Je vous parlerai aujourd’hui de la dernière reine de France, Marie-Antoinette, par le biais d’une très bonne biographie, celle de Stefan Zweig, aux éditions Grasset, en livre de poche.
Je croyais le livre introuvable, car assez ancien, (la première édition date de 1932) mais il fut réédité plusieurs fois et on le trouve encore en librairie, ce qui est plutôt le signe d’un bon ouvrage.
Cette reine, Marie-Antoinette, était la quinzième et avant-dernière enfant de l’Impératrice Marie-Thérèse d’Autriche. Elle épousa le jeune Dauphin, futur Roi de France sous le nom de Louis XVI qui fut guillotiné le 21 janvier 1793, précédant Marie-Antoinette sur l’échafaud de quelques mois. La dernière Reine de France fut conduite à la fosse commune avec sa tête entre les jambes le 16 octobre 1793.
C’est une tradition ou une habitude (surtout une habitude politique) que les rois de France et ceux qui les suivirent (un certain Bonaparte) épousent des princesses autrichiennes. Louis XVI n’échappa pas à la règle, il fut marié encore enfant à une autre enfant. Le futur roi avait 12 ans, la future reine 14. Le mariage, ou plutôt « l’alliance » fut préparé longtemps à l’avance. À son arrivée en France, plus précisément sur un îlot situé sur le Rhin, l’île aux Épis, elle dut changer ses vêtements « étrangers » de la tête aux pieds, pour des vêtements français. L’Archiduchesse d’Autriche fut amplement fêtée lors de son arrivée en terre de France. En attendant d’être la future Reine elle sera la Dauphine et l’épouse du Dauphin. Comme l’écrit le futur Roi dans son journal « Rien ». Il ne se passa rien la nuit de leurs noces. Louis XVI souffrait d’une malformation physique au niveau du pénis, et il fallut le bistouri du chirurgien pour résoudre le problème. Tout de même, au bout de... sept ans ! Pour cela, pour que le Trône de France ne reste pas sans descendance, l’Empereur d’Autriche se rend en personne à Paris :
« ... pour persuader son peu courageux beau-frère de la nécessité de l’opération. Alors seulement, ce triste César de l’amour réussit à franchir heureusement le Rubicon. Mais le domaine psychique qu’il conquiert enfin est déjà dévasté par ces sept années de luttes ridicules, par toutes ces nuits pendant lesquelles Marie-Antoinette a enduré, comme femme et comme épouse, la suprême mortification de son sexe. » p.32
Une fois Louis XVI opéré, Marie-Antoinette lui donnera quatre enfants.
Le 10 mai 1774, le Roi Louis, dit « le Bien-aimé », quinzième du nom, a la bonne idée de mourir de la petite vérole. Comme il vécut toute sa vie dans le stupre et la fornication, avec les femmes, voire les gamines, que lui fournissait la du Barry, il n’y a rien de très étonnant à sa mort. Louis XVI remplace donc son grand-père et accède au trône de France, Marie Antoinette devient Reine de France et les ennuis continuèrent pour le couple royal.
Stefan Zweig se livre à un portrait du couple royal peu flatteur, mais apparemment bien renseigné, on sent que le biographe a utilisé les outils qu’il avait à sa portée et les a exploités méticuleusement. C’est en fin psychologue qu’il analyse les personnalités de leurs altesses royales. Louis XVI est un lourdaud, un pataud :
« Il marche lourdement sur le parquet poli de Versailles en balançant les épaules « comme un paysan derrière sa charrue », il ne sait ni danser ni jouer à la balle ; dès qu’il veut faire un pas plus vite qu’à l’ordinaire, il trébuche sur sa propre épée. Le pauvre homme se rend parfaitement compte de sa maladresse physique, il en est confus, et son embarras augmente encore sa gaucherie : de sorte qu’à première vue le roi de France fait à tout le monde l’impression d’un lamentable balourd. » p.90
Mais pire encore que cette balourdise, c’est son incapacité à prendre une décision qui montre que la couronne qu’il porte sur la tête est bien trop lourde pour lui. S’il fut Roi de France il ne fut jamais un souverain. La Révolution arrivera et triomphera parce que ce « monarque » n’a jamais su dire non et faire appliquer sa volonté. Même aux heures les plus dramatiques, lors de la fuite à Varennes, pour sauver sa peau et celle de sa famille il s’avèrera incapable de prendre la moindre décision.
