SEPTEMBRE 2017

1918-1930 :
Une autre histoire franco-allemande

par Alexandre WATTIN


Le 11 novembre 1918 à 6 heures du matin, les généraux allemands signent l'Armistice avec les Alliés. Dans un wagon-restaurant, près de la gare de Rethondes dans l'Oise aménagé en salle de réunion, l'amiral Wemyss, le maréchal Foch et le général Maxime Weygand mettront fin à quatre ans de guerre. 

L’armistice rend vaine l’offensive de Lorraine devenue désormais inutile. Il est certain que les moyens aériens mis en place, en cas de déclenchement de l’offensive de Lorraine, auraient été primordiaux pour la réussite de cette campagne. Infime honneur en faveur de l’aéronautique française, c’est à un Breguet XIV piloté par le lieutenant Minier, que reviendra l’honneur d’acheminer, après moult péripéties, le texte signé de l’accord de l’Armistice vers le haut commandement allemand.


BILAN D’UNE EFFROYABLE BOUCHERIE

Avec plus de 8 millions de morts, 6 millions d'invalides, 4 millions de veuves et 8 millions d'orphelins, l'Allemagne, la France et la Russie à elles seules concentrent 60 % des pertes humaines. Au niveau économique les conséquences sont également effroyables. L’Europe est presque ruinée : en France tout le Nord et l’Est sont à reconstruire, les dépenses de guerre causent à la France et à la Grande Bretagne dix milliards de dollars de dettes auprès des États-Unis. La France, qui a été partiellement occupée, subi les destructions les plus importantes avec des centaines de milliers d’immeubles et usines détruits et 3 millions d'hectares de terres agricoles rendues inutilisables à la suite des bombardements. Le coût financier de la guerre est énorme: les monnaies ont été dépréciées à cause de l'inflation1. 

Politiquement et idéologiquement, c’est la victoire de la démocratie naissante en Allemagne, Hongrie ou en Turquie et du bolchévisme en Russie. Sur le plan géographique, l’Europe est découpée : l’Alsace-Lorraine revient à la France, l’empire Austro-hongrois est disloqué en plusieurs États indépendants (Autriche, Hongrie, Tchécoslovaquie, Yougoslavie.). L’Allemagne est amputée à l’Est d’une grande partie de son territoire et coupée en deux par la Pologne à qui les Alliés donnent un accès à la mer. 

L’Allemagne est rendue responsable du conflit et doit payer seules les réparations ! Son armée est réduite à sa plus simple expression (avec seulement 100 000 hommes) et livre aux alliés canons et mitrailleuses. La Rhénanie (région frontalière à la France) sera démilitarisée et occupée pour réduire une potentielle menace. 

Le Traité de Versailles dispose que les territoires occupés soient placés sous l'autorité d'une haute autorité civile, qui siège à Coblence au sein de la « Haute Commission interallié des Territoires Rhénans2 ». 

De telles dispositions laissent les Allemands profondément insatisfaits et pleins de rancœurs. Les Alliés usent de leur victoire et de leur ressentiment. Les puissances victorieuses laissent aux Allemands la graine de l’amertume et la colère d'une trahison. 

En effet, les soldats revenus de front ne se sentent pas vaincus. L’armée impériale allemande avait toujours réussi à empêcher en temps de guerre l’occupation de son sol. Humiliée, l’armée allemande se sentira trahie et reprochera longtemps, aux gouvernements « sociaux-démocrates », ce « défaitisme honteux » qu'un certain caporal autrichien saura bientôt exploiter à son avantage. La date du 1er décembre 1918 marque la démilitarisation ainsi que l’occupation de la région rhénane par les forces alliées, qui se parachève en février 1919.


L’ENTRÉE DES ARMÉES FRANÇAISES EN ALLEMAGNE

L’EXEMPLE DE MAYENCE

Les conditions d'armistice stipulent que l'armée allemande démilitarise la rive gauche du Rhin et installe des têtes de pont à Cologne, Coblence et Mayence et respecte une zone neutre en rive droite. Des têtes de pont de 30 km de rayon sur la rive droite du Rhin sont installées et au-delà de ces têtes de pont, une zone neutre et non militarisée s’étendra sur 10 km de la frontière hollandaise au nord et à la frontière suisse au sud. 

Les clauses du traité de Versailles prévoient le démantèlement définitif des fortifications, ce qui sera mené à bien à Mayence, même s'il en subsiste quelques vestiges aujourd’hui dans le centre-ville, comme la Citadelle.

