FÉVRIER 2017

Mystérieux vol du Boeing 777 MH 17

par Vincent GOJON


Le 17 juillet 2014 le Boeing 777 MH 17 de la Malaysian Airlines disparaissait des écrans radars au-dessus de l’est de l’Ukraine. S’en suivirent de nombreuses réactions passionnées, suivies de conclusions d’experts en aviation civile et de commissions internationales… qui ne comprenaient pas toutes les nations impliquées, ont rendu ce dossier bien compliqué, au point qu’il en est difficile d’en avoir une vue d’ensemble, chacun finalement en restant à son ressenti initial et faisant instinctivement porter le blâme à ceux qu’il n’aime pas. Nous allons essayer d’apporter quelques éléments ponctuels d’éclaircissement à notre humble niveau.

Nous utiliserons les pieds (ft, unités aéronautiques) à chaque fois qu’il sera question d’altitude – on obtient le nombre de mètres en divisant par un bon tiers

Commençons par une interpellation : si vous emmenez votre petite fille vous promener dans un quartier de Rio de Janeiro où ont lieu quotidiennement des échanges de tirs entre policiers et gangs criminels, et qu’alors que vous lui tenez la main dans une de ces rues une balle la frappe en plein front, qui sera le responsable de cette tragédie ? Vous pourrez perdre du temps ensuite à chercher si la balle a été tirée par l’un ou l’autre des deux camps, si elle était visée, si c’était un ricochet… il n’en demeurera pas moins qu’en tant que père, vous auriez peut-être pu vous dispenser d’aller vous promener dans un tel endroit, ce que presque tout le monde savait en ville.

C’est ainsi que certaines compagnies avaient choisi d’éviter le secteur du Donbass dans leurs plans de vol entre l’Europe et l’Asie notamment, faisant un crochet par le sud de la mer Noire, et que d’autres passaient tout droit… eh oui, de la distance en plus, et donc du carburant consommé. On sait que les trajets de ces avions de ligne peuvent parfois fortement varier, comme le savent les gens qui utilisent une ligne de long-courrier de façon régulière : c’est en général les vents que l’on cherche à optimiser sur le trajet (150 km/h de face ou qui au contraire vous poussent, la différence en temps et carburant sera énorme – une heure, voire plus sur de longs trajets) Des logiciels de navigation, et de prévisions météos , ont été développés depuis longtemps, et sont extrêmement fiables. Pour l’évitement des zones de conflit, là par contre on reste dans certaines compagnies au niveau de la classe de collège (on remarquera que la différence entre compagnies ne se fait pas nécessairement…disons par continents, ce serait trop facile) c’est ainsi que l’auteur de ces lignes a pu observer les éclatements d’obus dans les villes syriennes pendant de longs mois avant que l’on se décide à éviter le secteur, que le lendemain de l’offensive saoudienne au Yémen il survolait encore les montagnes de ce pays en se demandant si la leçon du Donbass avait été retenue (le transit dans la zone fut interdit le lendemain) et que plus récemment on lui proposait comme déroutement des terrains africains où les balles sifflaient encore…) Il semblerait donc que dans certaines compagnies l’évaluation de la menace soit le fait d’un bureau avec deux personnes et CNN sur le mur…) d’autres compagnies sont en liaison avec les ambassades, les services de renseignement de leur pays, les attachés militaires… ce qui ne les empêche de se tromper parfois : une grande compagnie européenne dérouta ainsi un avion de Beyrouth (où il n’y avait rien) vers Damas (où il y avait ce qu’on sait) au grand dam des passagers libanais du vol ! Et enfin certaines compagnies aimeraient récupérer la diffusion de ces informations de façon gratuite, oubliant quand même que tout a un prix, à commencer par le renseignement du temps de guerre : se soucier de la sécurité des passagers c’est bien, mais si quelqu’un peut le faire gratuitement pour vous, c’est encore mieux non ? 

