SEPTEMBRE 2016

Regard sur la relation entre la Russie et l’Europe

par Alexandre LATSA

Lorsque la Russie s'est séparée de l’immense Union soviétique (22 millions de kilomètres carrés soit 15 % de la surface des terres émergées de la planète), les dirigeants russes se sont trouvés face à une terrible contrainte historique, celle de choisir une trajectoire vers un nouveau modèle de civilisation. Ils savaient que la Russie qui émergeait des décombres de l'URSS était un état fragilisé et vulnérable, et le choix fut vite fait. Ils ont décidé de lancer la Fédération de Russie dans le seul projet qui semblait viable à l’époque : Construire un modèle de société de type européen et occidental. 

C'était un projet gigantesque et continental, avec en plus l'esquisse d’un axe Paris-Berlin-Moscou pour enterrer la guerre froide, et la volonté d’établissement d’une « Maison-commune européenne », concept initié dès 1984 (!) par Mikhaïl Gorbatchev, mais le projet n’aboutit cependant pas au résultat escompté. 

Cet échec total, politique et historique, est sans aucun doute à imputer aux élites européennes. 

Tout comme les peuples d'Europe, qui se sentent aujourd'hui trahis, les dirigeants russes n'ont pas compris tout de suite la vraie nature du projet européen. Il ne s'agissait pas de construire un état continent souverain, il s'agissait au contraire de construire un projet mondialisant sans souveraineté et sans frontières. Le rêve européen des russes s'est donc rapidement dissipé. 

L’accélération de la construction « européenne » pendant les dernières décennies s'est traduite en réalité par un déplacement civilisationnel (politique, géopolitique, moral…) de l’Europe vers l’Ouest et l’espace Atlantique, vers cet espace occidental américano-centré qui n’est pas très européen. Cette trahison des élites européennes a abouti à une Europe mondialisée sans frontières, sans identité commune si ce n’est sur le plan sociétal (la Gaypride pour tous de Paris à Kiev) et sans politique étrangère commune autre que celle dictée par Washington. 

Au même moment historique, le réveil russe se construisit sur le renouveau de valeurs politiques ou morales qui étaient justement celles de la vieille Europe, ces valeurs que nos élites ont abandonnées. L’actuel ministre de la Culture, le jeune Vladimir Medinski, a il y a peu1 parfaitement résumé cette étrange situation :


La Russie sera peut-être l’un des derniers gardiens de la culture européenne, des valeurs chrétiennes et de la véritable civilisation européenne. (…) Et même si c’est de l’Europe que sont arrivés chez nous des courants idéologiques comme le racisme, le fascisme, l’athéisme vulgaire, le communisme théorisant la « haine des classes » – toutes théories occidentalistes d’origine et d’esprit. Et je ne parlerai même pas des « tout récents » emprunts à l’Occident, comme le culte du gain, l’antipatriotisme, le refus de la famille et de la moralité traditionnelles. (…) Au départ, nous nous saisissons des « produits culturels » à la mode venus d’Occident, mais avec les années, le superflu quitte notre culture, il ne s’y acclimate pas. En revanche, y resteront à jamais l’art classique européen et les valeurs classiques européennes. (…) Précisément en Russie, ces valeurs sont aujourd’hui préservées dans une plus grande mesure que dans les pays d’Europe occidentale. Peut-être verrons-nous la Russie dans le rôle de gardienne de la culture européenne, des valeurs chrétiennes et de la civilisation authentiquement européenne. (…) Tandis que sur le plan des valeurs, l’Occident se transforme aujourd’hui en son propre opposé, et la Russie a le devoir de se défendre culturellement contre cette « Anti-Europe ».