Démobilisés depuis le 11 novembre, de nombreux Alsaciens-Lorrains rentrent chez eux, libérés du service militaire allemand. Les troupes allemandes, quant à elles, ont 31 jours après la signature de l’Armistice pour évacuer la zone occupée tandis que les habitants de ces pays sont interdits d’évacuation. Au matin du 8 décembre 1918, le dernier soldat allemand évacue la ville de Mainz et à midi, de ce même jour, la 65ème division d'infanterie sous le commandement du général Victor Goybet investit la ville ; suivi de près des autres unités de la Xème armée du Général Mangin sous l’égide du groupe d’armées Fayolle dont le quartier général est installé quant à lui à Kaiserslautern.

Parmi les troupes d’occupation, plusieurs éléments aéronautiques rejoignent les troupes terrestres et s’installent sur les terrains d’aviation militaires abandonnés auparavant par les pilotes allemands. Six groupes d’observation et un groupe de reconnaissance, soit dix escadrilles et deux en création, s’installent au début à Gonsenheim dans la banlieue de Mayence. 

À Mayence, les troupes du Général Mangin stationneront plus de 12 000 hommes, dont plus de 5 400 dans les casernes limitrophes. Cette arrivée massive de troupes provoque une crise du logement, car les troupes d'occupation françaises investissent les plus grands bâtiments. Il n'y a pour finir plus aucune maison à Mayence et dans les proches environs qui n'héberge pas un ou plusieurs soldats Français. 

Sur ordre du Maréchal Foch on garde en place les lois et règlements allemands. En revanche, toute nouvelle loi devait être soumise aux autorités militaires des forces d'occupation.


Le 33ème Régiment d’Aviation Mixte 
Il n’est pas dénué d’intérêt de s’intéresser aux premiers sentiments qu’éprouvent à l’époque la population Mayençaise sur la présence de la « soldatesque » française. Bien qu’occupant, les Français, pour se concilier la population et désireux d’éduquer la population aux « vertus françaises », apportent dans un premier temps leur langue et leur culture. Des cours de français sont institués afin de supprimer la barrière de la langue. 

Le retour à une certaine normalité est rapidement confronté aux crises économiques et politiques successives de part et d’autre du Rhin. En effet, les nombreux conflits d’intérêts, conjugués aux divergences entre Alliées sur la politique à adopter envers l’Allemagne, n’arrangent rien et ne favorisent guère l’amélioration des relations internationales et bilatérales. 

Dès la défaite régnait, au sein de la population allemande, le sentiment d’avoir été injustement traité par les Alliés. Bien que le président des États unis ait promis des élections libres et le droit à l’autodétermination des millions d’Allemands sont coupés du Reich et le tracé arbitraire des frontières laisse place à l’amertume et à une rancune tenace à leur égard. Il faut avoir dans l’esprit qu’au sein des écoles allemandes tous les enfants connaissent les territoires amputés ainsi que les milliards de réparations exigés par les alliés.


SITUATION POLITIQUE FRANCO-ALLEMANDE TRÈS TENDUE

En avril 1919, la tension monte entre les alliés et la République de Weimar à la suite de l’incursion de la Reichswehr venues combattre, les mouvements insurrectionnels de gauche, en zone occupée. Par cette violation du traité de Versailles, les troupes françaises et belges réagissent immédiatement en occupant les villes de Darmstadt et de Francfort, distantes d’une cinquantaine de kilomètres de Mayence. 

Confrontée à de très graves problèmes politiques internes, de pénuries alimentaires et le chômage ; l’entrée en vigueur du traité de Versailles en 1920, amputant l’Allemagne de ses colonies en Afrique et de nombreux territoires de l’Est ne favorisent guère les relations entre les deux pays. S’y conjuguent les confiscations diverses et variées, comme les avoirs allemands à l’étranger ou la mainmise sur la marine marchande allemande.

L'exécution du traité de Versailles commence également à soulever de sérieuses difficultés. L'Allemagne s'applique à en tourner systématiquement les prescriptions et, dès le début de l’année, l'exécution des clauses relatives aux réparations en nature donne lieu à des difficultés. Les livraisons atteignent à peine 30 p. 100 des tonnages que la Commission des réparations avait mise l'Allemagne en demeure de livrer aux Alliés. 

