L’Europe ne serait-elle qu’un château de cartes prêt à s’écrouler ?
Il ne se passe pas une journée sans que les médias ne relatent les dissensions internes qui traversent l’Union Européennes de part en part. Quand on connaît le tropisme de l’ensemble de la presse « bien-pensante » et des chaînes de télé « grand public » pour soutenir sans réserves le bien-fondé des institutions européennes, tout en passant soigneusement sous silence tout ce qui pourrait faire croire au lecteur ou au téléspectateur que quelque chose « ne tourne plus rond », il y a de quoi se poser des questions.
Après avoir connu une « phase ascendante « jusqu’au début des années 2000, la construction européenne a marqué une sorte de palier, après le traité de Nice. Ce traité, signé « à l’arraché » ne répondait de fait en rien aux exigences du moment. Le problème qui se posait était de pouvoir éviter une situation de blocage au sein de l’Europe si on ne modifiait pas les règles de représentativité des pays avant l’entrée massive de certains pays du PECOS (1) afin de pouvoir adopter un certain nombre de décisions. Rappelons qu’au départ, toutes les décisions européennes devaient être prises à l’unanimité des pays-membres, représentés par leurs ministres respectifs.
À partir de 1964, on s’orienta vers un autre système, qui était celui de la « règle majoritaire », à la place de l’unanimité précédemment requise. De Gaulle poussa un « coup de gueule » et suspendit la présence des ministres français. Ce fut « la politique de la chaise vide », qui eut pour effet le blocage des institutions européennes.
Il faut se souvenir qu’à l’époque, de Gaulle était le seul à soutenir la vision d’une « Europe des patries » alors que les autres étaient acquis à la thèse « fédéraliste de l’Europe », Il s’agissait essentiellement de la RFA, agitée en sous-main par Jean Monnet et Robert Schuman, dont les liens avec le Département d’État Américain ont pu être mis en évidence ensuite, mais que de Gaulle connaissait.
En 1966, le « compromis du Luxembourg » mit fin à cette crise institutionnelle en reconnaissant « l’exception d’intérêt vital » qui exigeait l’unanimité lorsque les intérêts considérés comme vitaux d’un pays étaient en jeu. Ce fut le cas de l’agriculture pour la France. Cette clause d’exception a d’ailleurs été invoquée, par le Front de Gauche en 2011 afin que la France soit exemptée de la ratification du Traité de Lisbonne, sans toutefois quitter l’Union Européenne.
Or, on ne pouvait passer impunément avec les mêmes règles déjà « bancales » d’une Europe de 6 pays à une Europe à 27. D’autant plus que le statut même de l’Union Européenne n’est pas vraiment défini. Il ne s’agit ni d’un État, ni d’une organisation internationale. Ce qui était déjà perceptible il y a près de 50 ans est devenu de plus en plus évident au fil du temps. La méthode des « petits pas avec encliquetage » interdisant tout retour en arrière avait de moins en moins d’adeptes. Or, toute la construction européenne continue d’être basée sur ce processus dont l’avantage immédiat est de maintenir les peuples dans l’ignorance de ce qui se trame.
Censé remettre à plat toutes ces questions, le traité de Nice, vite oublié, n’a réussi qu’à justifier le projet de traité constitutionnel, avec le succès que nous connaissons. De fait, dans les pays dans lesquels les référendums n’existent pas, il a été vite ratifié. Par contre, les peuples auxquels la question a été posée ont clairement répondu non, à commencer par les français le 29 mai 2005. Ne pouvant pas changer le peuple, on s’est contenté de bricoler la constitution, ouvrant ainsi une voie qui aurait dû rester close à tout jamais. De fil en aiguille, de petit pas en petit pas, tout ce qui constitue l’essence de notre démocratie, à savoir la souveraineté populaire, se trouve progressivement écartée au profit d’un vote du Congrès, fût-il à la majorité des 3/5 èmes. C’est ainsi que nous, peuple français, nous sommes vu imposer le traité de Lisbonne, copie conforme du projet de traité constitutionnel. Si cela n’est pas une forfaiture, il y a quand-même, comme aurait dit Michel Audiard, un vague cousinage.
Tout ceci laisse des traces de plus en plus profondes et nos technocrates bruxellois le sentent bien. Ils semblent pris aujourd’hui d’une sorte de frénésie afin d’accélérer encore le transfert des quelques domaines où les souverainetés nationales peuvent encore s’exercer vers ces institutions dont les règles déjà approximatives commencent à être remises en question. Je prends deux exemples récents :
Le premier est une directive européenne du mois d’aout 2015 qui permet aux banques, en cas de faillite, de spolier les comptes de dépôt de leurs clients. Les 6 pays de la zone euro qui ne l’avaient pas encore transposé dans leur réglementation nationale se sont vus menacés de sanctions par la commission à la fin de l’année 2015.
