Le 19 juillet 1870, Napoléon III déclare la guerre à la Prusse, à la suite d’un imbroglio diplomatique.
Il y avait un an que Bismarck envisageait sérieusement de déclencher cette guerre. Pour la provoquer, celui-ci employa le même stratagème qu'autrefois durant la Guerre des Duchés1, en suscitant une candidature princière, à la succession d’Isabelle II d’Espagne2, dont le retrait opportun lui donnerait les apparences de la modération, mais dont la seule annonce suffirait à déchaîner des passions nationales impossibles à refréner. Bismarck mis en avant le prince Léopold de Hohenzollern-Sigmaringen3 pour succéder à la souveraine espagnole ce qui ne manqua pas de déclencher l’ire des Français qui informèrent le Chancelier de leur opposition.
La situation culmina le 13 juillet 1870, quand une dépêche habilement caviardée4 par Bismarck, soulève une tempête dans l'opinion française comme dans l'opinion allemande. Des deux côtés du Rhin, on en appelle à la guerre contre le voisin…
Le 15 juillet, lorsque les chambres votent la mobilisation, les Pacifistes se montrent réticents. « Vous n’êtes pas prêts5 », avertit Adolphe Thiers. « Nous sommes prêts et archiprêts, rétorque le maréchal Le Bœuf6, ministre de la guerre. La guerre dût-elle durer deux ans, il ne manquerait pas un bouton de guêtre à nos soldats. » On connaît la suite : un mois et demi plus tard, l’empire français capitule. L’Empereur, lucide, télégraphia à l’Impératrice7, le 3 août 1870 : «…rien n’est prêt, nous n’avons pas suffisamment de troupes, je nous considère comme d’avance perdus»
L'Empire allemand est proclamé à Versailles le 26 février, et le 10 mai 1871 l'Allemagne et la France signent à Francfort-sur-le-Main, le traité de paix : l'Alsace sauf Belfort – mais agrandie de la Haute Vallée de la Bruche (Schirmeck –Saâles) et la Moselle (moins Briey, plus Sarrebourg et Château-Salins) sont cédées à l'Allemagne. C'est la première annexion, légale puisque votée par l'Assemblée Nationale française réunie à Bordeaux, et malgré les vives protestations des députés alsaciens et mosellans : « Livrés, au mépris de toute justice et par un odieux abus de la force, à la domination de l'étranger, nous avons un dernier devoir à remplir. Nous déclarons encore une fois nul et non avenu un pacte qui dispose de nous sans notre consentement. La revendication de nos droits reste a jamais ouverte à tous et à chacun dans la forme et dans la mesure que notre conscience nous dictera. Au moment de quitter cette enceinte où notre dignité ne nous permet plus de siéger, et malgré l'amertume de notre douleur, la pensée suprême que nous trouvons au fond de nos cœurs est une pensée de reconnaissance pour ceux qui, pendant six mois, n'ont pas cessé de nous défendre, et d'inaltérable attachement à la Patrie dont nous sommes violemment arrachés. Nous vous suivrons de nos vœux et nous attendrons, avec une confiance entière dans l'avenir, que la France régénérée reprenne le cours de sa grande destinée. Vos frères d'Alsace et de Lorraine, séparés en ce moment de la famille commune, conserveront à la France, absente le leurs foyers, une affection filiale jusqu'au jour où elle viendra y rependre sa place. Ont signé: Albrecht; Ed. Bamberger; Bardon; Boell; Boerch; L. Chaffour; Deschange; Dornes; Léon Gambetta; Jules Grosjean; Frédéric Hartmann; Humbert; Kable; E. Keller; Alfred Koechlin; Kuss; Melsheim; Th. Noblot; Dr. André Ostermann; V. Rehm; Rencker; Alph. Saglio; Scheurer-Kestner; Schneegans; A. Tachard; E. Teutsch; Titot. J. Cussac8 »
En juin 1871, les deux départements d'Alsace et de Moselle deviennent le Reichsland Elsaß Lothringen. 125 000 personnes quittent l'Alsace et la Moselle suite à la possibilité d'option prévue par le traité de Francfort. A l'issue du délai légal d'émigration, beaucoup de jeunes tentent la fuite pour échapper au service militaire dans l'armée allemande, rendu obligatoire en 1872. Les fonctionnaires et les militaires allemands arrivent en Alsace- Moselle.
