par Romain JACQUET
Mardi 1er février 1916, le monde entre dans son 549ème jour de guerre…
Le mois de février 1916 sera celui de la bataille la plus meurtrière de la première Guerre Mondiale: Verdun. Un enfer qui durera dix mois et fera plus de 300 000 morts et 500 000 blessés. Par l’ampleur des victimes et l’atrocité de cette guerre de tranchées, la bataille de Verdun est entrée dans la mémoire collective de la France et figure comme une des événements marquants de la Grande Guerre.
Les dépêches hollandaises signalent dans l'intérieur de la Belgique des passages de troupes allemandes du Landsturm, dirigées sur le front de l'Yser.
Dans les Flandres, les Allemands continuent leur agitation, ainsi qu'en témoigne la violente lutte d’artillerie près de Dixmude; on se dispute toujours à coups de grenades les abords du pont de Steenstraete sur le canal d’Ypres, et, plus au sud, sur la rive droite, les Anglais ont eu à réprimer une attaque dirigée contre leurs tranchées bordant la route d'Ypres à Pilken; mais, devant les lignes anglaises, c'est entre la Bassée et Lens que se concentre l'activité réciproque.
Au nord d'Arras, les engagements importants ne se renouvellent pas : la guerre de mines recommence. Si la tranquillité semble renaître en Picardie, en revanche les bords de l'Aisne attirent à nouveau l'attention, et l'ennemi cherche à tâter les lignes françaises dans la région de Berry-au-Bac.
Du côté russe, les nouvelles présentent un intérêt médiocre, en ce qui concerne le front principal : quelques tentatives allemandes sur le front de la Dvina et principalement à l'ouest de Dwinsk sont annihilées dès le début. Un raid aérien des Allemands sur Dwinsk attire de belles représailles : les aviateurs russes bombardent violemment les bâtiments militaires de Ponerwieje; ils détruisent sur un long parcours la voie ferrée et font sauter un train de munitions.
L'ennemi s'est empressé, d'amener de la grosse artillerie en Galicie et en Bukovine, sur les points menacés par l'offensive du général Ivanoff : sous la protection de ce feu, l'infanterie austro-allemande s'est lancée à l'attaque des positions russes, en bordure du Dniester, mais les tirs de barrage de nos alliés ont dispersé les assaillants. De grands mouvements de troupes s'opèrent au nord de la Bessarabie, à proximité de la frontière roumaine.
En Arménie et en Perse, les troupes russes développent avec succès leur progression, notamment à leur aile droite qui remonte la vallée du Tchorok et dans la région du lac de Van.
Le front garde la même physionomie que la semaine précedénte : un peu de mines, beaucoup de tirs d'artillerie, peu d'actions d'infanterie. Les Allemands ne restent cependant pas inactifs : on signale en Belgique de grands passages de troupes vers Ypres; ils usent de tous les moyens de locomotion pour envoyer sur le front hommes et matériel : des transports à vapeur immenses, portant des poids considérables, parcourent les canaux, surtout ceux de la région de Gand. Le kaiser a été signalé à Namur, se rendant à Charleville, où est le grand quartier général allemand.
Depuis que l'ennemi a occupé quelques centaines de mètres de tranchées britanniques en Belgique, parallèlement au canal d'Ypres à Commines, les Alliés ne leur laissent pas de répit, depuis le nord d'Ypres jusqu'aux abords de la Lys.
Au nord de Soissons, l’artillerie française bombarde durement les défenses ennemies, après avoir repoussé une furieuse attaque de plusieurs jours.
A peine remise de son échec de Seppois, l'armée du kronprinz attaque les positions alliées de Largitzen, à quelques kilomètres d'Altkirch : grâce à une furieuse préparation d'artillerie, les troupes allemandes ont pu aborder un instant nos tranchées, mais une intervention de nos réserves a brillamment rétabli la situation.
Du côté des Russes, une activité réciproque continue à se manifester aux deux ailes du front principal entre Riga et Dvinsk, d'une part, en Bukovine et en Galicie, de l'autre : il s'agit surtout d'un duel d'artillerie.