Dans le cas du Donbass, les combats au sol avaient eu leurs prolongements en l’air, avec un certain nombre d’hélicoptères puis d’avions ukrainiens – à peu près 10 de chaque - abattus alors qu’ils cherchaient à ravitailler des positions encerclées : sans porter de jugement, rien que de très normal dans une zone de conflit (précision utile, car certains mélangent la recherche factuelle avec le blâme sur le parti que l’on devine). Les pilotes ukrainiens cherchèrent donc à voler de plus en plus en haut, avec une descente rapide sur le terrain de destination – technique de base en aviation de transport militaire – mais cela ne garantissait pas toujours le succès, l’ennemi étant souvent contrariant en temps de guerre. C’est ainsi que le 14 juillet un Antonov fut abattu à 22 000 ft, et certains se demandèrent ce qui avait bien pu le faire tomber du ciel – mais rien ne pressait pour la réponse, n’est-ce-pas ? Il existait quand même un plancher de survol de la zone pour les avions de ligne (28 000 ft depuis le 1° juillet ) qui fut suite à cet incident remonté à 32 000 ft – soit un écart de 4000 ft/1200 mètres, on ne sait s’il faut rire ou pleurer quand on connait les performances des missiles sol-air… le MH17 volait le 17 juillet à 33000 ft, soit 300 mètres de plus que ce dernier plafond, et il était donc légal, ce qui est important. Cependant je peux dire que si on m’avait dit à moi que deux jours avant, un avion avait été abattu de cette façon sur mon trajet, même plus de 3000 m plus bas… je n’aurais pas survolé une telle zone ! Une information bien présentée, une conscience des menaces aurait pu comme on dit « faire tilt » chez certains (dans la mesure où ils lisent les journaux...) - le moins que l’on peut dire est que ce ne fut pas le cas, et que l’information passa à l’as. Ce fut le cas pour beaucoup de monde – plusieurs avions de ligne du même type avaient survolé le secteur juste avant, la chance est parfois de votre côté (et on taira le nom des compagnies). Reprenons encore une fois l’exemple de Rio : si quelqu’un a pris une balle à une fenêtre, vous n’irez peut-être pas le lendemain vous mettre à la fenêtre d’à côté…


Sa 5
S’agissant d’un crash d’avion de ligne, on fit donc appel le lendemain et les jours suivants, aux experts habituels des chaines de radio et de télévision (en général des pilotes de ligne à la retraite devenus consultants) Une de leurs caractéristiques communes était leur ignorance de tout ce qui avait trait à l’aviation militaire, et encore plus des systèmes sol-air (matériel terrestre donc, bien loin des préoccupations des cockpits civils). Au mieux ils arrivaient à citer les missiles tirés de l’épaule (Manpads tels le Sa 7) dont la portée verticale maximale est de 10000 ft, arrondie à 15000 pour ne pas prendre de risque lors des planifications – hors sujet, donc pas la peine d’en parler plus. Un autre expert s’avança en disant que jamais un missile longue-portée n’avait abattu d’avion de ligne – faux, on se souvient au moins du Tu154 russe (vol S7 Siberia airlines) abattu par erreur le 4 août 2001 au-dessus de la Mer Noire par un missile S200/Sa 5 d’ancienne génération, à très longue portée qui termina en balistique. On se vit donc gratifier de considérations sur la complexité du système… et encore la complexité du système, ce qui devait suffire à désigner un camp plutôt que l’autre – on devine à l’avance lequel. C’était oublier que ces systèmes développés depuis des années en Union Soviétique avaient plus encore que d’autres, des modes de fonctionnement « dégradés » - dégradés en tout, sauf en efficacité si on les utilise à bon escient (au moins un F16 américain fut jadis abattu au-dessus de la Yougoslavie, par un missile Sa-6 dont on n’avait pas lancé simultanément le radar d’illumination, ce à quoi tout le monde s’attendait lors d’un tir).

Et là on atteint une autre dimension du problème – c’est que même chez les spécialistes, les pilotes de combat ou les officiers de renseignement de quasiment toutes les forces aériennes, on n’a souvent qu’une connaissance fort imparfaite de tous ces systèmes de missiles, pour plusieurs raisons :


  • la multitude de systèmes existants, leur évolution constante ;
  • leurs performances et leurs modes de guidage (qui varient fortement selon les versions du missile, que l’on continue par commodité à appeler du même nom) ;
  • leur présence ou non sur le théâtre ;
  • la brièveté des affectations des spécialistes, qui rend l’acquisition des connaissances difficiles, dans ce qui devrait être un doctorat ès missiles ;
  • l’ignorance généralisée des exemples tirés de l’histoire des conflits passés ou exotiques (des dizaines d’avions ont été abattus suite à des tirs de missiles, il n’en existe aucune étude exhaustive – au alors elle est très secrète, et surtout pas portée à la connaissance des utilisateurs) ;
  • le fait que même si l’on connait le système, on a quand même du mal à prévoir de façon certaine ce que sera le résultat, dans telle ou telle présentation de l’avion (on attend de voir en situation réelle…).


