Des certitudes acquises depuis des siècles concernant la tradition biblique sont aujourd’hui mises à mal au regard de recherches archéologiques modernes. Des pans entiers de cette tradition sont ainsi appelés à voler en éclats et à s’interroger sur les évènements historiques qui ont influencé l’écriture de la Bible. Il pourra apparaître ensuite nécessaire de comprendre que faire de ces nouvelles données en matière de spiritualité.
Qu’est-ce que la Bible ?
Quelle aventure nous conte-t-elle ?
La Bible débute par le jardin d’Eden, se poursuit avec Caïn et Abel, puis Noé et le déluge, pour se concentrer ensuite sur une seule famille, celle d’Abraham.
Abraham eut un fils, Isaac. Isaac eut un fils, Jacob, père des douze tribus qui finirent malheureusement esclaves de Pharaon. Il appartiendra à Moïse de libérer ce peuple, de lui faire subir un exode pendant quarante ans au cours desquels Dieu lui donnera la loi qui devra le guider. Moïse n’entre pas en terre promise, Canaan donc. C’est Josué qui reprendra le flambeau et qui prendra les forteresses de Canaan, Jéricho étant la plus célèbre de toutes. S’ensuit alors l’édification d’un royaume immense dirigé par le roi David, puis par Salomon. La succession de Salomon se passe mal, deux royaumes distincts apparaissent, Israël au Nord et Juda au sud. Dieu punit par l’intermédiaire des assyriens le royaume impie du nord. Surtout à cause d’Achab et Jézabel. Le roi Josias, au septième siècle avant notre ère, héritier seize générations plus tard du roi David, cherchera à unifier les deux royaumes, Israël et Juda, mais finira mal lui aussi et sera vaincu par les égyptiens.
Reprenons donc chaque phase importante et observons les raisons pour lesquelles l’archéologie d’aujourd’hui réduit à l’état de fables ce que l’on croyait encore, il y a peu, être la seule histoire vécue par ce peuple extraordinaire. Le livre qui dérange est celui-ci, La Bible dévoilée1. Dans ce livre, qui n’est pas un essai mais plus exactement une sorte de compilation organisée de toutes les découvertes archéologiques de ces dernières années, les auteurs n’expriment pas leur opinion.
Depuis le dix-neuvième siècle, la connaissance des régions environnantes, Egypte d’un côté, Assyrie et Babylonie de l’autre, nous renseigne d’une manière extérieure sur l’aventure du peuple hébreu, d’autant plus que les archives de ces deux contrées sont extrêmement précises. Les égyptiens notamment conservaient quasiment tout, comme une sorte d’obsession d’archiver.
Ainsi, Hatchepsout2, reine d’Egypte, avait eu l’audace de se proclamer Pharaon, c’est-à-dire roi d’Egypte. Son successeur, ulcéré par l’outrage, fit disparaître toutes les traces de cette usurpatrice de titre. Nous ne connaissons d’ailleurs cette reine que depuis peu, après avoir découvert une stèle déjà enterrée à l’époque et sur laquelle le visage d’Hatchepsout n’avait pas été raclé. Donc, supposons que le peuple hébreu se soit retrouvé dans le désert pendant quarante ans, et pour plus d’une trentaine d’années dans la ville de Cades-Barnéa.
La description de la frontière sud d’Israël au chapitre 34 des nombres ne fait aucun doute sur la localisation. Supposons aussi, comme le mentionne la Bible, que les hébreux aient séjourné à Eçyon-Gébèr, que les archéologues ont identifié par les descriptions comme se trouvant entre Eilat et Aqaba, sur la frontière moderne qui sépare Israël de la Jordanie.
Autre piste, les égyptologues confirment que les descriptions de l’Egypte supposément à l’époque de Moïse, c’est-à dire au treizième siècle, sont en fait celles du septième siècle. Les chantiers mentionnés ainsi que les routes empruntées ou évitées pour raisons de sécurité ne font aucun doute sur ce point. Le texte de l’exode n’aurait-il été écrit qu’au septième siècle avant notre ère ?
Tablette en écriture cunéiforme découverte en Mésopotamie
Admettons que l’aventure du peuple hébreu, sous la conduite de Moïse, soit une fiction, cela n’implique pas nécessairement que le reste le soit. Il est possible qu’une partie des cananéens se soit retrouvée en guerre contre une autre partie, révolution ou guerre civile, ce n’est pas parce que Moïse disparaît que Josué est forcément un fantôme.
« Dans l’euphorie générale - au moment même où Josué semblait devoir remporter une nouvelle victoire - un certain nombre de contradictions troublantes apparurent. Alors que les médias du monde entier annonçaient la confirmation des conquêtes de Josué, les morceaux essentiels du puzzle archéologique cessèrent tout à coup de s’emboîter.
