Le oui l'a remporté, mais l'on nous explique que les Anglais sont désespérés, que c'est tragique pour le pays, qu'ils ne savaient pas ce qu'ils faisaient. Père, pardonne-leur ! En effet, comment oser dire non à l'UE, à son avenir glorieux, à ses routes pavées d'euros, à sa City fleurissante, à ses horaires dérégulées et à son SMIC remis au placard avec les fichus de mémé. Comment lui dire non ? Im-pen-sable. Alors imaginez un instant que les Anglais aient réellement voulu sortir de l'UE ? Bouhhh, j'en ai des frissons dans le dos, comme toute la presse française.
Entre les « ils vont tomber de hauts », les « on nous a volé notre pays », l'objectivité de la presse est, comme à son habitude, infaillible. Prenons un article du journal Le Monde, en grande forme:
« C’est un spectacle merdique. Nous sommes tous devenus un peu plus pauvres ce matin », résume Peter, 45 ans, un banquier de la City, où l’on craint de voir partir des milliers de banquiers pour d’autres places européennes. Vendredi matin, Peter criait « vendez ! » (de la livre sterling) à ses collègues, en constatant que David Cameron, qui a voulu ce référendum et échoué dans sa campagne en faveur du « Remain », s’apprêtait à annoncer sa démission, devant le 10 Downing Street, la résidence du premier ministre. « Sa femme [Samantha Cameron] se tenait à ses côtés. Ce n’était pas bon signe », dit-il.
Et là c'est L'Express qui prend le relai, en nous expliquant que ce sont les vieux (donc ceux qui sont rétrogrades, dépassés, ne comprennent rien - je traduis) et les ratés (ceux qui ne sont pas matériellement les mieux garantis, justement les « dérégulés » et les « desmicarisés ») qui ont voté, mais ils se sont trompés. Si, si, je vous assure !
Les plus fervents partisans du Brexit sont souvent âgés et d'un milieu plus modeste que la moyenne. A l'occasion du référendum sur l'UE, ils ont cru sanctionner l'establishment. Mais leurs ennuis, et ceux du pays tout entier, ne font que commencer.
Car évidemment, la City et l'UE, qui développaient la main dans la main une politique sociale incontestable et incontestée (voyons ce qui se passe en France avec la réforme du travail initiée selon les orientations données par l'UE), donc la City et l'UE ne pourront plus maintenant défendre la veuve et l'orphelin, ce qui les rend tristes.
Ils nous prennent vraiment pour des imbéciles. Car, peut-être, ô sacrilège, justement les Anglais ne voulaient plus de ce système qui les privaient de plus en plus de leurs prérogatives démocratiques, à savoir de pouvoir faire les choix politiques pour leur pays, indépendamment des intérêts de la City et de l'Union européenne ?
Ce mouvement populaire de mécontentement n'est pas nouveau et n'est pas restreint à la Grande Bretagne. En France déjà, en 2013, les sondages étaient éloquents :
58 % estiment que l'Union européenne a un impact négatif sur la France. Elles ne sont que 19 % à estimer que l'UE a un effet positif et 9 % qu'elle n'a pas d'impact. (...) Selon ce sondage, 52 % des Français souhaitent moins d'Europe à l'avenir, contre 17 % d'un avis contraire et 18 % qui préfèrent que rien ne change.
Autrement dit, non seulement l'image est très négative, mais la volonté des gens de voir moins d'ingérence de l'UE n'a pas été respectée, la machine est lancée et s'est emballée. Pour autant, en France, nous n'avons pas lancé de référendum, le dernier de 2005 sur la soi-disant « constitution » européenne a servi de leçon au pouvoir. L'opinion du peuple est connue, ce n'est pas la peine d'insister, il faut passer outre.
En Grande Bretagne, manifestement, il reste des forces politiques capables de mettre un grain de sable dans l'engrenage. Pour autant, il y a peu de chances que cela fasse boule neige, dans un avenir proche. Tout d'abord, la Grande Bretagne a eu la sagesse de ne pas abandonner sa monnaie nationale, ensuite elle a bénéficié de toute une série d'exception lui donnant un statut particulier. Et cela a été possible justement en raison de forces politiques nationales non marginales également orientées vers la défense de l'intérêt nationale.
Côté Union européenne, certes, la situation est compliquée. Nous sommes, avec le départ de l'Angleterre, à la veille de l'avènement du 4ème Reich. Mais l'Allemagne d'aujourd'hui a-t-elle les reins assez solides pour entraîner autant de boulets ? Il s'agit non seulement de ses capacités financières, mais aussi de sa force politique. Et l'on peut en douter.
Par ailleurs, l'UE ne peut pas se permettre que la sortie de l'Angleterre ne se passe trop bien, ça pourrait lancer des vocations, déjà bien présentes, même si, pour l'instant, elles manquent d'artisans pour le réaliser. Pour autant, il va être difficile de « sanctionner » la Grande Bretagne, sans risquer des revers financiers et politiques sérieux.
Nous sommes encore bien loin d'un Armageddon politique européen, mais des fissures importantes apparaissent sur un édifice dont le déficit démocratique est flagrant. Aurons-nous le courage de nous poser cette question: avons-nous réellement besoin de cette Europe-là ?
K. B.-G.
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