par Ambre MAURICE
Auguste Montaudon (ou Monthodon) peut légitimement apparaître comme un illustre inconnu. Pourtant, cet homme qui va se distinguer durant les combats de la Grande Guerre et va être cité à l’ordre de la Division pour son mépris du danger, est mon trisaïeul par mon père. En cette période de commémoration de la Première Guerre mondiale, il m’est apparu utile de retracer la vie de cet homme exceptionnel.
Originaire du Maine-et-Loire, né de père inconnu et fils de Marie Monthodon, Auguste vient s’installer en Indre et Loire comme agriculteur durant les premières années de la Grande Guerre. Cette guerre, qui a emporté déjà tant d’hommes oblige ceux, trop jeunes ou trop vieux pour la faire, à soutenir les femmes qui ont désormais la charge des exploitations. Cette guerre, Auguste, comme tant d’autres, la déteste. Elle a lui a volé son frère Louis aux premières heures du conflit. De 10 ans son aîné, il avait rejoint, lors de la mobilisation générale, le 131ème Régiment d’Infanterie et avait été engagé dans la bataille de Véry, dans la Meuse. C’est là qu’il disparut au combat, le 17 septembre 1914.
Après une visite d’incorporation faite à Tours le 1er avril 1917, Auguste est appelé à intégrer son régiment d’affectation le 3 mai 1917. Mais à la date prévue, celui-ci est malade et bénéficie, par un médecin militaire d’un sursis de 30 jours, sursis prolongé de 15 jours, le 3 juin. C’est donc le 17 juin 1917 qu’Auguste Montaudon rejoint la caserne Desjardins à Angers pour percevoir son paquetage de soldat de 2ème classe du 135ème Régiment d’Infanterie. Après une formation militaire des plus élémentaires comprenant notamment une marche de 80 km, du tir et des entraînements au lancer de grenades, il rejoint en train son régiment d’affectation.
Il se trouve que le 135ème RI est, depuis le 27 juin, dans un secteur calme, près de Cormicy. Auguste arrive donc fin juillet et rembarque, avec son régiment le 5 août, pour Lunéville. Il débarque à Bayon et va cantonner à Tonnoy.
Du 10 au 27 août, il peut parfaire son instruction au camp de Saffais. A l’issue, le régiment se déplace sur le secteur de Xermaménil puis de Marainvillers. Le 4 septembre, le Régiment relève le 125ème R.I. dans la forêt de Parroy, où il termine l'année. Le secteur est très calme et le 135ème R.I. le réorganise suivant les méthodes nouvelles. Chaque nuit, de nombreuses patrouilles ont lieu (jusqu'à 55 sur un front de 6 kilomètres) et les seuls incidents à signaler sont des rencontres de patrouille à patrouille, et les tirs de harcèlement de l'Artillerie de campagne et de l'Artillerie de tranchée. L’année 1917 sera finalement l’année la plus « calme » de ce conflit pour le régiment.
Le 12 janvier 1918 , le régiment revient dans la région de Saffais-Rosières et y reste jusqu’à la fin du mois. Il part ensuite effectuer des travaux sur la deuxième position dans le secteur de Hoeville, Remereville, Courbessaux. Le 23 mars, le régiment est alerté et transporté en auto dans la région de Baccarat. Le 14 et 15 avril, il va occuper le secteur d’Esclainvillers où il restera jusqu’au 30 mai ; malgré les tirs d’obus toxiques, malgré la fatigue et l’épuisement le régiment tient. L’aviation allemande est particulièrement active, mais ils ont le plaisir de voir plusieurs avions allemands tomber dans leurs lignes.
Dans la nuit du 2 au 3 juin 1918, le 135ème se porte à Brunvilliers-la-Motte, bientôt l’offensive allemande se déclenche après une préparation d’artillerie par obus toxiques sur tout le front de la 3ème armée. Les Allemands avancent rapidement. Le 135ème fait partie des troupes d’élite placées sous le commandement du général Mangin, pour briser l’attaque ennemie qui devrait ouvrir la porte de Paris.
Le 11 juin, à 10 h 30, le régiment montant sur la croupe de Méry franchit la base de départ, ses trois bataillons en profondeur dans l’ordre 3ème, 2ème, 1er, 1 500 mètres nous séparent de l’ennemi bien protégé par un barrage de gros calibres. Le régiment reformé dernièrement avec un gros renfort de jeunes de la classe 18 se montre d’une bravoure indomptable.
L’ennemi qui se voit enlever l’initiative du combat oppose une résistance acharnée, malgré de violents tirs de mitrailleuses, malgré les feux de barrages, malgré la destruction des chars d’assaut qui sont en grand nombre la proie des flammes, Méry est dépassé vers 14 heures. Nos troupes tiennent bon, les contre-attaques furieuses des Allemands se brisent sur la barrière désormais infranchissable de l’armée Mangin. Paris est sauvé !