« Si la Révolution, au lieu de laisser tomber le couperet de la guillotine sur le cou épais et court de cet homme apathique et sans malice, lui avait permis de vivre dans une maisonnette de paysan avec un jardinet, où il se serait adonné à une tâche insignifiante, elle l’aurait rendu plus heureux que le fit l’archevêque de Reims en posant sur sa tête la couronne de France qu’il porta, pendant vingt ans, sans orgueil, sans joie et sans dignité. » p.92
La fuite à Varennes est tout à fait épique et digne de ce « monarque ». C’est en grande partie le Comte suédois, Axel de Fersen qui organisa la fuite. Toute fuite se doit d’être discrète, mais un Bourbon, surtout un balourd, même en fuite, se doit d’avoir un minimum de confort, un carrosse flambant neuf :
« ...où l’on trouvera également toutes les commodités imaginables : de la vaisselle d’argent, une garde-robe, des provisions de bouche et même des chaises servant à des besoins qui ne sont point particuliers aux rois. On y aménage de plus toute une cave à vin bien garnie, car on connaît le gosier altéré du monarque [...] une chaise de poste à deux chevaux peut être relayée en cinq minutes, il faut régulièrement, ici, une demi-heure pour changer les relais, ce qui fait une perte de quatre ou cinq heures sur un trajet où un quart d’heure peut décider de la vie et de la mort des souverains. » p.318
Voilà effectivement une fuite qui n’est pas discrète ; il est vrai comme le note ironiquement l’auteur, que si des protocoles sont prévus pour les réceptions, les fêtes, baptêmes, communion et mariages, aucun n’est prévu pour une fuite royale ! Zweig revient sur l’enfermement au Temple de la famille royale, et là, il y a de quoi être surpris quand on lit sous sa plume ce qu’était le quotidien de la famille :
« Il n’y a pas moins de treize personnes préposées à sa table, on sert tous les jours à midi au moins trois potages, quatre entrées, deux rôtis, quatre plats légers, des compotes, des fruits, du vin de Malvoisie, du bordeaux, du champagne. » p.396
Quant à Marie-Antoinette, elle était certes très belle, mais aussi belle qu’écervelée. Une oisive capricieuse et dépensière. Le coût des aménagements du Petit Trianon a dépassé les deux millions de livres, pour comparaison, un domestique gagne 50 livres par an…
Incapable de lire un livre, d’écrire une lettre sérieuse, lisant du bout des yeux celles qu’elle recevait de l’Impératrice Marie-Thérèse d’Autriche. Ces lettres étaient bien souvent des sermons, des leçons rappelant à la Reine de France ses devoirs. Mais peu importait pour la frivole souveraine la morale, la politique et le devoir. Sa vie n’était que plaisirs, jeux, spectacles, toilettes onéreuses et nombreuses.