N’arrivant pas à chiffrer le montant des indemnisations, les Alliés exigent de l’Allemagne de livrer mensuellement des millions de tonnes de charbon ainsi que de désarmer. 

Jusqu’alors La France n’a perçu que deux annuités, lorsque que l’Allemagne décide d’arrêter les paiements. Les dommages subis par les Houillères du Nord et du Pas-de-Calais durant la guerre privent pour de longs mois de l'essentiel de ses ressources nationales. Il est donc d'une nécessité vitale pour la France que les livraisons allemandes prévues, au titre des réparations et qui doivent atteindre plus d'un million et demi de tonnes par mois, fussent rigoureusement effectuées. 

Malheureusement il était loin de régner, au sein des Alliés, une unité de vue satisfaisante à ce sujet. Devant le manque de volonté manifeste des autorités allemandes la France met en garde le gouvernement du Reich contre le non-paiement de ses obligations en matière de réparations.


L’OCCUPATION FRANÇAISE DE LA RUHR

La Ruhr, cœur économique et industriel de l’Allemagne, est une zone vitale pour l’Allemagne et en proie de 1919 à 1920 à une très forte agitation révolutionnaire qui frôle la guerre civile. En outre, les désaccords entre les Alliés sont tels qu’ils confortent la volonté de résistance des Allemands et de leurs gouvernements successifs à ne pas remplir leurs obligations. Par son souci de poursuivre son intérêt purement immédiat, l'Allemagne continue sa lutte pour la non-application des clauses financières du traité de paix. 

Dès l’après-guerre, le gouvernement français, soucieux de voir enfin s’accomplir le règlement du paiement des dédommagements de guerre, admet la nécessité d'une mesure de pression et anticipe l'occupation plus ou moins totale de la Ruhr. Entre 1920 et 1923 plusieurs plans sont élaborés, à l'établissement desquels les vols de reconnaissance photographique effectués par le 33ème ROA ne sont pas étrangers, qui permettent une appréciation la plus juste possible.

C’est l'échec de la conférence de Paris, du 2 au 4 janvier 1923, qui met fin à cette longue période d'hésitation et amène les responsables politiques français à passer aux actes. Appuyant leur intervention sur une nouvelle et solennelle constatation du manquement de l'Allemagne aux dispositions du traité de paix consacrées par la Commission des réparations, et n’obtenant pas d’écho de la part des autorités allemandes, 47 000 hommes dans cinq divisions, trois françaises et deux belges, sous les ordres du général Degoutte, traversent le 11 janvier 1923 la zone démilitarisée et occupent la Ruhr. Fantassins, cyclistes, chasseurs alpins, cavaliers, automitrailleuses et blindés arrivent en masse et s’installent dans les villes d’Essen, Düsseldorf, Bochum et Dortmund. Les troupes opèrent le désarmement de la police d’Empire, patrouillent et renforcent les contrôles.

L’opposition allemande s’organise et exige le retrait des baïonnettes. Mais les autorités françaises, décidées à faire plier l’Allemagne, passent et débute alors la période dite de résistance passive. 


LA RÉSISTANCE PASSIVE ET SES CONSÉQUENCES

Sur toute la zone occupée la situation se complique, y compris pour les Allemands employés par les autorités françaises, suite au début d’une grève générale. L’éviction de Rhénanie de plus de 147 000 Allemands, dont 46 200 fonctionnaires et de leur famille de janvier à novembre 1923, fournit assez d’arguments pour « prouver » la bonne volonté des Français. 

Le souvenir du blocus fut mis en avant du côté Allemand et se traduit par l’évacuation de milliers d’enfants vers l’Allemagne non-occupée pour les faire échapper à la « famine ». La Ruhr représente, sans aucun doute, le climat de cette poursuite de la guerre du côté français comme du côté allemand. L’occupation de la Ruhr est démonstrative du climat d’esprit vengeur de la part des troupes française à l’égard de la population allemande et marquée par des exactions3 en écho à l’occupation allemande de 14-18. Symétriquement, les Français multiplièrent les tracts rappelant la dureté du régime d’occupation allemand pendant la Grande Guerre.

Elle s’accompagne de violences d’État de la part des Français (réquisitions, expulsions, condamnations, répression de grèves…) et organisées (attentats, grèves) de la part des Allemands. Aux assassinats répondent des représailles de soldats français, lesquelles ouvrent à diverses reprises le feu au cours de manifestations orchestrés par les syndicats, blessant et tuant de nombreux participants. Les attentats perpétrés contre les militaires français appellent de la part des forces franco-belges à la proclamation de l’état de siège. 