Le second est plus récent et date du 12 janvier 2016. Il s’agit de modifier « en douce » l’article 48 du traité de Lisbonne de façon à pouvoir faire évoluer ce traité sans avoir besoin du consentement des peuples.
L’idée de Monsieur Andrew Duff (2) est de soumettre un protocole qui n’a rien d’anodin puisqu’il s’agit de conférer à la Commission Européenne des droits jusqu’à présent exclusivement détenus par le ministère des finances. Il s’agit du prélèvement de l’impôt et de l’émission des bons du trésor (3).
On sent bien qu’ils sont prêts à tout pour empêcher l’écroulement et que la moindre velléité d’indépendance – sans même parler d’autonomie - provoque chez eux des réactions épidermiques et disproportionnées.
C’est ainsi qu’ils n’ont reculé devant rien pour interdire aux grecs de quitter l’euro, jusqu’à organiser eux-mêmes une crise des liquidités en asséchant les banques grecques ou en mettant hors-jeu Yanis Varoufakis, le ministre des Finances d’un gouvernement régulièrement élu.
Aujourd’hui, c’est le départ de la Grande Bretagne hors de l’Union Européenne qui devrait les paniquer. Mais en réalité, que l’Angleterre reste ou parte, nos technocrates s’en fichent royalement. Elle n’a jamais été et ne sera jamais véritablement européenne. C’est dans leurs gènes. Ils ne respectent que les règlements dont ils sont à l’origine. De Gaulle le savait parfaitement et s’était toujours opposé à leur entrée dans l’Europe. Ce qui les inquiète plus que tout, c’est la valeur d’exemple que cela aurait sur les autres. Jusqu’à présent, le seul argument opposé à ceux qui voudraient tenter une sortie de l’UE est celui de la peur. Malheur à vous si vous nous quittez. Nous ne commercerons plus avec vous, nous n’achèterons plus vos produits, nous n’irons plus chez vous pour passer nos vacances et autres boniments.
En d’autres temps, la sortie de l’Angleterre aurait pu passer inaperçue. Seulement voilà. Il y a cette foutue crise des réfugiés. Et elle n’était pas prévue, du moins pas aussi tôt. Sous la pression des peuples, les frontières sont réapparues. Devant l’impuissance caractérisée de l’Union Européenne à trouver une solution efficace et satisfaisante, sans même parler de la lamentable histoire des 3 milliards d’euros versés à la Turquie pour qu’elle fasse ce qu’ils ne sont pas capables de faire, certains pays, notamment d’Europe centrale ou de l’Est, prennent leurs distances vis-à-vis de Bruxelles. Au clivage déjà existant entre le Nord et le Sud, une nouvelle ligne de fracture entre l’Est et l’Ouest est en train d’apparaître.
Si vous ajoutez à cela la politique monétaire de plus en plus controversée de la BCE et le rejet grandissant de la perspective du traité Euro-Atlantique, l’incompréhension du maintien des sanctions économiques envers la Russie, dont les victimes principales sont les européens eux-mêmes, vous avez tous les ingrédients de l’instabilité. Car cet équilibre apparent est fragile et instable, comme l’est celui d’un château de carte dont le moindre courant d’air peut provoquer l’écroulement complet et irréversible.
J.G.
(1) Les PECOS sont les 21 Pays d’Europe Centrale et Orientale.
Ils comprennent les 11 pays suivants : Bulgarie, Croatie, Estonie, Lettonie, Lituanie, Hongrie, Pologne, République tchèque, Roumanie, Slovénie, Slovaquie ;
6 autres pays, issus de l'ancienne Yougoslavie à l'exception de l'Albanie : Albanie, Bosnie-Herzégovine, Macédoine, Monténégro, Serbie, Kosovo ;
4 anciennes républiques anciennement soviétiques sont membres ou participants de la CEI et tous les auteurs ne les considèrent pas comme des PECO : certains en excluent la Russie, d'autres toute la CEI : Biélorussie, Moldavie, Ukraine, Russie.
(2) Andrew Duff, d’origine anglaise, est un ancien président de l’Union des Fédéralistes Européens. Il est député au Parlement Européen depuis 1999.
(3) Voir l’article très documenté de Vincent Brousseau sur ce sujet : http://www.agoravox.fr/actualites/economie/article/les-dangers-du-tres-discret-projet-177145.
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