Pascal Tran-Huu a été Chargé du pilotage au sein du Service Parisien de soutien à l’Administration Centrale et Chargé de session à l’Institut des Hautes Etudes de Défense Nationale à Paris, avec le grade de Capitaine. Il est aujourd’hui, entre autres activités, Chargé des relations internationales et institutionnelles auprès du cluster Vallée de l’Energie et nous fait l’honneur de partager son analyse sur l’évolution des relations franco-russes.
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La Russie a toujours été un allié ou un ennemi au gré des aléas de l’Histoire. Les Français se souviennent, peut-être, qu’au milieu du XIe siècle, Anne de Kiev, fille de Iaroslav le Sage, devint reine de France en épousant Henri Ier, petit-fils d’Hugues Capet et qu’à la mort de celui-ci, elle fut régente de son jeune fils – le futur roi de France Philippe Ier pendant peu de temps, il est vrai. Puis les relations entre les deux pays se limitèrent, jusqu’au début du XVIIIe siècle, à l’envoi de délégués pour des missions ponctuelles. Ce n’est qu’après le voyage de Pierre le Grand, en 1717, que la Russie envoya son premier ambassadeur en France ce qui marque le point de départ des relations diplomatiques entre les deux pays. La France est invariablement restée, depuis cette époque, l’un des principaux partenaires européens de la Russie, et les relations entre les deux pays ont en grande partie déterminé la situation en Europe et dans le monde. Celui qui avait adopté comme devise, lors de ses voyages de jeunesse, « Car je suis au rang de l'élève, et j'exige que l'on m'instruise. », fut l’initiateur de l’amitié franco-russe que la Grande Catherine poursuivi. En effet, l’époque de Catherine II était marquée par l’intérêt particulier envers la culture et la vie intellectuelle de la France. L’impératrice russe admirait Montesquieu, était en correspondance avec Voltaire. En plus Catherine II acheta la bibliothèque de Diderot et celle de Voltaire. La société russe de cette époque parlait et écrivait bien en français. En même temps on observe l’augmentation de l’intérêt des Français envers la Russie. Cette amitié connut un premier accroc en 1789 lorsque Catherine II s’opposa à la Révolution française. En 1793, les relations diplomatiques entre la France et la Russie furent rompues suite à la révolution (Oukase du 8 février 1793) et le traité de commerce signé en 1787 fut dénoncé.
Devenu empereur, Paul Ier interdit tout ce qui était français ; personne ne pouvait se rendre en France mais par contre on accueillait avec amitié les aristocrates émigrés de la France révolutionnaire.
L’année 1812 entra dans l’histoire comme l’année de la guerre avec la France. Le 31 mars 1814, à l'issue d'une bataille qui a fait quinze mille morts en moins de vingt-quatre heures, le tsar Alexandre Ier entre triomphalement dans les rues de Paris. C'est la fin de la campagne de France menée par les Russes et leurs alliés, et l'effondrement de l'Empire napoléonien.
Toutefois, cette guerre n’exerça pas une grande influence sur les relations culturelles entre les deux pays. Alexandre Ier, comme ses prédécesseurs, accueillait avec hospitalité les émigrés français. La Russie était visitée par des écrivains, des artistes, des musiciens et des comédiens français qui participaient à la vie culturelle de Saint-Pétersbourg.
L’époque de Nicolas Ier commença par la révolte des décembristes et les répressions de 1825. 28 ans plus tard, le 13 mars 1853 à la suite d’un conflit diplomatique la France et l’Angleterre déclarèrent la guerre à la Russie. La campagne de Crimée finit par la défaite de l’armée russe et par le traité de Paris du 30 mars 1856.
Dès son avènement en 1855 Alexandre II se mit à préparer la réconciliation avec la France. Après la rencontre entre les deux empereurs, Alexandre II et Napoléon III, à Stuttgart en 1857 les relations diplomatiques entre les deux pays furent reprises. L’empereur russe prend part à l’exposition universelle de Paris en 1878.
Le XIXe siècle montra que les contacts entre la Russie et la France prirent un caractère bilatéral stable. Quant aux langues, en Russie, le français reçut une marque sociale : il devint la langue de l’aristocratie. À son tour, le russe entra dans les programmes universitaires de Lille, de Bordeaux, de Dijon et de Cannes.