L’engrenage inéluctable de la répression et des actes de sabotages est en marche. Aussi les arrestations massives de la part des troupes franco-belges encouragent à la révolte de plus en plus d’ouvriers Allemands …soutenus en cela par les ouvriers Français4. Durant ce temps le gouvernement allemand laisse le champ libre à la propagande des mouvements nationalistes et d’extrême droite. 

Toutes ces actions paralysent totalement l’activité économique et sociale de la région. La période entre février-mars et juin-juillet 1923 correspond à la période de résistance la plus violente entre occupants et occupés. La répression sera plus forte et se caractérise par des violences plus spontanées et individuelles telles que les heurts et les viols qui connaissent une recrudescence pendant la période d’opposition. 

La violence dépasse le cadre du conflit interétatique pour se répandre dans le corps social. Le nombre de victimes par arme de guerre oscille entre 154 civils tués et 112 grièvement blessés selon les sources allemandes, contre 118 et 74 selon les sources françaises. 

Certains évènements prennent valeurs de symbole et sont ensuite mythifiés. Il en est tout particulièrement de l’exécution, le 26 mai 1923, de l’activiste nazi Albert Leo Schlageter5, ou encore du « Samedi Saint sanglant d’Essen » qui s’est soldé par la mort sous les balles françaises de 13 ouvriers grévistes. Ces épisodes tragiques et leur instrumentalisation permettent de transformer les victimes en martyrs. Il en va de même du côté français6. 


LA FIN DE LA CRISE

Pendant ce temps de nouvelles turbulences politiques secouent les relations internationales. La crainte de Londres de voir émerger un État rhénan autonome, et favorable à la France, l’incite à faire pression sur elle avec l’aide des américains et le nouveau président du Conseil, Édouard Herriot, accepte en mai 1924 les conditions contenues dans le plan Dawes qui, tout en réaffirmant le principe des réparations, réaménage les paiements allemands en échange d’une évacuation de la Ruhr. 

Du côté allemand, face aux innombrables difficultés financières auxquelles sont confrontés les ouvriers allemands, la résistance passive s’effrite. Après avoir financé au début la grève générale, et face à une situation économique catastrophique, le chancelier Cuno7 démissionne et Gustav Stresemann8 lui succède. 

Celui-ci décide l’arrêt de la résistance passive, alors même que la politique de fermeté de la France semble porter ses fruits. 

Au niveau de la politique intérieure la ferme opposition de la gauche, à l’occupation de la Ruhr, a semé le trouble dans l’opinion publique française. Pour ce qui est de la politique extérieure, la France se trouve de plus en plus isolée face à ses alliés britanniques et américains et le gouvernement Poincaré fait face à plusieurs problèmes contribuant à affaiblir la position française au niveau européen.

La principale conséquence de cette crise pour l’Allemagne est d’aggraver sa situation économique désastreuse, tout en redonnant une forte vigueur au nationalisme allemand.


LA FIN DES ESPÉRANCES

Ferdinand Buisson, fondateur et président de la ligue des droits de l'homme, et partisan de la première heure de la Société des Nations, s’était consacré au rapprochement franco-allemand après 1923, en invitant des pacifistes allemands à Paris et en se rendant à Berlin. Il recevra le prix Nobel de la paix avec le professeur allemand Ludwig Quidde9.

Néanmoins, l’opposition entre les tenants du pacifisme et revanchards nationalistes de part et d’autre du Rhin portent des coups contre les gouvernements démocratiques et freinent toute relation normale et durable. Les nationaux socialistes d’Adolf Hitler prennent de plus en plus d’influence au sein de la société allemande et organisent leur premier congrès à Nuremberg.


Signature du Pacte Briand-Kellog
Quelque semaines plus tard, dans un discours prononcé sur les lieux même de la bataille de Tannenberg, le Président Hindenburg rejette la responsabilité de l'Allemagne dans le déclenchement de la Grande Guerre et au mois de mars 1929 débute par l’évacuation française de la Sarre.

Quelques mois plus tard le pacte Briand-Kellog10 est signé à Paris, pour entrer en vigueur le 24 juillet 1929, où les 15 pays signataires renoncent à la guerre « en tant qu'instrument de politique nationale dans leurs relations mutuelles ». L'Allemagne s'appuie, entre autre, sur cet élément nouveau pour obtenir du gouvernement français l'évacuation de la Rhénanie.


