Le troisième et dernier volume de « C’était de Gaulle » de Roger Peyrefitte est plus affiné que les deux premiers tomes, non pas au niveau du vocabulaire ou des témoignages que fait l’auteur de ses entrevues avec de Gaulle ou ses mini-rapports des divers conseils des ministres. Il est plus affiné sur le plan de la répartition des sujets. Les thèmes y sont plus cernés que dans les volumes précédents ; ils sont regroupés. Tous les sujets bien sûr ne sont pas rassemblés par chapitre, mais c’est quasiment le cas pour trois d’entre eux, les principaux de l’ouvrage, à savoir : La bombe H, le fameux « vive le Québec libre » et les événements de Mai 1968. Entre temps la chronologie est respectée et les événements importants de cette fin de règne tels que les voyages qui ont marqué le deuxième septennat du Général (URSS, Pologne) se logent au fil des pages.
Les chiffres bien sûr ne sont en rien comparables avec ceux de notre époque, mais laissent rêveur :
« On part d’un constat : le chômage des cadres ; il affecte 3000 personnes. Que faire ?... » (Conseil du 27 janvier 1967)
Il y a aujourd’hui plus de 200 000 cadres au chômage. Mais si le chômage des cadres préoccupe de Gaulle, le sort des ouvriers ne lui est pas indifférent, c’est l’époque de la « participation » qui lui tient à cœur. Le patronat français lui, n’a pas toujours les faveurs du Général :
« Comme toujours, les patrons se préoccupent de faire des affaires juteuses, ils se foutent de l’intérêt national. » p.172
À propos de la fabrication de la bombe H, les détails sont nombreux et Peyrefitte était alors à un poste de choix pour avoir des informations : il était Ministre de la Recherche. De Gaulle, intuitif comme jamais et suspicieux envers les chercheurs ne se prive pas de mettre la pression sur son Ministre :
« Le CEA exige des calculateurs géants américains ; mais les américains les avaient-ils quand ils ont fait leur bombe H ? » p.144
Bien sûr la bombe H française vit le jour et sans les calculateurs géants américains dont nous n’avions nul besoin, mais les communistes, nombreux dans la recherche, aimaient à mettre des bâtons dans les roues.
L’humour pince-sans-rire ou pète-sec n’a pas lâché le fondateur de la V° République :
« Il ne faut pas faire payer les pilules par la Sécurité Sociale. Ce ne sont pas des remèdes ! Les français veulent une plus grande liberté de mœurs. Nous n’allons quand même pas leur rembourser la bagatelle !... »
(Conseil du 07 juin 1967)
S’il y a des grandes et des petites phrases prononcées par de Gaulle qui sont restées célèbres après avoir fait le tour du monde, il en est une qui restera à jamais gravée dans les mémoires. Elle fut prononcée au balcon de l’Hôtel de Ville de Montréal et elle aussi a sa petite histoire de micro, de malveillance et de hasard ! Ce fameux « Vive le Québec libre » était plus ou moins spontané, plus ou moins improvisé. Lacouture en donne une explication assez convaincante, « Vive le Québec libre » était le slogan d’un mouvement québécois indépendantiste le (RIN) et le général avait eu ce slogan sous les yeux quasiment toute la journée, lors de son périple, des banderoles géantes étaient visibles tout le long du cortège.
De Gaulle c’était charnellement la France, il ne faisait pas seulement corps avec elle, il portait en lui la responsabilité des monarques passés, de leurs erreurs, prenant sur lui les fautes de ses « ancêtres ». Peyrefitte laisse dire à quatre visiteurs acadiens qu’il reçoit à Québec le sens caché de cette fameuse phrase :
« Le Président de Gaulle a voulu effacer l’oubli que Louis XV avait fait au Traité de Paris de 1763. Mais nous, nous avons été oubliés cinquante ans plus tôt par Louis XIV au Traité d’Utrecht de 1713... » p.468
Sur les événements de Mai 1968, nous sommes en direct avec le gouvernement. Réunions, conseils restreints, entretiens se succèdent à un rythme effréné. Peyrefitte, alors Ministre de l’Éducation, est un des mieux placés pour analyser le début du chahut.
On en apprend certainement plus dans les pages que consacre Peyrefitte à cette période que dans les biographies attitrées des acteurs de l’histoire, ceux qui ne rapportent jamais que ce qui sert leur gloire passée. Car bien évidemment seront toujours cachées dans les écrits des agitateurs les « sommes rondelettes » qu’offraient les radios périphériques à certains leaders pour s’assurer leur concours (p.614).
Tout comme leurs écrits ne reviendront pas sur les déclarations de Pompidou à la tribune de l’Assemblée déclarant que des sommes venant de l’étranger étaient versées au « mouvement » :
« A-P : Vous croyez vraiment à une organisation internationale qui fomenterait des troubles à Paris ?
Pompidou : Si je l’ai dit du haut de la Tribune, c’est que j’ai des sources sûres. » p.679
Et Peyrefitte de rajouter au bas de la page :
« Quelques jours plus tard, j’apprends qu’on a la certitude de versements faits aux groupuscules révolutionnaires de Paris par l’ambassade de Chine à Berne, par la CIA et par Cuba ; sans compter quelques soupçons motivés du côté d’Israël et de la Bulgarie. » p.679
L’ennui c’est que Peyrefitte ne cite pas ses sources…
Toujours concernant mai 1968, en conseil restreint, le 8 mai, à deux reprises de Gaulle a parlé de tirer :
« ...Vous faites les sommations, vous tirez en l’air, une fois, deux fois et, si ça ne suffit pas, vous tirez dans les jambes.
Nous ressortons en silence. » p.628
L’ouvrage se termine par la mort du général de Gaulle et par l’ajout de quelques annexes bien utiles. Une grande contribution à l’Histoire moderne de la France que ces espèces de « mémoires témoignées » de l’académicien, historien et ministre que fut Alain Peyrefitte.
M.M.
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