Nicolas II confirma l’Alliance franco-russe. Mais la période de la paix et de la tranquillité ne fut pas longue. L’Allemagne déclara la guerre à la Russie le 1er août et à la France le 3 août 1914. La Première Guerre mondiale éclata. Lors de cette période la France devint le premier créancier de la Russie et son premier partenaire économique.
Après la révolution de 1917, la société française se trouva divisée en deux parties, ceux qui acceptaient le nouveau régime et ceux qui étaient contre. De tous les pays c’est la France qui a accueilli la majorité des exilés russes. Certains sont devenus des écrivains que beaucoup considèrent comme des Français (Henri Troyat, Romain Gary…) ou des artistes de renom (Stravinski, Pavlova, Pitoeff, etc)
Le 28 octobre 1924, la France a reconnu l’URSS par un télégramme adressé au président du Conseil des Commissaires du Peuple : « Comme suite à la déclaration ministérielle du 17 juin 1921 - et à votre communication du 19 juillet dernier, le gouvernement de la République, fidèle à l'amitié qui unit le peuple russe et le peuple français, reconnait de jure, à dater de ce jour, le gouvernement de l'Union des républiques socialistes soviétiques, comme le gouvernement des territoires de l'ancien Empire russe où son autorité est acceptée par les habitants et, dans ces territoires, comme le successeur des précédents gouvernements russes.
II se tient prêt, en conséquence, à nouer dès maintenant des relations diplomatiques régulières avec le gouvernement de l'Union par un envoi réciproque d'ambassadeurs.
En vous notifiant cette reconnaissance, qui ne saurait porter atteinte à aucun des engagements pris et des traités signés par la France, le gouvernement de la République veut croire à la possibilité entre nos deux pays d'un accord d'ensemble dont la reprise des relations diplomatiques est la préface. A cet égard, il entend réserver expressément les droits que les citoyens français tiennent des obligations contractées par la Russie ou ses ressortissants sous les régimes antérieurs, obligations dont le respect est garanti par les principes généraux du droit qui reste pour nous la règle de la vie internationale. Les mêmes réserves s'appliquent aux responsabilités assumées depuis 1914 par la Russie envers l'Etat français et ses ressortissants.
Dans cet esprit, le gouvernement de la République, pour servir, une fois de plus les intérêts de la paix et de l'avenir européen, à dessein de rechercher avec l'Union un règlement équitable pratique, qui permette de rétablir entre les deux nations des apports utiles et des échanges normaux quand la conscience française aura reçu ses justes apaisements.
Dès que vous aurez fait connaître votre assentiment à l'ouverture des négociations d'ordre générale et plus particulièrement d'ordre économique, nous accueillerons à Paris vos délégués munis de pleins pouvoirs, pour qu’ils se rencontrent avec nos négociateurs.
Jusqu'à l'heureuse issue de ces négociations, les traités, conventions et arrangements ayant existés entre la France ou les citoyens français et la Russie ne devront pas avoir d'effets, les rapports de droits privés nés avant l'établissement du pouvoir des Soviets entre Français et Russes resteront régis comme ils l'ont été jusqu'ici, et il sera sursis à tous égards à l'apurement des comptes entre tes deux Etats, toute mesure conservatoire en France étant ou devant être prise.
Enfin, il doit être entendu, d'ores et déjà, que ta non-intervention dans les affaires intérieures sera la règle des rapports entre nos deux pays.
Signé HERRIOT. » (Rapporté par le Figaro du 29 octobre 1924)
La veille de la Deuxième guerre mondiale et les premières années de la guerre les rapports entre la France et l’URSS étaient assez froids. La situation changea le 25 août 1943. Quand le gouvernement de Moscou reconnut le Comité français de libération nationale. Après cette guerre, les relations entre nos deux pays ont connu des hauts et des bas dans un contexte de Guerre froide, comme en témoigne les nombreux traités et accords signés durant cette période dont le premier fut « Arrangement concernant les relations postales, téléphoniques et télégraphiques entre la France et l'URSS » signé le 19 juin 1946.