Une chose est sûre : les missiles ont depuis longtemps atteint un tel niveau de perfection, que l’on pourrait dire que la cuirasse a définitivement gagné sur l’obus (débat maritime du 19° siècle) La meilleure preuve en est que tous les avions de bombardement sont désormais équipés de missiles air-sol tirés à distance de sécurité – 20, 30 km voire plus) et ne pénètrent quasiment plus dans les volumes d’efficacité des missiles – ils les évitent faute de mieux, et les pertes se produisent lorsqu’on n’a pas repéré sur le terrain l’implantation d’une nouvelle batterie. Quant aux avions de transport lents et peu manœuvrables, c’est encore pire : les systèmes de leurrage qu’on leur installe à grand prix servent surtout à mettre les équipages en confiance, et à montrer qu’on a pensé à eux. Les pilotes de ce Boeing 777 n’avaient aucune chance face à ce qui a pu les frapper …

Intéressons-nous un peu à ce BUK : jadis appelé Sa 11, c’est une version élaborée du missile qui apparut en 1973 sous le nom de Sa 6, côté égyptien lors de la guerre du Kippour. Il est destiné à l’interception de cibles à moyenne et haute altitude (jusqu’à 49 000 ft) et utilise un illuminateur radar, avec guidage autonome en finale par un petit radar en pointe avant.

Fusée de proximité bien sûr, mais aussi optique de visée et télémètre laser, pour les lancements discrets – on détecte très bien d’un avion de chasse le passage en illumination du radar principal au sol.

Dans ses différentes versions, on le trouve dans de nombreux pays – et dans le cas du Donbass, certains changèrent de main – l’armée ukrainienne était plus que réticente à réprimer ses concitoyens dans ce qui aurait dû être au début une opération de police, au point qu’il fallut procéder à de sérieux renouvellements d’effectifs, à l’aide de milices venant des régions occidentales du pays…. ainsi que de nombreux mercenaires (baltes, géorgiens, voire polonais recrutés par on sait qui). Il y avait même de ces fameuses troupes spéciales des pays de l’OTAN, du genre SAS qui vous fait après coup des clins d’œil autour d’une bière en disant « oui, bien sûr on y était » et qui étaient bien au fait de la mise en œuvre d’armements perfectionnés, sans oublier les contractors américains.… Des soldats se firent surprendre à parler anglais, les vidéos existent et se retrouvent facilement. Des deux côtés, beaucoup savaient plus ou moins mettre en œuvre ces missiles, et encore plus dans le mode dégradé (encore une fois, dire que le missile doit être mis en œuvre en batterie constituée – poste de tir, radars de veille, de guidage – est une imposture ). Et on peut en toute bonne foi viser un avion … qui n’est pas le bon, ou alors en viser un autre et avoir celui qui passe à côté, ou encore tirer sciemment pour faire croire que… mais là on vous désigne de façon commode du terme de complotiste pour clore la discussion (comme quand vous traite de raciste, avez-vous remarqué ?)

Donc selon les différentes commissions qui ont été créées depuis … le missile était russe ! la belle affaire : en Syrie comme au Yémen ou en Ukraine, les deux côtés sont abondamment pourvues en matériel « russe » – c’est-à-dire développé en Union Soviétique, puis construit et livré un peu partout. Dans le cas de l’Ukraine, ce type de missile Buk (modèle 9M38M1, car en plus il y en a plusieurs) trainait un peu partout sur le front, et des gens se sont abimé les yeux à les identifier sur diverses photos et vidéos, tout en se contredisant parfois – on vous dit que c’est l’un, et sur la vidéo c’est l’autre – allez voir si vous avez le temps, c’est assez distrayant mais la place manque ici.

Même chose pour le panache de fumée du tir qu’on aurait dû voir – j’en ai vu jadis, je peux dire que ça impressionne et que ça reste en l’air un certain temps, facilement 10 minutes. Ici dans ce qui nous est présenté… il faut bien s’écarquiller les yeux – et pareil enfin pour la fameuse « image satellitaire américaine » qui n’est rien d’autre qu’un croquis explicatif, et en aucun cas l’image qu’on attendait. Certaines sources manquent toujours – le radar était justement en réparation, l’autre était incomplet – on se demande comment travaillait le contrôleur ce jour-là s’il ne voyait rien.

Saura-t-on un jour ? D’autres guerres ont éclaté depuis, d’autres victimes ont endeuillé de nombreux pays, et d’autres avions ont disparu. Je n’ai pas la prétention en trois pages d’avoir répondu à ces questions, juste d’avoir éclairci certains points et donné des axes de réflexion. Puisse ce modeste article avoir fait réfléchir, et s’interroger quant à la circulation aérienne au-dessus des zones de conflit, jamais figées et où chacun essaie de s’en sortir du mieux qu’il peut, avec les armements qu’il peut récupérer – et ceci est vrai depuis l’aube de l’humanité.


V.G.

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