Au début des années 1990, à l’occasion d’une opération militaro-humanitaire en République du Tchad, il m’a été donné l’occasion de découvrir la culture et l’exploitation de la spiruline. Après plusieurs mois passés avec la population urbaine de N’Djamena, capitale du pays, et celle d’Abéché, ville de transhumance de culture arabo-musulmanes vivant principalement du commerce et de l’élevage, je découvrais après une remontée en pirogue sur le fleuve Chari l’immensité du Lac Tchad et la vie très différente des populations vivant autour du Lac.
Au-delà des familles vivant au sud du Lac partagées entre pêcheurs et agriculteurs, je découvrais plus au nord, dont particulièrement dans la région du Kanem, différentes exploitations d’une algue bleue nommée « Dihé » par les Tchadiens. Ce dihé n’était autre que la spiruline, de son nom scientifique « Arthrospira platensis et ainsi nommée en raison de sa forme spiralée, une micro-algue d'eau douce faisant partie de la famille des cyanobactéries ou algues « bleu-vert ». Cette cyanobactérie existe sur Terre depuis plus de trois milliards d’années et est vraisemblablement le micro-organisme le plus ancien de la planète !
Bien que la spiruline existe depuis les temps les plus anciens, ce n'est que dans les années 60 qu'un botaniste belge, Jean Léonard, l'a redécouverte. Il ne comprenait pas pourquoi plusieurs tribus du lac Tchad étaient mieux portantes que d'autres et a découvert que les membres de ces communautés mangeaient le « dihé », poussant spontanément dans les eaux chaudes du lac1.
La spiruline est effectivement un concentré de nutriments. Elle est ainsi extrêmement riche en bêta-carotène, en fer, en vitamine B12, en vitamine E (puissant antioxydant), en protéines, en minéraux et oligo-éléments (calcium, phosphore, magnésium, zinc, cuivre). Elle contient aussi de la chlorophylle et de la phycocyanine, un pigment aux vertus antioxydantes.
Aujourd’hui, différentes études permettent d’affirmer que la spiruline est d’une composition nutritionnelle idéale.
En effet, selon son origine, la spiruline renferme entre 55 % et 70 % de protéines d’excellente qualité (grâce à leur proportion d’acides aminés). Cette micro-algue contient effectivement les huit acides aminés qui doivent impérativement être fournis à notre organisme. Normalement, on ne les trouve tous ensemble que dans les produits d’origine animale, peu dans les végétaux : les micro-algues sont des exceptions à la règle.
Plusieurs études montrent que la spiruline ou ses extraits empêchent ou inhibent des cancers chez l’humain ou l’animal. En effet, la spiruline interagit avec le système immunitaire qu’elle contribue à stimuler. Les recherches montrent que la spiruline a aussi une action antivirale.
La spiruline contient également une quantité intéressante d’acides gras insaturés de la famille des oméga-6 (acides gamma-linoléniques).
Aux environs immédiats du Lac Tchad, plusieurs oasis, appelés ouaddis, ont la particularité d'avoir en leur centre une nappe d'eau fortement concentrée en natron, mélange naturel de sel de sodium, dans laquelle se développe la spiruline et sont donc dédiés à cette culture.
Lors de ma rencontre, le procédé généralement utilisé par les femmes pour cueillir la spiruline consistait à prendre dans des récipients en fer l'eau de la mare et de la verser dans une cuve sphérique pratiquée dans des dunes. Celle-ci filtrait l'eau et laissait des dépôts d'algues qui formaient par la suite une sorte de galette d’environ 2 cm. Toutefois ce mode d’exploitation et de séchage à même le sable laissait beaucoup d’impuretés dans les galettes. Le dihé était alors plus souvent consommé sous forme de sauce et de baumes par les populations du Kanem et du Lac. Car en ce début des années 90 les anciens, qui ne connaissaient pas sa valeur nutritive, l’utilisaient principalement comme médicament ou pour soigner des problèmes de peau. Ceux l’utilisant en complément alimentaire le mélangeaient à du lait caillé.
Aujourd’hui, grâce au projet scientifique de lutte contre la malnutrition et la mise en œuvre d’une démarche qualité, les procédés ont radicalement changé et les femmes tchadiennes filtrent, tamisent, concentrent et sèchent la spiruline, pour en faire des spaghettis, cakes ou gélules.
Au Tchad, comme j’ai pu l’évoquer, les techniques de récolte et de séchage de la spiruline sont restées jusqu’à nos jours des activités dévouées uniquement aux femmes kanembous et aux femmes de la caste des Haddads (forgerons et artisans).
Lors de ma visite, une dizaine de femmes était en train de récolter la spiruline mais j’apprenais qu’il y avait près de trois cents femmes qui pratiquaient cette cueillette dans les deux régions avec une production journalière de cette algue variant de 8 à 20 kg par femme. Aujourd’hui ce sont près de 1 500 Tchadiennes qui travaillent quotidiennement à la culture et l’exploitation de la spiruline.
Néanmoins, si la qualité de la production n’a pas été affectée, la quantité de spiruline produite a considérablement diminué depuis des sécheresses successives entraînant l'assèchement de certains lacs permanents qui produisaient cette algue recherchée. Le Lac Tchad est loin d’être épargné malgré sa superficie de 1 350 km² puisqu’il a perdu près d’un quart de sa surface en un demi-siècle en raison à la fois d’une surexploitation de son eau et du réchauffement planétaire. En conséquence, certaines zones où l’on trouvait eau et spiruline se sont depuis taries.
Toutefois, un marché est en train de naître. Quelque 400 tonnes sont déjà commercialisées chaque année et l’exportation a débuté. Le prix du kilo est passé de 1. 000 à 5. 000 FCFA (de 1,5 à 7,62 euros). Une manne importante dans une région où les hommes, souvent des pêcheurs, voient leurs revenus chuter avec le rétrécissement du lac Tchad et son appauvrissement en poissons.
Gageons qu’au-delà de l’exploitation commerciale de la spiruline, le Tchad saura profiter de cette algue nutritive pour alimenter d’autres régions désertiques du pays où les habitants sont malheureusement encore victimes de malnutrition, voire de famine.
F.M.
1 On peut aussi trouver la spiruline à l’état naturel dans certains lacs d’Inde et du Mexique.
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