La Moselle, avant la guerre, était déjà une région disputée. Sa situation géographique nécessitait la construction de fortifications car, comme on l’a vu plus haut, la montée en puissance de la Prusse en Europe après ses victoires sur le Danemark (1804) et l'Autriche (1866), faisait craindre en France ce proche voisin.
A la fin du XIXe siècle, la défense de la Lorraine s'appuyait essentiellement sur les anciennes places fortes héritées de Vauban et Cormontaigne, qui avaient, au cours des XVIIIe et XIXe siècles subi quelques réparations et de modestes améliorations mais demeuraient malgré tout, largement dépassées. Ainsi, sous l'impulsion des chefs militaires de l'époque et en particulier du lieutenant-colonel Séré de Rivières, commandant le Génie militaire, la décision de fortifier Metz, gardienne des frontières de l'Est, a été prise.
Les projets débutent en 1865 par la construction de quatre forts avancés. Il s'agit :
du Fort Diou sur le Mont Saint Quentin9
du Fort de Queuleu10
du Fort Saint Julien11
du Fort de Plappeville12
Lors de la déclaration de guerre les fortifications françaises ne sont pas achevées et les Prussiens achèveront de les construire durant l’annexion. A propos de l’annexion, on peut constater deux phases : avant 1890 et après 1890.
En effet, la première phase a été une phase de germanisation intensive (culturelle, linguistique, morale, mais aussi administrative...) Après la démission de Bismarck, la rigueur s’atténua. La germanisation avait rempli son rôle, l'économie avait repris. Malgré tout, la revanche restait un rêve et l'espoir de réintégrer la France a toujours été très vif en Moselle avec, notamment le rôle du Souvenir français qui n’est pas, contrairement à ce que croient les Français, une association d’anciens combattants. En effet, c’est un professeur alsacien, François-Xavier Niessen13 (1846-1919), qui, refusant l’annexion de l’Alsace-Lorraine par l’Allemagne et voulant montrer les liens qui unissent les Alsaciens-Lorrains à la France tout en maintenant le souvenir des provinces perdues, crée le Souvenir français. Il pensait que l’entretien des tombes devait permettre de garder présent dans les esprits le souvenir des « Morts pour la France » ainsi que le sentiment de l’unité nationale.
L’annexion de la Moselle eu des conséquences architecturales pour la ville de Metz, notamment après l’avènement de l’Empereur Guillaume II14. L’Annexion a, ainsi, légué des équipements municipaux et des écoles modernes, fonctionnelles et hygiéniques qui se donnaient comme des modèles d’architecture. L’école du boulevard Paixhans15 en est une illustration convaincante. C’est au cours de l’Annexion qu’ont été construits, également, tous les hôpitaux messins : la Maternité16 (congrégation messine de la Charité maternelle), l’hôpital Belle-Isle17 (fondation protestante allemande), l’hôpital Sainte-Blandine18 (fondation de franciscaines allemandes), l’hôpital Sainte-Marie19 devenue Notre-Dame-de-Bonsecours (fondation de la congrégation de l’Espérance de Bordeaux), l’hôpital Legouest20 (ancien hôpital militaire allemand).
C’est également au cours de ces années que la ville s’est assainie, que le nauséabond fossé des tanneurs a été comblé et que la place Saint-Jacques a été dégagée.
La destruction des remparts médiévaux, en 1903, permit la création de nouveaux quartiers, en particulier celle du quartier Impérial.
