Pas moins de 870 pages d’une écriture petite et serrée, pour ce premier tome de la célèbre biographie de Jean Lacouture, « De Gaull », éd. du Seuil, collection Point. Ce premier opus couvre la période allant de la naissance (1890) du futur Connétable de France, jusqu'à la glorieuse et célèbre descente des Champs Elysées (1944). Ce surnom de Connétable lui fut donné à Saint-Cyr, par ses camarades et lui allait très bien. Sitôt qu’il eut connaissance de ce sobriquet Churchill l’appela ainsi. Ce surnom lui colla à la peau toute sa vie.
Un travail de recherche généalogique commence la biographie. C’est ainsi que l’on trouve dans l’ascendance du général un certain Jean de Gaulle organisant la résistance contre les anglais en 1418 …
« Si populaire parmi les gens du bocage que lorsque s’organise contre les anglais la résistance, on voit les maquisards de l’époque prendre son nom comme ralliement et s’intituler « Compagnons de Gaulle » p.11
Peu de choses sur l'enfance et l'adolescence, sur le parcours scolaire du futur général. Lacouture ne cite pas le séjour chez les jésuites en Belgique, séjour dû aux lois de 1901 et 1905 qui interdisaient aux congrégations relieuses d’enseigner. Silence d’autant plus curieux que ce fut là le premier exil de Charles de Gaulle et pour une pareille destinée, l’exil est important. Ce premier exil est dû aux lois républicaines.
Dès son adolescence, à 15 ans, le jeune de Gaulle écrivit un texte dans lequel il était le Général de Gaulle, sauveur de la France !
Si elles ont beaucoup d’importance, l’enfance et l’adolescence ne sont pas toujours ce qui intéresse le plus le lecteur d’un personnage qui marqua l’histoire de son empreinte. C’est peut être un tort pour le biographe et un regret pour le lecteur. Sans donner dans le voyeurisme l’auteur aurait pu être plus disert sur ces périodes cruciales de cette destinée exceptionnelle.
Sur la vie de famille et intime du grand homme peu de choses, le service minimum. Le général est issu de la bourgeoisie industrielle, il épousa en 1921 Yvonne Vendroux, issue de la grande bourgeoisie industrielle. Les journalistes donneront à Yvonne de Gaulle le surnom de « Tante Yvonne. »
Elle sera une épouse discrète, mais pas absente. Ils auront trois enfants. Lacouture nous fait savoir que personne, aussi bien à l’armée qu’en camp de prisonniers, n’a jamais vu de Gaulle à poil : même en captivité, où les douches étaient mesurées et restreintes.
Le « Roi » n’a jamais été vu nu. Son épouse, élevée chez les sœurs, dans sa jeunesse, prenait sa douche en chemise. La nudité n’était pas la panacée des de Gaulle, mais c’était monnaie courante en ce milieu, à cette époque, qu’avoir de pareilles mœurs. Madame de Gaulle, catholique rigoureuse refusait de recevoir des divorcés.
Dans son « C’était de Gaulle » Peyrefitte cite une anecdote amusante : revenant du marché à Colombey, (sans gardes du corps, bien évidemment) Yvonne aurait une fois interpellé le général en lui disant : « - Charles, les prix montent ! » Le mercredi suivant, de Gaulle s’en ouvrit à son Ministre de l’Économie.
Avant de lire une biographie écrite par Jean Lacouture, il convient de connaître sa vision du travail de biographe :
« Jean Lacouture revendique, lors d'un débat en 2001 avec Philippe Bertrand sur France Inter [...] sa subjectivité et son emphase pour les personnages dont il écrit la biographie. Ainsi, dit-il, s'il ne peut faire de biographie de personnages qu'il n'apprécie pas, il reconnait écrire des biographies d'admiration et pour lesquelles il n'hésite pas à s'écarter de la règle de l'objectivité. Partant ainsi du constat que « le biographe est dominé par son personnage », il ne croit pas à cette règle (défendue par Pierre Milza) et reconnaît traiter le sujet de manière engagée et personnelle. Pour Jean Lacouture, l'art du biographe consiste à laisser des zones d'ombre pour permettre au lecteur de se faire une idée. »
(Article Wikipédia)
On verra que les zones d’ombre ne manquent pas à cette biographie du général de Gaulle. Ce qui ne signifie pas pour autant que le travail de Lacouture soit bon à mettre au panier. On découvrira à la lecture de ce « De Gaulle » des sommes d’informations importantes venant de sources sûres. Si l’auteur joue parfois avec l’Histoire par de pesants silences, le portrait du général ambitieux, pédant et doté d’un orgueil démesuré sonne juste en regard des portraits croisés tracés par d’autres auteurs. Cet orgueil, cette haute estime de lui-même le conduisirent souvent au mépris des autres humains et de leurs vies. Mais qu’attendre d’un soldat, sinon qu’il soit dans sa fonction ? Il fut d’ailleurs et de bonne heure plus qu’un soldat : un guerrier, un conférencier, un politique visionnaire.
Prisonnier en Allemagne, lors de la première guerre mondiale, il passait son temps à donner des conférences aux autres prisonniers qui étaient séduits par son charisme aussi démesuré que sa taille et sa profonde culture. Il tenta maintes fois de s’évader, seul ou en groupe, mais toutes ses tentatives se soldèrent par des échecs. Curieusement, en Algérie (en 1942) il se débarrassa du général Giraud, son rival placé par les américains qui, lui, avait réussi une évasion spectaculaire d’une forteresse pendant la deuxième guerre mondiale.
