DÉCEMBRE 2016

Le monastère crucifié d’Iversky

par Erwan CASTEL


Si les maisons en ruines, les ponts détruits, et les véhicules calcinés bornent à intervalles réguliers les 400 km de front du Donbass, le quartier d'Oktyabrskyi est certainement l'une des cicatrices les plus vives et les plus symboliques de cette guerre qui depuis 2014 ravage la terre du Donbass.
En effet, dans ce secteur situé sur les lisières Nord de Donetsk et où se poursuivent encore quotidiennement les bombardements de l'armée ukrainienne, se trouve l'aéroport de Donetsk, haut lieu des combats menés entre les unités d'assaut de Kiev et les milices de la cité rebelle, de mai 2014 et janvier 2015. C'est sur ce champ de bataille, entre autres que s’était distingué le regretté Motorola, victime d'un attentat terroriste mortel ce dimanche 16 octobre dernier, et la zone aéroportuaire, aujourd'hui complètement détruite et traversée par la ligne de front active est toujours défendue par son bataillon « Sparta ». 
Juste au Sud de la piste de l'aéroport se trouve un lieu de silence, squelette dressé entre les dieux et les hommes qui témoigne autant de leur folie que de leur foi : c'est le monastère des moniales d'Iversky. Pour y accéder on doit d'abord traverser le quartier d'Oktyabrskyi, au Nord de la gare de Donetsk, véritable champ de ruines, toujours bombardé mais où s'accrochent encore des dizaines de familles, et c'est ici aujourd'hui que j'habite... 
Zigzagant entre les obus et les roquettes non explosés fichés dans le sol le chemin s’arrête à l'entrée du cimetière entourant de ses croix brisées le monastère crucifié.
Même les arbres environnants semblent lever des moignons implorant vers un ciel silencieux déserté par les oiseaux. 

La mère Mikhaïla, higoumène de Saint Iver
Comme dans beaucoup de lieux de culte orthodoxes qui sont élevés autour d'une icône, l'église qui se dresse au milieu du cimetière d'Iversky à quelques centaines de mètres de l'aéroport Sergueï Prokofiev, a été construite en 1997 et consacrée à Notre Dame d'Iviron dont elle renfermait jusqu'en 2014, une copie de l'icône originale qui a traversé les combats avant d'être déplacée dans la cathédrale Saint Nicolas de Donetsk.
Le sanctuaire d'Iver abritait depuis 2001 une communauté de moniales orthodoxes, d'abord métochion (dépendance) du couvent de Saint Nicolas, puis à partir de 2002, sur décision du Saint Synode, le sanctuaire est devenu le monastère indépendant de Saint Iver.
Lorsque les combats pour l'aéroport commencent, le monastère est rapidement sous le feu de l'armée ukrainienne, mais malgré cela les moniales vont vouloir rester dans leur couvent 

Le clocher de l'église plusieurs fois frappé par les tirs de l'artillerie ukrainienne
C'est au mois d'août 2014 que les premiers projectiles ukrainiens touchent les bâtiments religieux. Le clocher de l'église, frappé par l'artillerie prend feu et les femmes qui se trouvent alors à l'intérieur (la mère Mikhaïla et trois moniales) quittent précipitamment l'église qui menace de s'effondrer. Les objets sacrés sont toujours à l'intérieur et des tirs de mitrailleuses traversant les murs de l'édifice en interdisent toute approche.

Notre Dame d'Iviron
Pendant cette journée où les feux de l'enfer semblent vouloir s'abattre sur Saint Iver; 2 événements incompréhensibles vont survenir, qualifiés aussitôt de miraculeux par les communautés civile et religieuse : le clocher qui sera à nouveau touché une deuxième fois brûle entièrement mais sans s'effondrer à l'intérieur de l'église, et l'icône de Notre Dame d'Iviron sera ressortie intacte d'un lieu où tous les autres objets sont criblé par les balles et les éclats.
Les combats vont continuer chaque jour endommageant de plus en plus le sanctuaire qui est régulièrement touché par les bombardements de Kiev.
Le 18 décembre 2014, le monastère a été pillé par les soudards de Kiev avant qu'ils ne soient repoussés par les forces républicaines.
Si les premiers tirs touchant le monastère pendant l'été 2014 pouvaient passer éventuellement pour des « dommages collatéraux » des bombardements ukrainiens, la fréquence, l'intensité et la durée des tirs suivants montrent bien que ce lieu sacré de la communauté de Donetsk est devenu rapidement une cible symbolique de l'agression génocidaire engagée par Kiev. Depuis 2 ans ce ne sont pas moins de 9 églises orthodoxes qui ont été détruites sur la ligne de front de Donetsk et Lougansk, sans compter une vingtaine d'autres touchées également par les bombardements.

Fête patronale de Saint Iver en 2015
Actuellement, les moniales ne vivent plus au monastère mais, lorsque la situation militaire le permet, elles reviennent dans leur sanctuaire martyr, pour nettoyer et tenter de remettre de l'ordre dans l'église malgré la proximité des lignes ukrainiennes qui restent à portée de tir.
Le 26 octobre est le jour de la fête patronale de la communauté et l'année dernière elle avait été réinstaurée sur le site du monastère dès l'année 2015.

Jacques Clostermann se recueillant dans le chœur de l'église d'Iversky miraculeusement intacte
Cette année encore, sous la menace des canons ukrainiens une cérémonie et une bénédiction seront célébrées par l’évêque Hilarion, métropolite de Donetsk et Marioupol en présence de la communauté religieuse et de fidèles  pour respecter la Tradition et montrer que si les soudards ukrainiens ont détruit les murs consacrés, l'âme qui les faisait vivre est quant à elle restée intacte dans le cœur des fidèles de Donetsk qui préparent dès à présent ce sanctuaire à renaître de ses cendres.
Le 12 janvier 2016, Jacques Clostermann et maître Jean Josy Bousquet en voyage d'étude dans la République de Donetsk, se sont rendus sur ce site émouvant du monastère d'Iversky, et ont pu constater par eux même l'ampleur du drame vécu par la population civile du Donbass touchée ici dans ce qu'elle a de plus sacré : sa foi orthodoxe...
Aujourd'hui les soldats de Sparta et Vostok veillent aux lisières du sanctuaire qui renforce leurs tranchées et bunkers par les remparts de la foi et de l'espérance...

Et c'est un païen qui vous l'écrit !

E.C.

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