Après ce coup terrible, le régiment part au repos dans la région de Campreny-Bonvilliers ; Le 6 juillet il remonte en ligne près de Grivesnes. Le 23, à 5 h 45, avec un élan superbe, le 135ème attaque Aubvillers, le 2ème bataillon face au village, le 1er au nord et le 3ème en soutien. A 6 h 25, après de durs combats le village est occupé par le 2ème bataillon. Cette journée vaut au 135ème une citation à l’ordre de l’armée. Le 9 août, à 12 h 45, le 135ème, 2ème bataillon en tête se porte à l’attaque du bois Raoul Lemaire et du parc de Davenescourt. Malgré des efforts répétés, le bois Raoul Lemaire ne peut être atteint avant la nuit à cause du nombre considérable de mitrailleuses ennemies.
Auguste, bien que de nature modeste, peut surtout se réjouir auprès de sa jeune marraine de guerre, Fernande Joveau, d’être encore en vie. Celle-ci, au fil des correspondances devient le réceptacle de ses peines, de ses joies et brise ainsi l’isolement quasi exclusivement masculin dans lequel Auguste vit. Aux banalités sur le temps qu’il fait, la qualité de la nourriture ou les souhaits de voir la guerre se terminer au plus vite succèdent bientôt des confidences plus personnelles.
Mais être dans le 135ème RI ne laisse que peu de temps aux distractions et Auguste, au sein du 2ème Bataillon est bien souvent dans une nouvelle garnison avant que le courrier de sa marraine n’arrive…
Ainsi, marchant sur de nouveaux objectifs, les bataillons du 135ème R.I. atteignent Becquigny, passent l'Avre, traversent le bois de la Famille et atteignent Marquivillers par le ravin ouest de la cote 97. Ils enlèvent le village, mais ne peuvent en déboucher l'ennemi, celui-ci tenant fortement la croupe d'Armancourt et tout le système des anciennes organisations françaises.
Le 15 août 1918, les hommes du 135ème arrivent aux environs de Laucourt avec mission de reprendre cette ville. Le 16 août à 7h 30, les soldats du 135ème R.I. s’infiltrent par boyaux jusqu'à l'ancienne première ligne allemande et les deux bataillons de tête (3ème à droite, 2ème à gauche) se mettent à la poursuite de l'ennemi. Les hommes, surexcités par la retraite des Allemands, malgré un barrage violent, malgré les avions qui, à 150 mètres de haut, les mitraillent, malgré la chaleur très forte, passent en trombe et s'approchent, après un nouvel assaut, à 16h 30, jusqu'aux lisières de Laucourt.
Le 17 août, nouvelle attaque sur Laucourt et sur tout le front de la Division. A 4h 30, le 135ème R.I. se porte en avant, mais il n'est soutenu par aucune préparation d'artillerie, les chars d'assaut qu'il a à sa disposition sont enlisés ; il doit s'arrêter à la voie ferrée, malgré le splendide entrain de tous. Le régiment atteint, d'un bond, les vergers et les premières maisons du village. Là, encerclée par le barrage allemand, et par des mitrailleuses qui la prennent de tous côtés, en butte à d'incessantes contre-attaques, les 5ème et 7ème compagnies sont décimées après deux heures de luttes désespérée. Les hommes ne veulent pas se rendre même atteints plusieurs fois. Aux dires des survivants,
ceux du 135ème RI qui furent faits prisonniers, forcèrent tellement par leur résistance l'admiration de l'ennemi, qu'il eut pour eux des égards inaccoutumés. Le Régiment sera une nouvelle fois distingué pour son courage et Auguste Monthodon cité à l’ordre de la Division.
Le Régiment, au repos à Croissy-sur-Celle, Lusières, Rogny, y stationne jusqu'au 2 septembre. Le 135ème Régiment est embarqué en camions, le 3, et débarque dans la nuit à Rethonvillers.
Le 17 septembre, le 2ème Bataillon, reçoit l'ordre d'attaquer la cote 102, près de Contescourt. Après une préparation d'Artillerie de 30 minutes, les compagnies s'élancent d'un seul bond et progressent jusqu'à cent mètres environ des réseaux ennemis, mais le feu nourris de mitrailleuses éclatent soudain sur toute la ligne. Malgré l'énergie des Officiers et le courage des hommes, la progression semble impossible. Toutefois, malgré la très vive résistance de l'ennemi, après de vifs combats à la grenade, les lisières Sud-Ouest de Contescourt sont atteintes et le Régiment progresse vers les cotes 103 et 102.
La cote 102 entièrement débordée cède à son tour. L'ennemi bat en retraite précipitamment... Toutefois durant cette bataille, Auguste Monthodon reçoit une balle dans la cuisse et est évacué sur l’Hôpital de Saint-Quentin.
A partir du 16 octobre, le 135ème R.I. est mis à la disposition de la 15ème Division, pour prendre part aux attaques exécutées par cette unité sur Aisonville, Grougis.
Le Bataillon d’Auguste Monthodon surprend l'ennemi qui est loin de s'attendre à cette irruption fougueuse, lui fait 150 prisonniers et s'empare d'un matériel important. A la nuit, les éléments de tête atteignent la voie ferrée Grougis-le-Grand-Verly.