L'intérêt se porte principalement sur le théâtre d'Arménie : le siège d'Erzeroum a été conduit avec une rapidité foudroyante et la chute de cette importante place forte n'a suivi que de quelques jours la destruction du premier fort. Les journaux russes évaluent la garnison d'Erzeroum à 100 000 hommes avec 467 canons dans les forts avancés, 374 dans les forts centraux et 200 canons de campagne. Nos alliés ont recueilli plus de mille canons turcs.
Pendant que leur groupe central taille en pièces les débris de l'armée turque en déroute au cours d'une poursuite vigoureuse, leur aile droite, progressant le long du littoral de la mer Noire et par la vallée de Tchorok, dessine un mouvement tournant vers le port de Trébizonde.
Deux autres villes tombent au pouvoir de l'armée russe du grand-duc Nicolas : Mouch et Aklat.
Semaine marquée par de nombreux combats aériens : à l'est d'Altkirch, un aviateur français fait tomber un fokker allemand; dans la région d'Epinal, un albatros est abattu par l’artillerie française; dans la région de Bures, au nord de la forêt de Parroy, un appareil allemand tombe dans les lignes françaises; un zeppelin, en marche de Sainte-Menehould vers le sud, est atteint par un obus lancé par un auto-canon de la section de Revigny et tombe en flammes aux environs de Brabant-le-Roi.
Un raid d'avions allemands a lieu sur le Comté de Kent, en plein jour : il cause, après avoir lancé 18 bombes des dégâts insignifiants. Les aviateurs anglais, par représailles, font un raid de nuit contre l'aérodrome allemand de Cambrai : leurs bombes frappent les hangars et font explosion à l'intérieur.
Les troupes allemandes prononcent une attaque importante en Artois, dans le bois de Givenchy, à l'est de la route reliant Souchez à Angres : deux régiments d'infanterie bavaroise, sur un front d'un kilomètre, gagnent l'emplacement de notre première tranchée et, en quelques points, notre tranchée de doublement, malgré nos tirs de barrage qui déciment les assaillants. En Picardie, une offensive aussi sérieuse se produit près de Chaulnes, où se croisent les lignes d'Amiens à Chaumont et de Paris à Cambrai : notre artillerie brise la tentative.
Le lundi 21 février 1916 vers 7 heures, un obus de 380 mm explose dans la cour du palais épiscopal de Verdun. C’est le début d’une bataille inhumaine — opération baptisée Gericht (tribunal) par les Allemands — qui dure dix mois et fait plus de 300 000 morts et 500 000 blessés.
Un déluge de fer et de feu s’abat sur un front de quelques kilomètres (le bombardement est perçu jusque dans les Vosges, à 150 km). Deux millions d’obus — un obus lourd toutes les trois secondes — tombent sur les positions françaises en deux jour.
Sur la partie centrale, de long de 15 kilomètres, les Allemands installèrent 800 canons. Au bois des Caures durant cette journée, 80000 obus tombent la même journée.
À 16 heures, le même jour, 60 000 soldats allemands passent à l’attaque sur un front de six kilomètres au bois des Caures, croyant s'attaquer à des troupes à l'agonie, totalement désorganisées. Le 7e corps d'armée (Allemagne) commandé par le général Johann von Zwehl, le 18e corps d'armée (Allemagne) commandé par le général Dedo von Schencket le 3e corps d'armée (Allemagne) commandé par le général Ewald von Lochow.
L’infanterie allemande effectue une progression limitée, aménage immédiatement le terrain afin de mettre l’artillerie de campagne en batterie. La portée ainsi augmentée, les canons allemands menacent directement les liaisons françaises entre l’arrière et le front.
Les forces françaises sont écrasées par cette pluie d’acier. Le lieutenant-colonel Driant trouve la mort le 22 février dans le bois des Caures. Avec lui, 1 120 hommes tombent. Il n’y aura que 110 rescapés parmi les 56ème et 59ème bataillons de chasseurs à pied. Sur le reste du secteur, les défenses sont broyées, disloquées, écrasées. En quelques heures, les massifs forestiers disparaissent, remplacés par un décor lunaire. Les massifs de Haumont, de Herbebois et des Caures sont déchiquetés, hachés, nivelés. Derrière le feu roulant, le 7ème corps rhénan, le 18ème hessois et le 3ème brandebourgeois avancent lentement.