À commencer par Jéricho. Nous le disions plus haut, les cités de Canaan n’étaient pas fortifiées ; aucune muraille ne pouvait donc s’écrouler. Dans le cas de Jéricho, la situation est encore plus simple, car on n’y décèle pas la moindre trace d’occupation au XIIIe siècle avant JC ; l’habitat précédent, du bronze récent, date du XIVe siècle ; très modeste, pauvre, presque insignifiant, il ne comportait pas de mur d’enceinte. Il ne révèle non plus aucune trace de destruction. Par conséquent, la fameuse scène des forces israélites, massées derrière l’Arche d’alliance, en train de défiler autour des puissantes murailles, lesquelles s’écroulent quand retentissent les trompettes de guerre, se révèle n’être rien de mieux, pour parler simplement, qu’un mirage romanesque. »
La conquête de Canaan n’est donc pas une conquête fulgurante que le peuple israélite aurait réalisée grâce à l’ardeur de ses combattants et avec l’aide de Yahvé, c’est plutôt une occupation lente et graduelle qui s’est déroulée sur plus d’un siècle. Quant aux cités en question, elles furent bien détruites, mais pas par une armée constituée et guidée par Josué. L’archéologie moderne est à même d’identifier bien des causes, l’invasion de peuples étrangers, les troubles sociaux, la guerre civile, etc. Là encore, l’histoire de cette conquête telle que la Bible nous la raconte tient plus du roman que de l’histoire.
En fait, on peut distinguer deux périodes dans le déroulement des recherches effectuées sur le terrain. La première phase découvrit des traces, des ruines, quelque chose comme des preuves de l’occupation du terrain telle que la Bible la décrivait, notamment des ruines, au nord, qu’il fut facile d’estampiller ‘Salomon’ puisqu’elles s’accordaient avec le texte en lieu et place.
« Même si, à Jérusalem, aucune trace du temple ni du palais de Salomon n’a pu être identifiée, les savants ne manquaient pas d’autres sites à explorer. La Bible (1 R 9, 15) décrit les travaux de reconstructions entrepris par Salomon dans les cités nordistes de Megiddo, d’Haçor, de Gézér. Les fouilles de l’un de ces sites - Megiddo - entreprises par une expédition de l’oriental institute de l’université de Chicago, en 1920 et 1930, ont révélé d’impressionnants vestiges de l’âge du fer. Ils ont bien entendu été d’emblée attribués à Salomon ». Mieux encore, cette théorie se trouva confirmée par Yigael Yadin, archéologue de renom, qui à plusieurs reprises certifia avoir trouvé les preuves de l’épopée davidique et salomonique telle qu’on peut la lire dans la Bible. Ce fut la théorie la plus en vogue juste après les années soixante, la plus rassurante aussi, raison pour laquelle elle fut si vite acceptée.
Mais l’archéologie est une science ! Et même si en tant qu’individu le scientifique aimerait trouver ceci ou cela, en tant que scientifique l’individu est bien obligé d’accepter la vérité qui dérange.
Ainsi, les recherches ultérieures, celles des années quatre-vingt-dix, ont prouvé le contraire. Cette deuxième phase a eu raison des certitudes antérieures. Non seulement David et Salomon ne régnèrent pas sur un royaume unifié qui s’étendait de Jérusalem, au sud, à Haçor, au nord, mais l’influence réelle de ces deux rois dans leur contrée sudiste est elle aussi à revoir à la baisse. À l’époque du roi David, le territoire comptait au maximum quarante-cinq mille personnes dont quatre-vingt-dix pour cent vivaient au nord. « Cela laissait environ cinq mille habitants éparpillés entre Jérusalem, Hébron et une vingtaine de villages de Juda, sans compter quelques groupes épars de semi nomades ». Quel royaume !
L’archéologie de la première phase « avait antidaté d’un bon siècle les vestiges davidiques et salomoniques. » la réalité vécue est plus prosaïque, David et Salomon furent deux petits rois d’un petit royaume des hautes terres du sud, vraisemblablement aimés de leur peuple et qui sont restés dans la conscience collective comme ayant été les souverains d’un état unifié, petit, tout petit, mais unifié. Les descendants de David et Salomon ont régné quatre siècles en suivant, ce qui, dans les périodes difficiles, suffit vraisemblablement à en raviver le souvenir et en faire peu à peu une légende acceptable.
Je vous propose donc de reparcourir à nouveau, dans le prochain numéro de « Sans Frontières » l’aventure des hébreux sur la terre de leurs ancêtres.
F.M.
1écrit par Israël Finkelstein et Neil Asher Silberman. 2001 pour l’édition originale, 2002 pour l’édition française et 2007 pour le livre de Poche.
2Hatchepsout est la fille du pharaon Thoutmôsis Ier et de la Grande épouse royale Ahmès. Son époux est Thoutmôsis II, fils de Thoutmôsis Ier et d'une épouse secondaire, Moutnofret Ire. Le couple a une fille, Néférourê. Hatchepsout monte sur le trône vers 1478 av. J.-C. Elle règne conjointement avec Thoutmôsis III, le fils de son époux et d'une épouse secondaire de celui-ci, Iset. Selon l'égyptologue James Henry Breasted, elle est connue pour être la « première grande femme dont l'histoire ait gardé le nom »2. Manéthon l'appelle Amessis ou Amensis.
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