yekaterinoslav, pourtant l'information qui concerne les terres de Donetsk (de Priazovié) est à la fois la plus vague et la moins justifiée.
Selon les sources, le mécontentement de Kocha envers la construction de la forteresse de Bogoroditskaya par les troupes russes et d’hetman est bien connu. Ce mécontentement fut la cause d’une longue correspondance entre les différents antagonistes et a laissé des traces profondes dans l'historiographie. Cependant, dans l’ouvrage de Théodose cet événement ne s’exprima que par trois messages insipides sur la migration des Zaporogues de la ville de Samar’ durant les hivernages. Évidemment, les auteurs utilisant Théodose comme source essentielle vont, par le manque de données réelles, user de toute leur inspiration pour créer leur histoire officielle.
Un texte sur la fondation de grandes exploitations en 1737 dans les lieudits de Ravin de Pierre et d’Arroyo de Gritsenkov (où plus tard le faubourg de Pavlovka Lozovaya est apparu) et en 1738 dans le lieudit d’A-pic de Makar (Makar Sans Souche) semble douteux. Ainsi les événements politiques et militaires sur ce territoire n'ont pas pu contribuer au peuplement durant cette période, où précisément se déroulait une guerre avec la Turquie. Ces actions de guerre ont eu lieu en proximité des villes de Tor, de Bakhmoute, d’Izum, de Kharkiv. Avant même cette guerre, durant la période s’étalant de1713 à 1735, trente-cinq attaques des Tatars ont été identifiées.
Certaines attaques ont provoqué des pertes particulièrement lourdes : en 1713, 1717 les Tatars conquiert la ville de Livni, en mars 1713, 2000 personnes sont tuées et 14 340 personnes sont faites prisonnières. Quatre ans plus tard, en 1717, 30 000 personnes sont également faites prisonnières. Ce sont les régiments de Mirgorodskiy, Poltavskiy, Akhtirskiy, Kharkovskiy et Izumskiy qui vont résister à la plupart des attaques. En février 1738 Khan voulut percer « une ligne ukrainienne », et rejoignit le Severskiy Donets vers l’Izum. Il envoya des troupes dans toutes les directions et fit de nombreux prisonniers parmi les habitants des villes-forteresses de Bakhmoute, d’Izum et d’autres. Durant ces évènements, les Zaporogues effrayèrent les Tatars dans les ravins de Droujkovka. Si l'on considère la date figurant sur Droujkovka, les Zaporogues « paniquèrent, effrayèrent, stupéfièrent, frappèrent » les Tatars et ses alliés pendant des attaques simultanées dans la province de Bakhmoute.
À propos de la fondation de la ville contemporaine d’Yassinovataya (et du lieudit de même nom) il est dit qu’en 1690 (?) quelques Zaporogues ont fondé un campement d’hivernage et « ils connaissaient la ville de Bakhmoute ».
L'analyse de la chronologie selon les districts montre paradoxalement le manque d’informations pour les districts de « Donetsk ». Pour combler ce vide d’informations, les événements s’étant probablement déroulés dans les autres districts (de Pavlograd, de Novomoskovsk) sont automatiquement transférés sur ceux de Slavyanoserbsk et de Bakhmoute.
La démarche n’est pas innocente puisqu’elle permet ainsi aux Zaporogues de tenter de justifier leur droit sur plus de territoires qu'ils n’occupèrent réellement. En particulier, le message suivant témoigne de cette falsification : En automne 1769, au bord de la mer d'Azov à l'embouchure du fleuve de Mious, pas loin de Taganrog, plus de 500 Zaporogues en famille sont soudainement apparu et ont expliqué être venus pour pêcher. Ainsi Théodose raconte : tout d'abord, ils avaient pêché, puis ils ont commencé à aménager des huttes, des campement d’ hivernage, des maisons en argiles et des Kourégnes, le même nombre de Zaporogues est venu en août, et puis :
« Il s'est avéré que cette migration de Zaporogues a été réalisée sur l’ordre avisé de Kocha, qui voulait s’approprier toutes les périphéries de ses patrimoines, étendre ses possessions par son peuple et ses tributaires et prouver au monde sa possession d’un grand territoire et d’un grand pays ».
Ainsi, par la politique colonialiste de Kocha, il y a une tentative de non seulement justifier son droit sur ces terres, mais aussi et s’emparer des autres territoires. Ce phénomène historique s’est reflété dans l’ouvrage de Théodose, qui tenait textuellement ses sources de Zaporojié. Cependant, il est indispensable d’user avec prudence des références de ses ouvrages.
Dans l'histoire du Donbass on peut parler de présence de Zaporojié uniquement durant la deuxième moitié du XVIIIe siècle, mais cette présence ne représentait pas pour autant une majorité de la population. Sur ces terres, qui sont considérées comme des terres de Kalmiouskaya palanka, le pouvoir de Kocha ne signifie pas pour autant la construction de cité car le passage à la vie sédentaire ne débute qu’à partir de 1768.
En parlant du territoire de Donetsk comme d’une région de Zaporojié, certains auteurs diminuent non seulement le rôle des colonisations de Don et de Sloboda, mais font disparaitre, au fil du temps, la tradition historique du Donbass et le rôle de la population russe frontalière, des Odnodvortsi, des pêcheurs de Belgorod, de Poutivle, de Voronej et particulièrement de Koursk.