Le fort de Douaumont, qui n’est défendu que par une soixantaine de territoriaux, est enlevé dans la soirée du 25 février 1916 par le 24e régiment brandebourgeois. Ce succès fut immense pour la propagande allemande et une consternation pour les Français. Par la suite, 19 officiers et 79 sous-officiers et hommes de troupes de cinq compagnies différentes occupent Douaumont qui devient le point central de la défense allemande sur la rive droite de la Meuse. Par cette prise, les Allemands ne se retrouvent plus qu'à 5 km de la ville de Verdun, se rapprochant inexorablement.
Malgré tout, la progression allemande est très fortement ralentie. En effet, la préparation d’artillerie présente des inconvénients pour l’attaquant. Le sol, labouré, devient contraignant, instable, dangereux. Bien souvent, la progression des troupes doit se faire en colonne, en évitant les obstacles.
Contre toute attente, les Allemands trouvent une opposition à leur progression. Chose incroyable, dans des positions françaises disparues, des survivants surgissent. Des poignées d’hommes, souvent sans officiers, s’arment et ripostent, à l’endroit où ils se trouvent. Une mitrailleuse suffit à bloquer une colonne ou la tête d’un régiment. Les combattants français, dans un piteux état, résistent avec acharnement et parviennent à ralentir ou à bloquer l’avance des troupes allemandes.
Un semblant de front est reconstitué. Les 270 pièces d’artillerie françaises tentent de rendre coup pour coup. Deux divisions françaises sont envoyées rapidement en renfort, le 24 février 1916, sur ce qui reste du front. Avec les survivants du bombardement, elles arrêtent la progression des troupes allemandes. Joffre fait appeler en urgence le général de Castelnau à qui il donne les pleins pouvoirs afin d'éviter la rupture des lignes françaises et une éventuelle retraite des troupes en catastrophe. Le général donne l’ordre le 24 février de résister sur la rive droite de la Meuse, du côté du fort de Douaumont, au nord de Verdun. La progression des troupes allemandes est ainsi stoppée grâce aux renforts demandés par Castelnau jusqu'au lendemain, jour de la prise du fort de Douaumont.
C’est la fin de la première phase de la bataille de Verdun. Manifestement, les objectifs de Falkenhayn ne sont pas atteints. Un front trop limité, un terrain impraticable et la hargne du soldat français semblent avoir eu raison du plan allemand.
Le 25 février 1916, Joffre décide de l'envoi à Verdun de la IIème Armée, qui avait été placée en réserve stratégique, et dont le général Pétain était le commandant depuis le 21 juin 1915. À la suite des recommandations du général de Castelnau, il lui confie le commandement en chef du secteur de Verdun.
C'est dans l'hôtel où il se trouve avec sa maîtresse que Pétain est averti par son ordonnance de son affectation, qu’il rejoint aussitôt.
Philippe Pétain est un fantassin de formation, qui n'ignore pas que « le feu tue », comme il le répète sans cesse. Pour lui, la progression de l'infanterie doit s'effectuer avec l’appui de l’artillerie. L’année précédente, la justesse de sa tactique a été démontrée. Il est économe des efforts de ses hommes et veille à adoucir au maximum la dureté des épreuves pour ses troupes.
Dans un premier temps, le général Pétain réorganise la défense. Elle s’articule sur les deux rives de la Meuse, en quatre groupements : sur la rive droite Guillaumat, Balfourier et Duchêne, Bazelaire sur la rive gauche. Une artillerie renforcée dans la mesure des disponibilités couvre les unités en ligne. Les forts sont réarmés. Pour ménager ses troupes, il impose « le tourniquet ». Les troupes se relaient pour la défense de Verdun. En juillet 1916, 70 des 95 divisions françaises ont participé à la bataille.
Dans un second temps, Pétain réorganise la logistique. La seule voie de ravitaillement possible consiste en une voie ferrée sinueuse doublée d’une route départementale. La route ne fait que sept mètres de large et se transforme en bourbier dès les premières pluies. Sur ces 56 km de piste, il fait circuler une succession ininterrompue de camions roulant jour et nuit.
Cette artère vitale pour le front de Verdun est appelée « La Voie sacrée » par Maurice Barrès. Il y circule plus de 3 000 camions, un toutes les quinze secondes. 90 000 hommes et 50 000 tonnes de munitions sont transportés chaque semaine.