« ...car selon les témoignages unanimes Marie-Antoinette, durant toute sa vie, n’a jamais ouvert un livre, à part quelques romans feuilletés à la hâte. » p.120
Marie-Antoine est une Reine de France, mais reste l’Archiduchesse d’Autriche qui se comporte comme une autruche, préférant enfouir la tête dans le sable doré de Versailles plutôt que de regarder la réalité de son pays et de son peuple :
« Pas une seule fois, au court de près d’un quart de siècle, la souveraine de France n’a ressenti le désir de connaître son propre royaume, de voir les provinces dont elle est reine [...] pas une seule fois elle ne ravit une heure à son oisiveté afin de rendre visite à l’un de ses sujets... » p.105
À l’ignorance et à l’oisiveté s’ajoutent le vice et les passions :
« La reine mondaine ne manque pas un bal à l’Opéra, une redoute, une course ; jamais elle ne rentre chez elle avant l’aube, elle évite toujours le lit conjugal. Elle reste à sa table de jeu jusqu’à quatre heures du matin, ses dettes et ses pertes provoquent déjà le mécontentement public. » p.141
Lors de sa venue en France, Joseph II ne s’est pas contenté de conseiller le roi pour subir le petit acte chirurgical qui lui rendra sa virilité :
« En deux mois Joseph II a vu toute la France, il en sait plus long sur ce pays que le roi et il connaît les dangers que court sa sœur mieux qu’elle-même. Il s’est rendu compte, entre autres, que, dans le cerveau de cette évaporée, rien ne reste, qu’au bout d’une heure elle a oublié tout ce qu’on a pu lui dire et d’abord ce qu’elle veut oublier. » p.148
Des libelles, des diatribes, attaquant le couple royal circulent sous le manteau ou non, ces attaques sont parfois écrites par les gens de la Cour :
« Louis, si tu veux voir
Bâtard, cocu, putain,
Regarde ton miroir,
La Reine et le Dauphin ».
La célèbre et fameuse « affaire du collier » et son procès sont relatés avec précision et brio en quelques chapitres. Hallucinant, serait un mot bien faible pour parler de cette affaire !
Aucun scénariste moderne, même le plus audacieux, ne se risquerait à monter pareille comédie tragique, tant les choses paraissent incroyables. Cette narration est un petit régal à l’intérieur de l’ouvrage.
Une véritable enquête est consacrée à la relation entre Fersen et Marie-Antoinette. Furent-ils amants, dans le sens où ils eurent des relations plus que mondaines et amicales ? Zweig est persuadé que oui. Les arguments qu’il avance, l’étude des lettres échangées entre la Reine et Fersen -car Marie-Antoinette écrivait à cette époque- les ratures faites sur ces dernières par des tiers, afin d’en rendre certaines parties illisibles, font pencher le lecteur vers les supputations de Zweig. Mais mieux encore, les lettres échangées entre Axel de Fersen et La Reine de France étaient codées :
« Les premiers historiens, qui ignorent le code, sont contraints de se fier aux versions déchiffrées découvertes dans les papiers de Fersen. Il faudra attendre l’année 1931 pour qu’un certain Yves Gylden révèle, dans une obscure revue de criminalistique, la table adéquate de chiffrement. Puis 2008 pour que deux mathématiciens de l’université de Cergy-Pontoise et de l’université de Versailles, Valérie Nachef et Jacques Pattarin, l’appliquent aux documents chiffrés et procèdent à des comparaisons. » Vahé Ter Minassian, Le Monde 11/01/2016
Comme le note Stefan Zweig, les premières biographies de la Reine oublient, de propos délibéré, de citer le nom de Fersen (p.260), pas moins. Des dizaines de lettres furent brûlées par les proches de Fersen. Que contenaient-elles ? Fersen apparut dans la vie de Marie-Antoinette lorsque cette dernière commença à changer. Le danger, s’il ne change pas les caractères, privilégie l’instinct de survie. Le danger était là, Marie-Antoinette avait besoin d’un homme. Ce fut Fersen.
