Il y a un peu plus de deux ans, j’avais relaté comment le Département d’État américain avait « organisé » la révolution ukrainienne1 en relatant une conversation téléphonique entre Victoria Nuland et l’ambassadeur américain en poste à Kiev. Comme par hasard, certaines personnes citées dans la conversation se sont retrouvées dans le nouveau gouvernement ukrainien.
Il y a un an, Georges Friedmann, à l’occasion d’une réunion du « Chicago Council2 »
a très clairement affiché les orientations à court et moyen terme de la politique étrangère américaine en matière européenne3.
Et Georges Friedman n’est pas n’importe qui. Il enseigne depuis plus de 20 ans les sciences politiques au Dickinson College, université américaine de réputation mondiale en matière d’enseignement. Il est également le fondateur et l’actuel dirigeant de la société Stratfor, société spécialisée dans le renseignement et la prospective géopolitique. A ce titre, il est influent auprès du SHAPE (Quartier Général des Forces Alliées en Europe), de l’US Army War College et de la RAND Corporation. Bref, quelqu’un qui sait de quoi il parle.
En premier chef, que va faire la Russie avec l’Ukraine ? Vont-ils créer une « zone tampon » avec l’Ukraine, qui resterait au minimum neutre, ou bien vont-ils laisser les occidentaux s’installer à 100 km de Stalingrad et 500 km de Moscou ?
Friedman pense que le statut de l’Ukraine présente une menace pour la Russie, et que cela soulève une question pour les Américains : Où s’arrêteront-ils ?
La seconde question concerne les Allemands : Que vont-ils faire ? Cela semble être la principale interrogation du conférencier, qui n’hésite pas à dire que « la véritable inconnue dans l’équation européenne, ce sont les Allemands » La position de l’Allemagne est assez « ambiguë » car Gerhard Schröder, ancien chancelier, est membre du Conseil d’Administration de Gazprom et ils ont des relations étroites et ancestrales avec la Russie.
La question est complexe et, pour la résumer, Friedman se demande quel sera le tropisme Allemand le plus fort ? Préfèrerons-t-ils les Occidentaux ou bien les Russes ? S’ils perdent la zone de libre-échange Euro Atlantique, ils devront construire quelque chose d’autre.
C’est cela que redoutent le plus les Américains, et depuis des siècles, nous dit-il. L’alliance entre la technologie et le capital Allemand avec les ressources et la main d’œuvre Russe semble être la seule combinaison qui les effraie réellement.
Il conclue ensuite son discours en insistant sur cette inconnue que représente la position allemande en disant que celui qui connaît la réponse « connaît l’histoire des vingt prochaines années »
Certes, la parole de Georges Friedman n’engage que lui-même. Cependant, son entreprise, Stratfor, bien que de droit privé est souvent considérée comme une « CIA occulte » et ne vit que sur les crédits d’État. Elle peut parfaitement être amenée, sur commande, à jouer un rôle d’information ou de désinformation. Compte-tenu du contexte de cette réunion de Chicago, je pencherais plutôt pour la première hypothèse. Mais le plus intéressant est quand même cette continuité dans la vision qu’a de l’Union Européenne la classe dirigeante américaine. Il est clair que, pour eux, cette union n’existe pas que tout ce qui a été fait depuis plusieurs décennies n’avait comme unique objectif que de réaliser la zone de libre-échange euro-atlantique. Friedman occulte d’ailleurs complètement le côté « vassalisé » de cette Europe, comme si c’était une évidente conséquence de la 2ème guerre mondiale.
Encore une fois, de Gaulle a eu raison de tenter de bâtir une « Europe des Nations » avec l’Allemagne comme moteur économique et la France comme garante de son indépendance. Les Allemands n’ont pas voulu, préférant la soumission à l’Amérique, on verra bien ce qu’ils vont faire maintenant….
J.G.
1 Voir le lien : http://www.gilbertcollard.fr/blog-2/le-bal-masque-de-lukraine/
2 Le « Chicago Council » est une section du CFR (Council for Foreign Relations ) qui est une sorte de « Think Tank » qui réfléchit sue la politique étrangère des USA. Fondé en 1921, il est issu de l’ « American Round Table » elle-même fondée en 1861. Le CFR est notamment à l’origine de la SDN à laquelle les États-Unis n’ont jamais adhéré. Son implication est permanente et il regroupe environ 5000 personnes.
Le lien suivant : http://fr.wikipedia.org/wiki/Council_on_Foreign_Relations/ décrit d’une manière assez précise les actions et les orientations du CFR
3 Lien : https://www.youtube.com/watch?v=u1a0FD6iiek/
Jean Goychman 27/04/15
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