Des carrières sont ouvertes dans le calcaire avoisinant. Des territoriaux et des civils empierrent en permanence la route. Des milliers de tonnes de pierres sont jetées sous les roues des camions qui montent et descendent du front. Les deux files font office de rouleau compresseur et dament les pierres.
Un règlement draconien régit l’utilisation de cette route. Il est interdit de stationner. Le roulage se fait pare-chocs contre pare-chocs, de jour comme de nuit. Le flot ne doit s’interrompre sous aucun prétexte. Tout véhicule en panne est poussé au fossé.
La voie ferrée existante est une voie métrique. Elle est intensément exploitée à partir du matériel roulant d'origine (celui du "Petit Meusien") mais comme cela ne suffit pas, l'armée utilise aussi des locomotives, voitures et wagons en provenance de toute la France. Alors que le réseau n'est pas dimensionné pour absorber un tel trafic, aucun accident n'est à déplorer. Dans le même temps, les sapeurs construisent une nouvelle voie de chemin de fer, à voie normale cette fois, pour desservir Verdun : la ligne 6 bis. Construite en un temps record, elle contribue à la victoire française, en particulier en évitant les transbordements.
Enfin, Pétain réorganise l’artillerie. L’artillerie lourde restante est récupérée. Un groupement autonome est créé et directement placé sous ses ordres. Cela permet de concentrer les feux sur les points les plus menacés. Ces changements apportés à cette partie du front font remonter le moral de la troupe qui sent en Pétain un véritable chef qui la soutient dans l’effort et la souffrance.
Pour la première fois depuis le début de la guerre, l'aviation intervient de manière véritablement organisée avec la création de la première grande unité de chasse, chargée de dégager le ciel des engins ennemis, et de renseigner le commandement sur les positions et les mouvements de l'adversaire : « Je suis aveugle, dégagez le ciel et éclairez-moi », leur dira-t-il. Les Allemands sont arrêtés à quatre kilomètres de leurs positions de départ, avance très faible eu égard aux moyens qu'ils ont engagés.
Le Kronprinz supplie Falkenhayn d’attaquer la rive gauche pour faire taire les canons français. Les Allemands attaquent autour du Mort-Homme, du côté de la rive gauche, du bois des Bourrus, du bois de Cumière et du bois des Corbeaux. Puis ils attaquent sur la rive droite autour du fort de Vaux, de la Côte du Poivre et d’Avocourt. Ce sont à chaque fois des boucheries pour les deux camps. En ces lieux, tant du côté français qu'allemand, ces hommes ont fait preuve tout à la fois de courage, de désespoir, de sacrifice et d’abnégation.
Sur ces positions, les armées françaises et allemandes sont impitoyablement usées et saignées à blanc. Nombreuses sont les unités qui doivent être entièrement reconstituées à plusieurs reprises ou qui disparaissent.
Le saillant de Verdun se transforme en une innommable boucherie où la sauvagerie l’emporte sur toute sorte de compassion.
Le fer, le feu et la boue forment la triade infernale composant la vie du « poilu », mais aussi celle du « Feldgrau » allemand.
Pétain réclame des renforts à Joffre. Mais ce dernier privilégie sa future offensive sur la Somme. Cela fait dire à Pétain « Le GQG me donne plus de mal que les Boches ».
Durant ce temps, 10 000 Français tombent pour garder la cote 304 où les Allemands sont accrochés sur les pentes.
Les aéroplanes allemands se montrent au-dessus de la région de Riga et dans le secteur de la Dvina.
Sur la position de Dvinsk, dans la région du chemin de fer, les Russes refoulent l'ennemi et progressent. En Galicie, échange de bombes et combats locaux autour d'entonnoirs.
Les communiqués russes donnent des détails officiels sur la prise d'Erzeroum : sont prisonniers : 235 officiers turcs, 12000 soldats; ont été enlevés : 9 drapeaux, 313 canons et de grands dépôts d'armes, de munitions et d'approvisionnements. L'armée russe du Caucase continue sans répit la poursuite du reste des forces turques ; sur la chaussée de Trébizonde, elle occupe quelques villages.
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