Sa construction obéissait à plusieurs objectifs. L'empereur Guillaume II voulait « germaniser » la ville en créant une nouvelle cité à l'architecture allemande. Les bâtiments de ce quartier devront affirmer l'appartenance de Metz à l'Empire et glorifier le pouvoir impérial. Les militaires exigèrent un quartier organisé de manière stratégique autour d'une nouvelle gare, elle-même conçue dans l'éventualité d'une guerre contre la France, alors que la municipalité souhaitait une nouvelle ville moderne, symbole du dynamisme de la cité. La bourgeoisie voulait un quartier de villas et d'immeubles luxueux et confortable : la vitrine de sa réussite…
Metz réalise, donc, sur un délaissé militaire, une « Neustadt », une nouvelle ville. Elle bénéficie d’outils réglementaires élaborés dans un pays en pleine explosion industrielle et surtout des réflexions des théoriciens de l’urbanisme sur la fonctionnalité et l’esthétique des villes. Les écrits de Camillo Sitte, sur l’art de bâtir les villes21, ont contribué à l’élaboration de cette extraordinaire extension urbaine. Dans le même élan, la Neustadt exploite les nouveaux concepts des faubourgs-jardins issus de ceux des cités jardins anglo-saxonnes diffusés en Allemagne par Hermann Muthesius22.
En 1902, Conrad Wahn, l’architecte de la ville imprégné de toutes ces références, dessine une Neustadt comportant des équipements de communications exceptionnels, deux gares, deux postes, des hôtels de voyageurs, des écoles, un hôpital, des maisons d’association avec des salles de fêtes prestigieuses et des immeubles de rapport fastueux. L’identité lorraine française est, tout de même représentée, grâce à l’architecte Louis Bier dont on trouvera une illustration à l’angle des rues Gambetta et Charlemagne.
Toutefois, l’un des symboles de la ville reste la gare de Metz, avec sa façade se déployant sur plus de 300 mètres, située au cœur du quartier impérial. Cette gare que Maurice Barrès dépeindra ainsi : « La gare neuve où l'on débarque affiche la ferme volonté de créer un style de l'empire, le style Kolossal, comme ils disent en s'attardant sur la dernière syllabe. » ( Colette Baudoche, histoire d'une jeune fille de Metz, de Maurice Barrès, Paris 1909).
L’histoire de la construction de cette gare est intimement liée aux préoccupations politiques de la fin du 19e siècle. Il consiste à mettre sur pied le plan Schlieffen, en une gigantesque requalification des moyens de communication de l’Empire, dans le but de porter la guerre à l’Ouest ou à l’Est en des temps record. L’ancienne gare, toujours visible place du Roi George, ne convient pas car c’est une gare en cul-de-sac. En 1901, Guillaume II décide de l’urgence de la construction d’une nouvelle gare à Metz, objectif de l’opération : faire évacuer en une seule journée les 25000 soldats du XVIe corps d’armée de Metz avec armes, bagages et chevaux.
C’est Jürgen Kröger, un architecte berlinois, qui est choisi. Mais Guillaume II, comme pour les bâtiments publics du quartier impérial, va intervenir lui-même pour imposer le style néo-roman auquel il est amoureusement attaché. Les travaux de la gare, qui débutent en 1905, sont colossaux. Plus de 3 000 pilotis de béton armé sont nécessaires pour stabiliser le sol. 3 millions de m3 de matériaux, 10 000 tonnes de fer sont charriées pour la construction. Le budget initial de 3 millions de marks dérape finalement à 29 millions. Mais il ne faut que 3 ans pour mener le projet à terme. La gare est inaugurée le 17 août 1908.
En février 2017, la Gare de Metz est élue, par les Internautes, comme la plus belle de France.
