En matière de standards de TV-couleur les téléphiles auront remarqué que la France a opté pour le format SECAM, qui est également utilisé en Russie et dans les pays de l’ex Union Soviétique, mais aussi en Amérique du Sud. Tandis que les Allemands, les Italiens, le Bénélux ont opté pour le format PAL. Et les américains pour le format NTSC.
Mais bien peu savent que le fait d’imposer un standard ou un autre a fait l’objet d’âpres batailles d’influence au milieu des années soixante. Quelques uns, dont le Président français Charles de Gaulle, avaient compris que le format le plus répandu pourrait permettre d’inonder le reste du monde de sa culture. Et pas seulement… Ce qui lui a fait dire que le contenu (en l’occurrence les programmes) était tributaire du contenant (en l’occurrence le standard). Dès lors la diffusion de la TV couleur devenait un enjeu stratégique de premier plan.
Tout a commencé en 1963 quand Henri de France, inventeur du standard SECAM 625 lignes a sollicité une entrevue à l’Elysée pour demander son aide au général de Gaulle. Il était convaincu de l’importance de son invention mais n’avait pas les moyens de financer la production et la commercialisation de ce qui deviendra tout simplement la « télé-couleur ».
Charles de Gaulle s’est fait exposer la situation. Le standard américain NTSC de faible qualité était déjà commercialisé. Malgré les lignes qui bougent, les vagues de couleur à l’écran et la difficulté à suivre l’image, la TV-couleur américaine existait et commençait à équiper les foyers.
Il fallait absolument lancer un contre feu. Sans quoi en quelques années la terre aurait été inondée de programmes américains en langue anglaise. Impensable pour le général !
Il a diligenté une enquête pour savoir ce qui se passe dans le monde : les allemands travaillaient sur leur propre standard, le Pal et les russes avaient également un programme de recherche assez avancé. Les autres, tous les autres, s’apprêtaient à tomber dans la sphère d’influence américaine.
Sur demande de l’Elysée, on a contacté les allemands. Mais le chancelier Ehrhadt n’avait pas l’envergure d’Adenauer. Il n’a en aucune façon incité ses ingénieurs à se rapprocher des français. Des ingénieurs qui étaient d’ailleurs totalement imbus de leur supériorité au point de considérer l’invention française comme négligeable.
Pour la Russie le général de Gaulle est parti lui-même à la manœuvre. Il n’avait aucune considération pour Brejnev, c’est donc le numéro deux de l’Union Soviétique, Alexis Kosygin qu’il a contacté. Celui-ci a immédiatement saisi les enjeux et a promis de mettre les équipes soviétiques à la disposition de la France pour la mise au point d’un standard Secam commun.
Kosygin a apporté tout le « bloc » soviétique dans la corbeille de mariage mais il a demandé à Charles de Gaulle de contacter personnellement la Pologne, toujours encline à faire de la résistance envers Moscou.
Le général a donc appelé Varsovie et a rallié sans problème les polonais au standard Secam.
Il faut se rappeler qu’entre Charles de Gaulle et la Pologne il y avait une vieille tradition de confiance et d’amitié. Les dirigeants polonais parlaient tous français, à commencer par Wojciech Jaruzelzki et ils roulaient en Peugeot. Pour eux chaque détail qui les démarquait de Moscou avait son importance.
Tout cela explique qu’il y a eu un Secam 1 français, un Secam 2 polonais et un Secam 3 russe.
Non content de cette première et importante victoire qui éliminait le standard NTSC de toute l’Europe et de l’Asie, le Président de Gaulle a organisé un grand voyage d’Etat de 3 semaines en Amérique du Sud. Et là, de pays en pays, il a arraché le ralliement de tous au système Secam. Il n’a d’ailleurs pas fait que cela…
Entretemps l’Allemagne a fini par accepter de rendre son propre standard PAL compatible avec le SECAM. Et du coup, les deux systèmes unissant leur force, un coup d’arrêt était donné à la propagation expansionniste de la culture yankee.
Il suffit aujourd’hui de regarder la carte du monde pour se rendre compte de la domination du standard unifié PAL-SECAM qui est dominant sur tous les continents, sauf l’Amérique.
Le système SECAM restrictif (sans décodage Pal) est l’apanage de la France, de la Russie et de l’Afrique francophone. A l’exception, par exemple, de l’Alsace où chaque téléviseur a toujours été équipé du double standard pour capter aussi les programmes allemands.
Tous les autres pays ont ce double standard Pal-Secam qui permet de capter aujourd’hui des centaines de chaînes et d’avoir accès à une culture mondiale.
Quand on constate la domination indiscutable de la musique et du cinéma anglo-saxon, on a du mal à imaginer ce qu’il en serait si les américains avaient réussi à imposer aussi leur standard TV.
Grâce au Secam c’est aussi la francophonie qui possède un tremplin indispensable à son rayonnement. Il suffit de lire, entre autres, les excellents ouvrages d’Alain Peyrefitte pour se rendre compte à quel point Charles de Gaulle était conscient de cela et à quel point il a savouré sa victoire.
D’aucuns pourraient s’étonner qu’un président de la république reçoive un inventeur à l’Elysée, pour l’aider à trouver des solutions de fabrication et de commercialisation. Même si son invention est de première importance.
Ou qu’il décroche le fameux téléphone rouge pour convaincre Moscou de le suive dans cette aventure.
Et enfin qu’il organise un grand voyage d’Etat de 3 semaines avec une logistique digne d’un général en campagne puisqu’il dormait sur le croiseur Colbert (Terre française) pour pouvoir y signer les décrets et correspondre avec la France en code sécurisé. Et qu’il ne se déplaçait qu’en Caravelle pour visiter les dix pays d’Amérique du Sud. Bref, il avait pensé à tout dans les moindres détails.
Mais c’est seulement grâce à cette implication totale du général de Gaulle qu’il existe aujourd’hui une alternative à la diffusion de la culture américaine par voie télévisuelle.
Une fois de plus le monde libre lui doit beaucoup car il avait compris que celui qui avait la technologie imposerait ses programmes. « Le contenu est tributaire du contenant ». En langage moderne on dirait que le « hardware » détermine le « software ».
Et contrairement à nos dirigeants actuels qui se gargarisent du moindre petit succès obtenu à l’étranger parce qu’ils sont incapables de diriger la France, le général ne s’est jamais vanté de cette véritable victoire technologique et culturelle. Il savait savourer ses réussites en toute discrétion.
Inutile de préciser que les américains étaient furieux à plus d’un titre.
Une fois encore le vieil et intransigeant général français avait contrecarré leurs plans hégémoniques. Et surtout il s’était permis d’intervenir en Amérique du Sud, chasse gardée traditionnelle des américains, qui avaient mis pendant 150 ans ce continent à feu et à sang en y fomentant des révolutions au gré de leurs intérêts.
M.K.
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