Aujourd’hui, les relations politiques entre nos deux pays sont résumées ainsi par le Ministère des Affaires étrangères : « Le dialogue politique entre la France et la Russie a été limité à la suite de l’annexion de la Crimée, par l’introduction par l’Union européenne de sanctions à l’encontre de la Russie, et par la suspension de la Russie du G8. Les autorités maintiennent toutefois un dialogue régulier au plus haut niveau avec la Russie, en particulier pour la résolution de la crise en Ukraine. La venue en France du président Poutine les 5 et 6 juin 2014 à l’occasion des commémorations du Débarquement a marqué une étape importante pour renouer le dialogue avec la Russie et a créé le format d’échanges « Normandie » pour la résolution de la crise ukrainienne (France, Allemagne, Russie, Ukraine). La rencontre entre le président Hollande et le président Poutine le 6 décembre en Russie a constitué une avancée dans le dialogue pour la résolution de la crise, tout comme le déplacement du Président de la République à Moscou le 6 février ouvrant la voie aux négociations et à la signature du « Paquet de mesures pour la mise en œuvre des accords de Minsk » adopté le 12 février 2015 à Minsk. Les Présidents français et russe ont eu un entretien bilatéral en marge du « Sommet Normandie » du 2 octobre. Par ailleurs, les contacts politiques avaient été réguliers ces dernières années ; les présidents Hollande et Poutine se sont rencontrés pour la première fois à Paris le 1er juin 2012 (ainsi que MM. Fabius et Lavrov) à l’occasion d’un déplacement en Europe du chef de l’État russe et le président Hollande a effectué une visite de travail à Moscou le 28 février 2013.
Au niveau gouvernemental, la relation bilatérale est structurée chaque année depuis dix-huit ans, au niveau des Premiers ministres, par le Séminaire intergouvernemental franco-russe (dernière session le 1er novembre 2013 à Moscou), et par le Conseil de coopération pour les questions de sécurité (dernière session : octobre 2012 à Paris). En matière économique, le Conseil économique, financier, industriel et commercial (CEFIC, dernière session le 30 septembre 2013 à Paris, présidée par la ministre française du commerce extérieure et son homologue russe), se réunit habituellement une fois par an. Le ministre du Développement économique russe, M. Alexeï Oulioukaïev, s’est entretenu à Paris avec le Ministre des Affaires étrangères et du Développement international et le Ministre de l’Economie, des Finances et de l’Industrie, les 8 et 9 septembre derniers. M. Stéphane Le Foll s’est rendu en Russie à l’occasion d’un salon de l’agriculture les 8 et 9 octobre et a rencontré son homologue russe.
Dans le cadre de la préparation de la COP21, Mme Laurence Tubiana, représentante spéciale de la France pour cette conférence, et M. Nicolas Hulot, envoyé spécial du Président de la République Française pour la protection de la planète, se sont rendus à Moscou du 15 au 18 mars ; Mme Ségolène Royal, Ministre de l’Ecologie, du Développement durable et de l’Energie, a effectué une visite en Russie du 26 au 28 octobre derniers.
Les relations parlementaires sont denses : outre les très nombreuses visites de députés et de Sénateurs en Russie, la dernière Grande commission parlementaire franco-russe s’est tenue à Paris en février 2013. »
Du point de vue économique, il faut reconnaître que si l’impact des sanctions financières occidentales a été très important, l’économie a connu une baisse de production de — 3,9%, l’industrie n’a baissé que de 3%. Plus important encore, la baisse du revenu réel de la population, qui est de 10% en moyenne, mais qui est plus ou moins important selon les catégories de la population. Dans le même temps, on constate que certaines branches de l’industrie ont connu une croissance importante. Les Russes font face à une période de restructuration, marquée par des baisses et des hausses de la production.