Un jeune architecte austro-hongrois, Johann Balassa, arrive à Metz en 1906 et il entreprend de construire, dans la « Neustadt », un établissement balnéaire (1907-1910) totalement nouveau. S’opposant à la réglementation urbaine et esthétique en vigueur, il outrepasse le programme imparti et, sur le modèle des thermes antiques et des établissements des villes d’eau du XIXe siècle, il fait construire le premier bâtiment entièrement en béton armé de Metz, aidé par l’entrepreneur et maître d’ouvrage spécialiste du béton armé Nicolas Dietsch. Le bassin de natation (autoportant) est installé au deuxième étage. S’inspirant d’Otto Wagner23, il pare les bassins, les parois et la façade de plaques de cristal de Bohême et de mosaïques conférant ainsi à l’établissement le nom de Palais de cristal24. Avec cet établissement, les Messins vont bénéficier de tous les soins du corps et les délassements modernes et conviviaux de l’époque (cinémas, restaurants automatiques, salles de jeux…). Le décor de stuc, de verre et de ferronnerie est inspiré par les maîtres de la Sécession viennoise et des Wiener Werkstätte25.
L'exploitation du scandaleux palais de cristal ne dure que trop peu de temps. Une faillite entraîne sa fermeture au bout de deux mois. La piscine, les salles de massage, les bains de vapeur, les bars, le cinéma, la taverne transformée en grotte artificielle sont condamnés.
Vers les années 1960, le palais est recouvert de plaques opaques, l'intérieur est remodelé, la piscine est recouverte d’une dalle de béton. Rien ne subsiste de l'aspect initial d'un des bâtiments les plus spectaculaires et les plus représentatifs de l'esprit viennois à Metz….
Bien sûr, il me faut, également, évoquer le Concordat, dont beaucoup voudraient qu’il soit mis en œuvre dans toute la France, et je le ferais en évoquant Paul Tornow26. Architecte « historiciste », comme le fut Viollet-Le-Duc27, Tornow fut l’architecte en chef de la cathédrale Saint-Etienne de Metz et le premier inspecteur des Monuments historiques de Moselle de 1874 à 1904. Ses travaux de restauration sur la cathédrale Saint-Etienne de Metz, édifice gothique dont la première pierre fut posée en 1235, et dont le chantier est symboliquement marqué par l’achèvement des voûtes en 1500, furent l’œuvre majeure de sa vie. Dans son désir de « germaniser » la ville, l’Empereur avait souhaité se défaire du portail de la cathédrale imaginé par Jacques-François Blondel28, en raison de la forte dissonance stylistique entre la cathédrale gothique et ce portail de nature plutôt classique. Pour les Allemands ce dernier paraissait comme un élément hors d’échelle dans son contexte, d’autant plus qu’il manquait le cadre nécessaire à la compréhension de ses proportions et de son vocabulaire architectural et ornemental, la massivité de l’œuvre blondélienne n’ayant pas de répondant sur le nouveau parvis inachevé. Paul Tornow mûrit son projet de portail pendant près de trente années durant lesquelles il effectua deux voyages en France au cours desquels il rencontra, notamment, des élèves de Viollet-Le-Duc afin de ne pas trahir la volonté des bâtisseurs de l’époque. La première pierre du nouveau portail néo-gothique fut posée en mai 1900 et il fut inauguré trois ans plus tard, le 14 mai 1903, en présence du couple impérial.
Le porche de Paul Tornow n’est pas une attaque contre la culture française, mais au contraire un hymne au gothique français du XIIIe siècle…
« Oh ! une heure sonnera - nous la sentons venir - cette revanche prodigieuse... » (Victor Hugo le 1er mars 1871 devant l’Assemblée nationale29)
Si les Français, à l’image de Maurice Barrès ou de Victor Hugo, n’eurent de cesse de réclamer le retour de l’Alsace et de la Moselle, force est de constater, aujourd’hui, que le Reich a laissé de biens belles œuvres dans Metz, œuvres qui font la renommée de la ville en attendant un classement au Patrimoine mondial de l’Humanité30… ?
Déclaration des Députés d'Alsace-Lorraine lue à l'Assemblée Nationale de Bordeaux, le 1er Mars 1871, par M. Jules Grosjean, Député de Belfort. http://xav99.chez.com/Bordeaux1871.htm
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