La France, l’auto-proclamé pays des Droits de l’Homme, mène une politique étrangère à double visage. Cela pourrait relever de l’habileté. On peut malheureusement y voir le signe d’un cruel recul. Certes, nous proclamons, haut et fort, notre souci de protéger les populations et de combattre les dictatures criminelles, le terrorisme et le racisme génocidaire. Notre engagement a toutefois été sélectif et alternatif dans ces domaines. La logique de nos interventions n’est pas celle du juste et de l’injuste, mais plutôt celle des intérêts et du rapport de force. En quelques décennies, nous sommes passés d’une politique d’intérêt national doublée d’une volonté d’exister sur la scène mondiale à un alignement systématique sur les positions américaines drapé comme elles sur l’ingérence humanitaire et le bon droit apparent et qui nous a conduit cependant à soutenir des groupes djihadistes.
De Gaulle avait dessiné une politique d’indépendance fondée sur la critique des impérialismes. Il avait bravé celui des Anglo-saxons à Phnom-Penh et au Québec. Le réalisme sans idéologie retrouvait un peu la stratégie qui avait prévalu sous la monarchie avec succès lorsque la France était capable de s’allier avec l’Empire Ottoman, avec les protestants allemands ou avec les « Insurgents » américains. Il avait dans la même ligne reconnu la Chine communiste dont son Ministre Alain Peyrefitte pensait, avec beaucoup de clairvoyance, qu’elle se réveillerait. Mais, lorsque l’autre impérialisme menaçait, de Gaulle redevenait l’allié lucide et non le serviteur zélé de l’Amérique. Il le montra lors de la tentative soviétique d’installer des fusées dotées d’ogives nucléaires à Cuba. Par ailleurs, après avoir rendu indépendantes nos colonies africaines, le Général continua à faire jouer à la France un rôle éminent auprès de beaucoup d’entre elles.
Un élargissement du périmètre fut même initié avec succès au Congo-Kinshasa et manqué au détriment de la population chrétienne au Nigéria, faute de moyens. La personnalité du Général compensait en visibilité un recul que la seconde guerre mondiale et la décolonisation avaient provoqué. La capacité nucléaire et la présence permanente au Conseil de Sécurité étaient et sont toujours les vestiges d’une puissance dont le rôle mondial s’étiole.
Avec l’élargissement futur du Conseil de Sécurité à de nouveaux membres permanents et l’augmentation prévisible des détenteurs de l’arme atomique, avec la multiplication des conflits locaux et la fin de l’opposition entre blocs, les armées conventionnelles dotées de moyens d’intervention à distance redeviennent primordiales. Budget après budget, nous y avions cependant renoncé jusque récemment et sommes devenus de plus en plus dépendants d’alliés incontournables, comme les Etats-Unis. Notre unique porte-avions n’est utilisable que la moitié de l’année. C’est l’une des impasses les plus criantes de notre politique actuelle.
La « realpolitique », avec des moyens peu réalistes, fut poursuivie par les successeurs du Général. L’histoire de la République Centre-africaine n’illustre que trop ce déclin. Si l’arrivée au pouvoir à l’occasion d’un contre-coup d’Etat de Bokassa a lieu sous de Gaulle, la terrible dérive de ce pays se produit ensuite avec la folie impériale du « soudard » soutenu par la France, mais de plus en plus proche de Khadafi.
Son éviction et la succession des présidences plus ou moins importées au gré des rivalités ethniques et du poids grandissant des musulmans sahéliens au Nord et des chrétiens au Sud ont conduit au chaos actuel qui a entraîné une intervention française. La Libye, le Tchad, l’Ouganda ont d’abord partagé avec la France le soin de soutenir le pouvoir ou d’organiser les coups d’Etat. La situation présente n’a rien de nouveau, si ce n’est l’âpreté des rivalités ethniques et la détérioration du contexte politique. Un pays riche, avec une population pauvre et mal gouverné par des dirigeants corrompus attire les convoitises. Le rôle de notre pays dans la formation du personnel politique et dans l’histoire de ce pays n’a rien de bien glorieux. Face à l’emprise anglo-saxonne dans l’Est de l’Afrique, la mésaventure de Mitterrand au Rwanda, le génocide perpétré par nos alliés, une intervention militaire qui est injustement accusée d’avoir davantage facilité leur fuite qu’elle n’a protégé les populations, leur défaite face aux Tutsis de Kagame, et la chute du lamentable Mobutu, soutenu à bout de bras pendant des années, sont des échecs d’une politique peu clairvoyante, irrésolue quel qu’ait été le dévouement des soldats français sur place.
Le très grand nombre de coups d’Etat et de dictatures militaires, les pouvoirs autocratiques de longue durée ont marqué l’histoire de la plupart de nos anciennes colonies, à l’exception quasi-unique du Sénégal. Beaucoup de responsables politiques marxistes sont passés par notre pays. Le fait que l’éducation politique de Pol Pot, le principal responsable du génocide organisé par les Khmers rouges au Cambodge, ait eu lieu en France avec une influence déterminante du Parti Communiste devrait nous interpeller sur l’irresponsabilité du message dominant diffusé par notre prétentieuse intelligentsia depuis la dernière guerre mondiale. Une forte imprégnation marxiste, des sympathies exhibées encore récemment pour des régimes totalitaires, la Chine de Mao, le Cuba de Castro, des discours philosophiques valorisant la lutte et parfois la violence ou développant le soupçon sur nos propres valeurs ont renforcé chez les dirigeants de beaucoup de nos anciennes colonies un anticolonialisme stérile.
Comme l’a souligné Kofi Annan, celui-ci a permis une victimisation qui a servi d’excuse à l’absence de développement due pourtant à la mauvaise gouvernance de dirigeants corrompus. La France ne doit nullement renoncer à la fierté de son histoire. Elle n’a pas à rougir de l’action de ses médecins et de ses enseignants par exemple en Algérie. Elle doit donc veiller à assurer la sauvegarde de ses intérêts dans le monde et participer quand elle en a les moyens à l’instauration de régimes qui concourent à la paix du monde et à l’amélioration des conditions de vie des populations. Ce n’est pas en nous battant la coulpe à contre-temps que nous répandrons nos valeurs. Les rivalités ethniques et les soifs de pouvoir sont des obstacles complexes. C’est une raison de plus pour privilégier le réalisme, refuser l’alignement systématique et se donner les moyens économiques et militaires d’une indépendance relative.
La tragédie syrienne offrait à la France l’occasion de jouer un rôle à sa mesure dans un pays qui a été sous son mandat entre les deux guerres. Il fallait pour cela qu’elle ne tombe pas dans le piège du Printemps Arabe avec son illusion démocratique et sa réalité islamiste, qu’elle serve d’intermédiaire entre la Russie et les Etats-Unis et qu’elle garde le contact avec le régime nationaliste de Damas. Le changement de pouvoir ayant lieu à Washington avant Paris, il est à craindre qu’il ne soit trop tard.
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