A partir du 26 octobre, le Régiment se tient prêt à participer à l'action offensive de la 1ère Armée qui a pour mission de forcer le passage du canal de la Sambre à l'Oise. L'opération présente d'exceptionnelles difficultés; de très nombreuses mitrailleuses, des minenwerfer de tous calibres, une artillerie très active, une nombreuse garnison et le canal large de trente mètres, constituent des obstacles presque infranchissables. L'organisation de cette attaque retarde l'ordre d'opération jusqu'au 4 novembre. A l'heure H (5h 45), le 4 novembre, les compagnies s'élancent, nettoient les environs de la tête de Pont, en capturant quelques mitrailleuses et une trentaine d’Allemands.
A 7 heures, le premier objectif est atteint. Mais le 2ème Bataillon ayant franchi le canal, se heurtent à une forte résistance provenant de la maison de l'éclusier, organisée en forteresse. Au bout de quatre heures d'efforts et de bombardements, la résistance est rompue, au prix de pertes importantes. Au soir, l'ennemi, rejeté sur Iron, laisse entre nos mains une centaine de prisonniers et un nombreux matériel. L'attaque reprend le lendemain, 5 novembre, sous un barrage roulant intense. Le 135ème RI s'empare d'Iron et de la route de Valenciennes que l'ennemi abandonne précipitamment. Pour son énergique et rapide progression au cours de ces combats, le 135ème R.I. reçoit sa troisième citation à l'Ordre de l'Armée.
Du 8 au 14 novembre, le 135ème R.I. reste sur ses emplacements de Larouillies-Grand-Bois et c’est donc de cette ville que chacun apprend avec joie l’armistice. Le 11 novembre, à 11 heures du matin, la grande souffrance, les privations, l’horrible cauchemar, le voisinage constant de la mort, tout cela ne semble plus que de l’histoire. Désigné pour faire partie des troupes d'occupation, le 135ème R.I. quitte Beauvais le 10 décembre 1918 et débarque en Haute-Alsace, à Sarre-Union. A son arrivée, il va occuper les cantonnements de Mackvillers. Après quelques jours de repos, le Régiment est mis à la disposition du Colonel Pinoteau, commandant le Territoire de Sarreguemines.
Le 2ème Bataillon s’installe à compter du 11 janvier 1919, à Friedrichsthal et Bildstock afin d’assurer la surveillance des mines de la Sarre. La population ouvrière, très dense, n'est pas hostile aux soldats. Désigné pour faire partie des troupes de la tête de pont de Coblentz, le Régiment embarque, le 21 janvier au soir, à la gare de Dudweiler (près de Sarrebrück). Auguste et le 2ème Bataillon sont postés à Bornhofen et Kestert, puis Oberlahnstein et Braubach.
Après tant de fatigue et de travaux de toutes sortes, ce séjour au bord du Rhin, dans la vallée exceptionnellement riche, est apprécié de tous.
Les soldats, d'ailleurs, sentant l'importance de leur mission, se conduisent avec une dignité parfaite. Le change du mark leur donnant un petit avantage, ils peuvent se payer les quelques petites douceurs dont ils ont été privés pendant la guerre. Le 1er mai 1919, le Colonel Régnier-Vigouroux est obligé de se séparer du 135ème qu’il a conduit continuellement à la gloire, le Lieutenant-Colonel Boisselet prend le commandement du Régiment. Le 7 mai, le Régiment, changeant de secteur, va occuper le territoire de Simmern. A Castellain, le 2ème Bataillon, comme l’ensemble de la Division est en alerte. Tous sont prêts à envahir la zone neutre si l’Allemagne ne signe pas la Paix. Ainsi du 14 au 30 juin 1919, le 2ème Bataillon se prépare au combat dans la région de Wiesel.
C’est de cette ville qu’Auguste Montaudon part d’Allemagne pour rejoindre sa région natale et celle qui l’accompagne par sa correspondance régulière, sa marraine de guerre, Fernande Joveau. Par leurs échanges épistolaires, l’affection a fait place à l’amitié et bien vite à l’amour. Durant cette permission exceptionnelle Auguste épouse, le 30 juillet 1919, sa marraine de guerre. Il le fait tout autant par amour que pour ne pas imposer à l’enfant que Fernande porte déjà d’avoir à vivre, comme lui, avec un père inconnu.
Auguste achèvera son service au sein du 2ème Bataillon en se chargeant de garder des prisonniers allemands assignés à effectuer divers travaux de reconstructions et de réparations. Le 30 septembre 1919, ses problèmes de santé consécutifs aux différentes intoxications au gaz moutarde le font affecter successivement au 51ème RI, 18ème RI et 21ème RI où il sera enfin déclaré réformé pour une sclérose pulmonaire bilatérale, le 20 juillet 1920. Il rejoindra à l’été 1920 son épouse et conservera, sa vie durant un optimisme communicatif.
Il décèdera à Veretz, en Touraine le 17 mars 1991.
A.M.
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