Initiée dès le XVIe siècle, la colonisation russe de pêche s’est maintenue jusqu'à l'époque contemporaine, puis est devenue industrielle au XIXe siècle.
Ces mouvements de Russes vers les territoires repris à la Turquie, n’étaient pas si populaire et que partiellement appuyés par la politique de l'État russe, celle-ci souhaitant avant tout que les constructions de villes soient destinée à protéger la frontière russe. Néanmoins la population russe migra en aval du Seveskiy Donets et du Don dans le but premier de développer l’activité de la pêche et de s'installer dans les nouvelles villes crées à la fin du XVIe siècle. Nous ne retrouverons que peu d’écrits historiques sur ces processus. Toutefois on sait que la population russe a été installée dans la ligne du contact direct avec l'ennemi. Elle n’avait pas la liberté de quitter cette zone et devaient défendre le territoire. Il en fut ainsi pour toutes les lignes (d’Izum, de Tor, d’Ukraine, de Dniepr) durant tout le temps de l’acheminement de l'État russe au sud.
Les russes vivaient toujours dans les régions les plus dangereuses, et ce fut seulement une fois ces territoires sécurisés et les terres plus appropriées à l'agriculture, que ces villes furent peuplées par des familles ukrainiennes. Les Ukrainiens s’installaient alors et les troupes russes étaient de nouveau déplacées sur « la ligne de feu ». Les descendants des Odnodvortsi russes de l’époque du début de l’aménagement de la Steppe vivent encore dans notre région.
Ainsi, seulement en tenant compte du rôle de chacun des quatre grands flux de colonisation (deux russes et deux ukrainiens), puis des invasions étrangères (grecque, slavyanoserbe, allemande), on peut plus justement estimer le rôle de chacun des peuples dans l'aménagement et le développement de la région de Donetsk.
La dernière contestation initiée par les historiens ukrainiens concerne la composante historique du Donbass. Quel est le pays d’origine du Donbass : la Russie, l'Ukraine, ou les deux ensemble ? Ainsi la question de connaître la colonisation principale devient-elle un enjeu majeur. Dmitri Bagaleï, dans son histoire de la région de Sloboda, a particularisé la colonisation nationale et populaire, en accordant la priorité à celle gouvernementale. En outre, la manifestation de la colonisation gouvernementale appartient entièrement au facteur russe, tandis que celle des peuples a deux composantes - russes et ukrainiennes. Il y a toutefois un certain nombre d'autres points de vue. Il est généralement admis que c’est la combinaison de la colonisation populaire et gouvernementale qui est devenue le catalyseur de tous les processus qui ont eu lieu dans la région de Donetsk. Afin de s'implanter, de mettre en valeur les richesses naturelles, d’assurer leur protection, la population locale devait lutter contre des menaces externes et des facteurs naturels. Mais cela était toujours réalisé sous la gestion de l'État russe avec l'aide de ses ressources.
Le rôle organisateur de l'État russe, qui jouait alors un rôle déterminant dans la migration populaire depuis la détermination des frontières au long de la rivière Severskiy Donets et ensuite lors de leur acheminement de plus en plus loin au Sud, s’ajoute aux circonstances migratoires citées. Le gouvernement imposait des règles, importait des lois pour les nouvelles terres, à qui tout le monde obéissait : la population russe, Dontchaki, les Zaporogues, Slobojaniens, plus tard - les colons étrangers. Les gouvernements de Koursk, de Voronej et d’Oriol continuaient à fournir les ressources humaines des familles d’Odnodvortdi pour le service d'État dans les zones dangereuses de l'empire. À cet égard, le Donbass est une continuation directe et naturelle du sud de la Russie pour devenir plus tard le fondement de l'avenir du Donbass industriel.
En faisant le résumé, nous remarquons encore une fois, que la disjonction de la composante de Cosaques-Zaporogues au détriment de la colonisation russe, en particulier gouvernementale, à d'autres types de flux migratoires, ne correspond pas à la vérité historique et déforme la perception de l'histoire du Donbass, y compris dans la conscience populaire des habitants locaux et des régions voisines. Une autre conclusion est que l'augmentation artificielle de l’âge des dates de fondation des cités du Donbass est une volonté d’ukrainisation de son histoire.
Il faut se rappeler que le précurseur du peuple du Donbass n'est pas seulement l'Ancienne Russie, mais aussi la Grande Steppe – nous héritons tous de cette terre. Il y a déjà longtemps que la steppe et sa culture sont entrées dans la conscience de notre peuple comme une composante de notre histoire. C'est la partie de l'identité culturelle du Donbass. Nous remarquons ensuite que la période de transition entre les époques de la Steppe et de la Russie a duré du XVe siècle jusqu'à la première moitié du XVIe siècle. Les prémisses de composition d’une population locale et sédentaire ont débuté à partir de la deuxième moitié du XVI-XVIIe siècles et se sont développés jusqu’au XVIIIe siècle. La formation d’une intégrité territoriale ne remonte qu’en à elle qu’aux XIX et XXe siècles.
G.G.T.
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