Deux phénomènes importants sont passés inaperçus par la plupart des observateurs. Tout d’abord le réveil de l’agriculture russe depuis quelques années. En effet, dès 2009, les dirigeants de Moscou, prenant conscience de l’intérêt stratégique de l’agriculture, décident d’en faire un objectif politique prioritaire. Si certaines production restent peu développée, et doivent recourir à l’importation (viande de bœuf et lait), dans d’autres secteurs les besoins intérieurs sont désormais couverts et l’exportation apparaît comme la seule perspective pour les agriculteurs. Depuis l’arrivée de Poutine, les Russes sont en train de repenser les institutions qui assurent le développement de l’agriculture et, de ce point de vue, le modèle européen semble avoir la préférence. Cette situation a été favorisée par des conditions climatiques favorables qui expliquent le niveau record de a récolte de blé et de céréales et le réchauffement de la planète pourrait leur permettre d’exploiter de nouvelles terres…
L’autre phénomène est que la baisse du revenu réel de la population, à la suite des sanctions, a été importante pour les couches supérieures d’icelle mais très limitée pour les couches populaires car si la hausse des prix alimentaires est conséquente, elle est, en partie, gommée par le maintien du prix des logements voire par la baisse d’iceux (grâce à une politique de soutien à l’immobilier). De plus les sanctions occidentales ont, paradoxalement, protégé l’industrie russe. La forte dépréciation du rouble joue désormais le rôle d’une protection importante du marché intérieur russe qui est, de plus, protégé de la concurrence internationale… D’autre part, la baisse de la consommation de produits civils a été plus que compensée par la hausse des productions militaires comme j’en ai fait largement l’écho dans des billets précédents. Le corollaire est que l’on constate un effet d’engrenage (spill-over) importants car les techniques développés dans les productions militaires profitent aux productions civiles. Ce phénomène est aujourd’hui systématiquement encouragé par le gouvernement et il permet aujourd’hui de dire qu’il n’y a plus de secteur « militaro-industriel » au sens soviétique du terme, mais des entreprises dont les productions se développent simultanément dans le domaine civile et dans le domaine militaire, avec de forts effets de synergie entre les deux.
Il y a, bien sûr, une contraction de l’économie, générée par la chute des prix du pétrole et du gaz, mais on peut la considérer comme conjoncturelle et non structurelle. De fait, la baisse du prix du pétrole est un problème moins pour les producteurs que pour l’Etat et le système fiscal. Les ressources réelles du budget diminuent. Certes, la dépréciation du rouble a permis de compenser une grande partie des pertes subies par le budget d’autant que le gouvernement a admis le principe d’un déficit budgétaire limité fixé à 3% du PIB… Toutefois, la perspective de taux de croissance de 6 % à 8 % reste un objectif réaliste, si le gouvernement se décide à prendre les mesures qui s’imposent tant dans le domaine de la politique budgétaire que de la politique monétaire.
J'ai déjà abordé l'aspect militaire, dans un billet précédent, mais rappelons qu'à la suite de la guerre en Géorgie en 2008, qui avait fait apparaître les lacunes opérationnelles et les retards capacitaires de ses forces armées, la Russie a engagé une réforme en profondeur de son outil militaire, visant à la doter de forces professionnalisées, mobiles et équipées.
Il s'agissait, en effet, de redimensionner une organisation héritée de l'époque soviétique, destinée à mener des guerres conventionnelles, et à favoriser l'émergence de forces de combat plus flexibles. Depuis son lancement, cette politique s'est traduite par :
- une hausse du budget de la défense qui a plus que doublé passant officiellement de 27,5 milliards d'euros à 62 milliards d'euros entre 2009 et 2015 et qui représente désormais 4,3 % du PIB, faisant de la Russie, en termes absolus, le 3e budget de défense au monde, derrière les États-Unis et la Chine ;
- un programme fédéral d'armement consacré à la modernisation et au rééquipement des forces d'un montant de 470 milliards d'euros sur la période 2011-2020 ;
- un travail d'interarmisation et d'intégration des forces ;
- une augmentation significative du niveau d'entraînement et d'activité des forces qui se traduit notamment par la multiplication des « contrôles opérationnels inopinés » engageant des moyens à grande échelle en hommes et en matériels, dans toutes les régions militaires de Russie et dans tous les composantes, conventionnelles et nucléaires.
Cette politique s'accompagne d'une stratégie de communication axée sur le « retour de la puissance russe », qui tend à mettre en scène le président russe comme chef de guerre d'une puissance nucléaire.
Toutefois, le dispositif militaire russe est efficace pour les forces spéciales, le cyber ou les menaces hybrides, ainsi que pour la manœuvre nucléaire, les forces conventionnelles classiques n'étant pas encore au niveau souhaité, notamment en raison de la faiblesse démographique même si l'armée cherche à augmenter l'engagement d'étrangers par des campagnes « modernes ».
Enfin, je ferai mienne la conclusion d'un rapport d'information sénatorial sur les relations franco-russe : « Il est urgent de tenter de l'intégrer dans un nouveau concert européen, en reconnaissant ses préoccupations sécuritaires et en l'amenant, avec toute la considération à laquelle elle aspire, mais sans complaisance, à prendre en compte les nôtres. La France peut y contribuer en réactivant l'héritage historique de sa relation spéciale avec la Russie. »
P.T.-H.
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