Les philosophes grecs récusaient l’intérêt qui ne représentait que celui d’un groupe, auquel tous les autres devaient se plier. Réduire le bonheur d’une bande de citoyens à un intérêt communautaire, c’était laisser s’instaurer le règne sordide de l’égoïsme.
Plus les cercles qui constituent les communautés sont restreints, plus le même connaît le même. Nous avons tous en tête la tenue d’un camp décolonial interdit aux Blancs et aux Métis.
Ces alentours se reproduisent ainsi comme une métastase. Il s’agit d’un autre monde où les altérités se cultivent, toutes se targuant du paradigme de la simplicité, tel Pierre Rabhi, adepte de l’anthroposophie de Steiner, alors qu’elles ne sont que d’infâmes réductions.
Tous ces cercles coexistent, cohabitent ; les hommes s’y reconnaissent en tant que membres d’une même communauté, familiale, clanique, tribale, comme de pseudo patries agglutinées, dans un monde fini, où tout est objet rangé et étiqueté, sans espoir pour le sujet de se parfaire et de progresser ainsi dans la vie de la Cité.
La République française laïque et démocratique, telle qu’inscrite dans le marbre des constitutions, appelle une autre exigence, ad augusta, per angusta1.
Marc Bloch, fondateur de l’École des Annales, écrivait2 :
La République apparaît aux Français comme le régime de tous, elle est la grande idée qui dans toutes les causes nationales a exalté les sentiments du peuple. La République est le régime du peuple. Le peuple qui se sera libéré lui-même et par l’effort commun de tous ne pourra garder sa liberté que par la vigilance continue de tous.
On prête à Camus la citation suivante :
Mal nommer les choses, c’est ajouter aux malheurs du monde. Ne pas nommer les choses, c'est nier notre humanité.
Au XIXè et XXè siècle, les républicains ont éclairé les consciences en expédiant l’Église catholique dans la sphère privée et ainsi imposer une République laïque qui a connu son aboutissement dans la Loi de 1905 de séparation des Églises et de l’État.
Celui-ci devait être chez lui, celle-là chez elle. Au XXIè siècle, nos concitoyens doivent apprendre à dire, djihadisme, wahhabisme, islamo-fascisme. Qu’ils usent de la même pugnacité dans cette guerre nouvelle, car il s’agit bien d’une guerre avec des vrais morts, pour la liberté de conscience, celle de croire ou de ne pas croire ou de changer de religion. Les chemins de Rome sont connus ; ceux de La Mecque, de Jérusalem, de Dharamsala ne doivent pas nous être étrangers.
Il faut bien admettre que nos sociétés sont entrées à reculons dans ce XXIe siècle. Il y a longtemps que la pensée libre et son expression publique n’avaient pas été soumises à un chantage cohérent, organisé et surtout toléré voire encouragé par les plus hautes sphères de l’État. Mais que penser d’un affrontement qui met aux prises les apôtres d’une liberté d’expression parfois irréfléchie et les champions de la reculade, ce sont toujours les mêmes, ces dignes descendants de l’esprit de Munich, les droit-de-l’hommistes ? Autrement dit, jusqu’où peut-on avoir un regard critique sur l’Islam, comme nous pouvons l’avoir sur les autres religions ? La guerre qui s’est engagée contre le fanatisme est une question mais aussi une réelle épreuve de volonté.
Rien en France, et j’espère ailleurs aussi, pays de laïcité, ne doit être soustrait à la discussion critique. L’extension du domaine du débat est au fondement même du pacte républicain français. Les islamistes, par provocations successives, imposent leur grille mentale à tous. Aussi, promouvoir la seule liberté d’expression ne suffit pas si l’on ne défend pas la liberté de conscience, la liberté de pensée.
Je suis de ceux qui pensent que l’Islam est capable d’introspection. Elle l’a prouvé dans le passé (Averroès). La vraie maladie de l’Islam c’est de criminaliser toute forme de questionnements, d’interrogations, de doutes, assimilés de fait à des gestes blasphématoires. De tous temps, il y a eu des guerres entre modérés et fanatiques. C’est le cas aujourd’hui avec le sectarisme, l’identitarisme qui prennent une religion en otage. Mais en Islam, il en est qui aussi qui luttent, souvent au péril de leur vie, contre les auteurs de fatwa, les massacreurs d’enfants, les lapideurs de femmes.
La base du pacte Républicain en France, c’est le passage pour l’individu de l’état de sujet tributaire de la volonté royale, d’un roi qui détenait son pouvoir de Dieu (sphère publique), à l’individu maître de sa propre pensée, acteur de sa destinée qui place Dieu dans la sphère privée. Sortir de ce principe c’est donner raison aux spiritualistes, aux signataires du Manifeste pour un XXIe siècle obscur. Ils trépignent d’impatience en vue de la réintroduction des religions dans l’espace public.
Sortir de ce principe serait un extraordinaire recul de nos montres qui nous ramènerait en premier lieu au 13 juillet 1789. Nous n’aurions alors plus qu’une étape pour rejoindre l’an 1231, date retenue pour la création de l’Inquisition.
C’est parce que l’Homme conserve sa liberté de conscience, son libre arbitre, le respect des autres, rejette aux poubelles les fanatismes religieux qui laissent accroire par une rhétorique de bas art, que les tenants de la liberté de conscience sont des racistes, islamophobes voire arabophobes. C’est un acte anti-raciste car, la liberté de conscience est consubstantielle à la liberté d’expression. La liberté de conscience c’est reconnaître que l’Autre est aussi Je dans son principe individuel et inaliénable de libre-pensée, c’est la réfutation du concept de guerre des civilisations.
Ce que je veux signifier ici, c’est que les intégristes de tous horizons veulent surfer sur la vague de la liberté d’expression et les limites qu’ils veulent lui donner selon leur idéologie rétrograde, tant il est vrai que, pour raison de liberté d’expression, nous ne pourrions tolérer le racisme, l’antisémitisme. Les islamistes jouent sur cette limite pour faire accroire que poser le problème de l’islamisme est un acte raciste.
Il ne peut y avoir de République laïque sans la liberté absolue de conscience laquelle subsume la liberté d’expression.
Pour paraphraser André Malraux, je ne sais pas si le XXIe siècle sera ou ne sera pas religieux. Ce que je sais, en revanche, c’est que si l’on ne promeut pas la liberté de conscience, dans notre pays mais aussi dans le monde, nous nous engageons irrémédiablement dans un XXIe siècle obscurantiste pour tous, du Nord au Sud et de l’Occident à l’Orient.
S.A.
1. Vers les sommets, par des chemins étroits.
2. Pourquoi je suis républicain, In Une étrange défaite.
Simon Archipenko est un écrivain engagé dans la vie de la Cité. Auteur de plusieurs ouvrages économiques et politiques, il publie, Les cent jours d’Autocar 1er, chronique des cent premiers jours d’Emmanuel Macron à l’Élysée, qui paraîtra aux Éditions Plume de Poids, fin octobre 2017.
Partager cette page