Le décret migratoire de Donald Trump visant sept pays du Moyen-Orient (Iran, Irak, Syrie, Libye, Somalie, Soudan, Yémen) est manifestement une opération démagogique. Mais elle n'est pas non plus, comme on le verra, exempte d'arrière-pensées géopolitiques. Chercher les raisons de cette décision dans les impératifs de la lutte contre le terrorisme, en tout cas, relève de l'exploit intellectuel. Car aucun de ces pays n'a fourni de terroriste ayant frappé le territoire américain, et aucun ne sponsorise les organisations djihadistes.
Six d'entre eux, en revanche, partagent le triste privilège d'avoir été dévastés par des guerres menées ou fomentées par les Etats-Unis d'Amérique.
La Somalie et le Soudan ont été minutieusement dépecés avec la complicité occidentale. L'Irak a été pulvérisé en 2003, puis livré à la guerre civile et aux attentats à répétition. La Libye a subi le même sort par voie aérienne en 2011, Paris et Londres ayant fait le sale boulot pour le compte de Washington.
La Syrie est également frappée, depuis 2011, par une tentative de déstabilisation qui lui inflige un véritable martyre, les services secrets américains ayant joué un rôle décisif dans le financement des organisations terroristes conformément à un agenda avoué par Hillary Clinton elle-même. Le Yémen, enfin, subit à son tour depuis mars 2015 une agression militaire saoudienne parrainée par Washington.
En interdisant l'entrée sur le territoire américain aux ressortissants de ces six pays, Donald Trump leur inflige donc la double peine. Ses prédécesseurs les ont ruinés, et voilà qu'il les ostracise. L'absurdité de cette politique saute aux yeux quand on constate que l'Arabie saoudite et le Qatar, fourriers notoires du terrorisme, ne font l'objet d'aucune sanction. Donald Trump punit les victimes des crimes commis par George W. Bush, Barack Obama et Hillary Clinton. Et comme si cela ne suffisait pas, il absout leurs complices du Golfe.
Des considérations électoralistes peuvent expliquer cette politique de gribouille. Elle envoie un signal au fan club du nouveau président, elle accrédite l'idée qu'il ne se contente pas de paroles. Mais ces mesures ne servent à rien. Prises pour 90 jours, elles pénalisent évidemment de nombreuses familles, mais les binationaux et les titulaires d'une carte verte ne sont pas concernés. Et on se doute qu'il y avait peu de Yéménites ou de Soudanais pressés de se rendre aux USA ces derniers temps. L'intérêt de l'opération n'est pas seulement interne. Car l'objectif de la nouvelle administration, en réalité, est de stigmatiser l'Iran.
Faisant fi de sa participation à la lutte contre la terreur, Trump entend piquer Téhéran au vif, ce qui permettra le cas échéant de mettre en cause l'accord sur le nucléaire dénoncé par le candidat républicain. Répondant à ses critiques, le président s'est aussitôt défendu de viser les musulmans. Il est vrai que le décret ne distingue pas les ressortissants concernés selon leur confession, disposition odieuse et impraticable. Mais cette provocation annoncée, sans nul doute, vise bien Téhéran.
Washington sait que les sanctions, en freinant le développement du pays, affaiblissent l'Etat iranien. Cette puissance régionale montante jette un défi à l'hégémonie des USA, elle prive de sommeil leurs protégés du Golfe. En plantant cette banderille sur le flanc de Téhéran, Donald Trump caresse son électorat dans le sens du poil et satisfait une aile néoconservatrice du parti républicain qu'il a sérieusement malmenée durant la campagne. Mais en privant les Iraniens de tout échange humain avec les USA, il va plus loin. Il démonétise l'accord sur le nucléaire, il le vide de sa substance, il invalide symboliquement toute perspective de normalisation. Sans le dire, il prépare un bras-de-fer avec ce pays qui défie les USA depuis 1979.
B.G.
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