Il va sans dire que, dans le réseau d’obligations mutuelles qui régit le monde féodal, certains seigneurs manquent parfois à leurs devoirs, et abusent de leur force et de leur pouvoir pour opprimer leurs sujets ou rançonner les voyageurs. Les plus connus sont, en Île de France, les seigneurs du Puiset et de Montlhéry, qui donnèrent du fil à retordre à Louis VI le Gros.
Il y a cependant un fauteur de trouble qu’on cite moins volontiers, c’est le roi lui-même. Pourtant, s’il fait parfois la guerre pour rétablir l’ordre, il la fait aussi bien souvent pour semer le trouble. Ainsi, en 1143, Louis VII (1137-1180), fils de Louis VI, attaqua par surprise le comte de Champagne, qui gouvernait cette riche province dont les foires étaient le cœur du commerce européen. Ce qui attisait sans doute la convoitise du roi. Louis VII fit mettre le feu à l’église de Vitry-en-Perthois, où les habitants, qui s’y étaient réfugiés, périrent brûlés vifs.
Lavisse, toujours béat d’admiration devant les démonstrations de force et les abus de pouvoir des rois, s’étend à plaisir sur les méfaits des petits seigneurs ; mais sur celui-ci, il reste muet comme une carpe. Pourtant, ce crime attira à Louis VII les sévères remontrances du pape et de saint Bernard. Le roi fut même excommunié, et l’interdit jeté sur le royaume.
À peu près tout ce qu’on retient du règne de Louis VII, qui ne dura pas moins de quarante-trois ans, c’est la répudiation d’Aliénor d’Aquitaine, dont il était impossible de prévoir les conséquences. Or, il a fallu à Louis VII, appelé d’abord le Jeune puis, par antiphrase sans doute, le Pieux, une longue suite de bévues et de méfaits pour en arriver là.
En effet, le remords du massacre de Vitry le poussa à partir pour la deuxième croisade, en 1147. Le remords… mais aussi une injonction du pape, car le conflit avec le comte de Champagne avait eu pour commencement une querelle d’investiture pour l’évêché de Langres, où le roi désirait voir siéger un évêque dévoué à ses intérêts. Il y en eut une autre à propos de l’évêché de Bourges. En effet, les rois ne cherchèrent pas seulement à usurper les droits de la noblesse : ils agirent de même envers le clergé.
Cette croisade sera une longue suite de désastres, et comme les guerres perdues coûtent encore plus cher que les victoires, elle videra le trésor royal. De plus, elle provoquera la rupture entre le roi et la reine. Et la reine n’est autre qu’Aliénor d’Aquitaine, qu’il avait épousée en 1137. Joli coup, réussi par son père : ainsi, le domaine royal promettait de tripler de taille, en s’étendant du Poitou aux Pyrénées.
Du moins, si l’on ne tient pas trop compte des termes du contrat, qui prévoyait une union personnelle entre le duché d’Aquitaine et le domaine royal, et non une absorption. Mais ne pas respecter les contrats, c’est la spécialité des rois. On peut remarquer en outre que, pour que l’Aquitaine entrât dans l’héritage des rois de France, il aurait fallu qu’Aliénor donnât un fils à Louis VII. Or, ils n’eurent que deux filles.
De toute façon, l’affaire tournera court, car, mécontent de l’inconduite de la reine pendant la croisade, Louis VII obtint en 1152 que le mariage fût déclaré nul. Deux mois plus tard, Aliénor épousait Henri Plantagenêt, comte d’Anjou.
P. de L.
Les chroniques de Pierre de Laubier sur l’« Abominable histoire de France » sont diffusées chaque semaine dans l’émission « Synthèse » sur Radio Libertés.
Partager cette page