Vladimir Medinski

Tandis que Bruxelles bâtissait l’anti-Europe, cet euro-territoire sans états souverains, et au sein duquel allaient naître de fortes dynamiques de désagrégation sociales, religieuses, ethniques ou politiques, la Russie, elle, empruntait une dynamique inverse. Une dynamique souverainiste intégrale matérialisée par le renforcement de l’état central, de Moscou, sur le gigantesque territoire russe et par l’affirmation par ce même état de ses fonctions les plus régaliennes. Une affirmation qui peut se résumer en ces termes : 


« L’État, cette grande substance secrète de l’histoire russe qui en 1991 bascula dans le gouffre et fut réduite en cendres, s’est relevé, lentement, sûrement, de plus en plus rapidement, inébranlable et invincible dans son mouvement ascendant. Car en lui agit le destin. Et cet État a choisi Poutine pour conduire le processus historique en Russie. Ce n’est pas lui qui construit l’État, c’est l’État qui le construit. »2


Au cours des années 90, les élites russes observaient comme un modèle l’Europe en bourgeonnement qui semblait entrée dans un printemps de croissance, d’enrichissement et de paix sociale destinés à durer. Elles affirmaient que l’objectif premier de la Russie devait être de retrouver la stabilité, préalable qui a permis à la Russie de connaitre 15 ans de croissance et d'atteindre le niveau de revenu du Portugal, un des pays les plus pauvres de l’Union européenne.   

Mais le rêve européen s'est peu à peu évaporé, pour les peuples européens comme pour les élites russes qui observaient les transformations de l'Union Européenne. 

L’intégration européenne qui conduisait les nations européennes à l’enrichissement et à la paix sociale n'a eu qu'un temps. Ce nouvel agrégat supranational qu’est l’UE a progressivement désarmé les états en les privant de leur capacité à défendre leurs populations. Cet affaiblissement des états et l'absence de frontières humaines, morales ou économiques se sont combinés à la maladie mondialiste des droits de l'homme qui a remplacé la notion d'intérêt national. 

Au résultat, les nations européennes sont entrées dans une dynamique d'auto destruction qui les laisse sans énergie, face aux défis qui menacent l'Europe. 

Le terrorisme, les évènements de cette zone belge qu'on a baptisée le « Bruxellistan », les attentats en France, les réactions aberrantes face à des immigrants ou réfugiés qui passent les frontières sans visa par centaines de milliers, on démontré que la souveraineté des états a été remplacée par une espèce de néant fabriqué à Bruxelles. Dans les cités de Seine Saint Denis en France, comme à Molenbeek en Belgique, aucune autorité ne s'exerce plus réellement, ni nationale ni européenne.

Tandis que l’Europe de l’ouest s’enfonce doucement dans un hiver moral, politique, économique et sociétal, la Russie connait un renouveau que certains qualifient de « printemps russe », printemps qui a refait de Moscou en moins de deux décennies un authentique pôle puissance au cœur de l’Eurasie. Un pôle redevenu attractif pour une grande partie du monde mais aussi pour un nombre croissant de populations ouest-européennes qui aspirent à une dynamique « russienne » pour leur pays, à savoir un cumul de croissance économique, sécurité, patriotisme et de conservatisme moral.

Pour survivre et traverser la période historique bien incertaine dans laquelle elles semblent s’engouffrer, les nations européennes pourraient s’inspirer de l’expérience russe des années 90, période de chaos historique sans élites, marquée par la décomposition de l’état mais au cours de laquelle, alors que tout semblait perdu, une substance profonde et nationale a su rejaillir pour initier le grand sursaut que le pays connait aujourd’hui.


A.L.


Photo d’illustration du bandeau : Leonid Reiman, ministre russe des Technologies de l'Information et de la Communication, et Viviane Reding, membre de la CE chargée de la Société de l'information et des Médias, lors de la signature d’un accord UE/Russie sur le dialogue réglementant les relations russo-européennes en matière de société de l'information en décembre 2005.


1http://www.lecourrierderussie.com/politique/2014/05/vladimir-medinsky-russie/


2http://alexandrelatsa.ru/2016/06/texte-de-ma-conference-au-cercle-aristote-pour-la-presentation-dunprintempsrusse/


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