S’il ne sauva pas la France, il lui rendit son prestige et sa grandeur. Ce qui n’est pas rien. De Gaulle autoritariste abject ? À plusieurs reprises le biographe revient sur le sujet sans épargner le héros :
« Rude portrait, qui sonne juste et impose ce simple rappel : aucun des officiers que Charles de Gaulle eut sous ses ordres au cours de ces combats à bien des égards exaltants ne crut bon de le rejoindre à Londres. » p.318
Bien qu’ayant lu à plusieurs reprises par différents auteurs les circonstances tragiques de la constitution du Cabinet Pétain, je n’avais jamais lu que de Gaulle, qui fut « l’officier de plume » du Maréchal avait retenu l’attention de Pétain au point que ce dernier voulut le prendre dans son premier cabinet, même après leur brouille littéraire. De Gaulle dans le gouvernement Pétain ?
Laissons la parole à Lacouture :
« selon Paul Baudouin, acteur des délibérations :
« ...précisant que le nom de Charles de Gaulle figurait sur la fameuse liste sortie de la poche de Philippe Pétain, vers 22 h 30, à la stupéfaction d’Albert Lebrun et des quelques témoins de la scène. Selon Baudouin, c’est Weygand qui, comme pour celui de Laval, fit rayer de la liste le nom de de Gaulle. Et il s’est trouvé des auteurs pour affirmer que c’est en apprenant cette exclusion que le général de Gaulle, ulcéré, aurait choisi de partir pour Londres... » p.348
Je n’ai pas lu l’ouvrage de Paul Baudoin (Neuf mois au gouvernement, avril à décembre 1940 Éditions La Table Ronde, 1948) je suppose que Lacouture tire son propos de ce livre. L’Histoire tient décidément à peu de choses... Après tout, Karl Marx, après avoir fini la rédaction du Capital aurait déclaré : « La bourgeoisie se souviendra longtemps de mes furoncles. » Il souffrait effectivement de furonculose à l’anus et était de ce fait, obligé de rester assis très longtemps à rédiger le Capital !
Selon Lacouture, Noguès (responsable des troupes en Afrique du Nord), aurait télégraphié à Pétain le 17 juin 1940, en lui disant que l’Afrique du Nord avait des réserves de forces considérables et intactes :
« L’Afrique du Nord toute entière est consternée [...] Les troupes demandent à continuer la lutte [...] Je suis prêt si le gouvernement n’y voit pas d’inconvénient [...] à prendre [...] La responsabilité de cette attitude avec tous les risques qu’elle comporte » p.375
Mais selon Bertrand Destremau, dans sa biographie de Weygan, lorsque ce dernier arriva en Afrique après l’armistice, l’ex généralissime voyant des soldats se désaltérer dans des brocs totalement ébréchés mesura d’un autre œil que celui de Noguès les forces intactes de l’Armée d’Afrique...
L’armistice fut signé le 22 juin, le lendemain, 23 juin, Churchill faisait la déclaration suivante :
« dans la première déclaration, qui est un camouflet sans précédent au gouvernement du maréchal Pétain, le cabinet de Wilson Churchill proclame que :
« l’armistice qui vient d’être signé, en violation des accords solennellement conclus entre les gouvernements alliés, place le gouvernement de Bordeaux dans un état d’assujettissement complet à l’ennemi et le prive de toute liberté, de tout droit de représenter de libres citoyens français. En conséquence, le gouvernement de Sa Majesté cesse de considérer le gouvernement de Bordeaux comme celui d’un pays indépendant. » p.386
Lacouture ne nous dit pas comment le Premier Ministre britannique a eu connaissance des conditions de cet armistice, ni comment il aurait eu le texte en main dès le lendemain. Il s’agit plus là d’un fait de la propagande de guerre anglaise que d’un fait historique réel, tel qu’il devrait être décrit. D’autant que les accords « solennellement conclus » n’ont jamais été couchés sur le papier, il s’agissait d’une promesse orale faite par Raynaud à Churchill. Lacouture ne le dit pas non plus. Histoire bourrée de trous que celle de Lacouture, qui se réfère très souvent aux Mémoires de guerre du Général de Gaulle et qui parvient tout de même à passer sous silence les 1100 tonnes d’or qui se trouvaient à Dakar lors de l’attaque anglo-gaulliste. De Gaulle en parle dans ses mémoires, il revendique cet or comme étant la propriété de la France Libre. De Gaulle et Churchill connaissaient tous deux la présence de cet or à Dakar, Lacouture pourtant, bien qu'il fournisse nombre de détails militaires sur l’attaque, ne dit pas un mot sur cet or ! Tout comme il fait silence sur l'exode : 10 millions de personnes jetées sur les routes de France. La grande utopie gaulliste du réduit breton, elle, n’est pas passée sous silence, mais totalement minimisée, à peine abordée, en s’abstenant bien sûr de dire ce que cette « théorie » avait de ridicule.
En ce qui concerne l’assassinat de Darlan et l’exécution de son assassin, un jeune homme d’une vingtaine d’années, si Lacouture parle de la somme d’argent trouvée sur l’assassin, (2000 dollars qui ont transité par l’Intelligence Service), il balaie rapidement d’un geste la possibilité de la commande par les cercles gaullistes. Cette preuve du salaire du jeune homme, selon lui, ne « sonne pas très juste » (sic !) p.624
L’humour froid et cynique du Général n’est pas oublié dans cet immense travail. Par exemple, lors des nombreux ralliements des membres de Vichy après 42, (que de Gaulle n’appréciait pas forcément) parlant de Darquier de Pellepoix (le responsable des affaires juives à Vichy) il eut ce bon mot :
« Alors si Darquier de Pellepoix se fait circoncire, je devrais l’accueillir ? »
Excellent ouvrage que ce premier volume de la biographie du personnage français né au XIXème siècle et qui fut sans conteste le plus important du XXème. À lire précautionneusement après avoir pris, justement, quelques précautions...
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