C’est à partir de l’arrivée de Fersen et de l’état d’avancement de la Révolution que la biographie de Zweig est très surprenante. Après nous avoir dépeint une Marie-Antoinette, paresseuse, volage, inconstante et frivole, il essaie de nous placer une Marie-Antoinette, grande politique :
« Cette femme qui pendant vingt ans a été incapable d’écouter jusqu’au bout le rapport d’un ambassadeur, qui n’a pris connaissance d’une lettre qu’en la parcourant hâtivement, qui n’a jamais lu un livre, qui ne s’est occupée que de jeu, d’amusement, de mode et autres futilités, fait de son bureau une chancellerie, de sa chambre un cabinet de diplomate. » p.292
Il y a, assurément là quelque chose de surprenant. La politique est-elle une grâce, un don qui tombe du ciel lorsqu’on prie avec suffisamment d’intensité, ou est-elle un métier qui s’apprend ? Quel sorte de diplomate est un diplomate qui écrit à Fersen :
« -Je me sens plus que jamais enorgueillie d’être née Allemande-. Quatre jours avant que la guerre ne soit déclarée elle transmet –ou plutôt elle trahit- le plan de campagne des armées révolutionnaires dans la mesure où elle en est informée, à l’ambassadeur autrichien.» p.369
Ce n’est pas là une manœuvre diplomatique pour essayer de sauver sa peau ! Hélas, Marie-Antoinette ne devint pas une politique par la grâce de Dieu. Zweig, essaie bien d’embellir l’Histoire, mais personne n’est dupe. Que la dernière Reine de France ait su mourir dignement et montra beaucoup de courage à l’échafaud, nul ne le conteste. Pas plus que ses conditions de détention à La Conciergerie furent enviables. Les conditions de détention de Marie-Antoinette dans sa dernière prison furent fort différentes de celles du Temple où se trouvait la famille royale. Elles furent tout simplement épouvantables.
Que le procès de la Reine fût truqué ne fait aucun doute, on a fait dire au petit Dauphin que sa mère et sa tante l’ont incité à la masturbation, l’enfant prétendit qu’au Temple :
« ...souvent, les deux femmes (Marie-Antoinette et Madame Elisabeth) l’avaient pris dans leur lit et que sa mère s’était livrée sur lui à des actes incestueux. » p.450
La première édition de cette biographie recherchée a paru en 1932, l’auteur reste prisonnier de certains clichés qui étaient véhiculés à l’époque concernant la Révolution, par exemple au sujet du 14 juillet et de la fameuse prise de la Bastille, il écrit :
« Le 14 juillet, vingt mille hommes partis du Palais-Royal marchent sur la Bastille, la forteresse abhorrée, qui est bientôt prise d’assaut, cependant que la tête blême du gouverneur chargé de la défendre tournoie au bout d’une pique : c’est la première fois que luit la lanterne sanglante de Révolution .» p.235
Ce cliché de la prise de Bastille a été revisité nombre de fois. C’était quasiment un bâtiment qui ne servait plus, une poignée d’hommes assurait sa défense. La foule loin d’être de vingt mille hommes, se rendit surtout à la Bastille car elle pensait que de la poudre y était entreposée. Le gouverneur, le marquis de Launay a été lynché par la foule. Il fut décapité au couteau, par un garçon cuisinier. Puis en toute dernière page, Zweig écrit : « Le Comte de Provence a finalement réussi à accéder, par-dessus trois millions de cadavres au trône de France sous le nom de Louis XVIII. » p.494
Les historiens les plus sérieux, de nos jours, estiment le coût humain de la Révolution et de l’Empire bonapartiste à deux millions de morts. Ce qui est déjà pas mal, vu que les deux guerres mondiales en ont prélevé autant ! Car les abattoirs de la révolution et l’Empire ont prélevé deux millions de personnes sur une population de vingt-sept. Lors des deux dernières guerres mondiales la population française était de quarante millions. En pourcentage, le prélèvement révolutionnaire fut plus important.
On pardonnera volontiers les petites imprécisions à quelqu’un qui écrivait sur la Révolution dans les années trente et qui nous fournit une excellente biographie de la dernière Reine de France.
La révolution aurait pu être stoppée mille fois, mais qu’attendre d’un balourd et d’une écervelée siégeant sur le Trône de France ? Si Marie-Antoinette n’aurait dû lire qu’un seul auteur, c’est Bossuet, elle y aurait découvert en effet que :
« Dieu se rit des hommes qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes. »
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