LE KRACH DE 1929 ET SES CONSÉQUENCES 

La crise boursière qui ébranle les économies des grandes nations économiques, entre le jeudi 24 octobre et le mardi 29 octobre 1929, marque le début de la Grande Dépression, la plus grande crise et catastrophe économique du 20ème siècle. 

Pour l’Allemagne, comme pour d’autres pays européens touchés par la crise, elle a des répercussions particulièrement graves au niveau économique et social. Elle entraîne pour l’Allemagne, le retrait des capitaux étrangers, américains notamment. Ce retrait de capitaux provoque la faillite de nombreuses banques allemandes et affaibli le mark. Les exportations s’effondrent ainsi que la production industrielle d’une façon générale. L’Allemagne doit faire face à une très forte montée du chômage. Il y aura plus de 600 000 chômeurs en 192811.


LA FIN DE L’OCCUPATION FRANÇAISE ET LE DÉPART D’ALLEMAGNE

Les changements notoires obtenus dans les relations politiques et économiques, entre l’Allemagne et la France d’une part et les alliés d’autre part, aboutissent à une révision du plan Dawes12. 

C’est sur une initiative d’un groupe de financiers américains, présidé par Owen D. Young, que l’on renégocie le traité de Versailles et accompli un nouvel étalement du paiement des réparations allemandes. Il établit un nouveau calendrier des réparations dont le point cardinal est la décision du plan Young13 d’abolir la surveillance économique de l'Allemagne qui a pour corolaire la mise en cause de la présence militaire française en Allemagne. 

Après que le gouvernement allemand consent au plan Young, les gouvernements français, britanniques et belges croient pouvoir sacrifier leur prétention quant à l'occupation de la Rhénanie. Le traité de Versailles a fixé à quinze années la durée de l’occupation de la rive gauche du Rhin. 

Par d’habiles négociations lors de la conférence de La Haye en août 1929, et peu avant sa mort, le ministre des affaires étrangères allemand, Gustav Stresemann, obtient des assurances notoires. Aussi, les alliés conviennent de retirer prématurément leurs troupes de la Rhénanie ; avec cinq ans d’anticipation sur les conventions du traité de Versailles. 

La fin de l’occupation étant actée, les Français commencent leur départ anticipé, dès l’automne l’ensemble des personnels commencent à préparer leurs cantines puis à évacuer le Rhin. Le retour des troupes impose néanmoins un étalement du rapatriement sur plusieurs mois.


Départ des troupes françaises de Mayence
Malgré des relations « plus apaisées » entre hommes politiques de part et d’autre du Rhin cela n’enlèvent pas la méfiance à l’égard du voisin allemands, aussi le 4 janvier 1930 la Chambre approuve la construction de la ligne Maginot.

Le 8ème régiment d’infanterie, qui est la dernière unité stationnée à Mayence, rentre le drapeau tricolore pour la dernière fois le 30 juin 1930 à 11h30.

Escorté par la troupe il est porté, depuis le siège du commandement de l’Armée du Rhin, jusqu’à la gare devant une population mayençaise qui ne manifeste encore, ni satisfaction, ni guère d’hostilité devant cet événement. 


ÉPILOGUE


Par cette étude nous avons voulus attirer l’attention du lecteur sur le fait que la guerre ne s’était pas arrêté en 1918 et que l’aviation militaire française avait tenue durant l’entre deux guerre un rôle indispensable dans un contexte politique international particulièrement difficile. 

Après le départ du dernier détachement militaire français de Mayence, les troupes de police allemandes entrent en ville. Le départ volontaire des Français n’est pas perçu en Allemagne comme un acte d’amitié bienveillant qui mène à une amélioration entre les deux pays, malgré les efforts engagés du côté Français de proposer l’organisation d’une célébration commune. Elles ne vont déjà plus dans le sens du gouvernement prussien et sont brutalement rejetés. 

La retenue de la population rhénane, et de toutes les autorités, ne dure guère et l’occasion est trop belle pour la population de l’ancienne zone occupée de célébrer dans la liesse leur libération du joug Français. Toutes les villes rhénanes sont décorées de drapeaux, de couronnes et de guirlandes. Tous les journaux commentent abondamment et sous tous les angles le départ des Français et abordent en détail la période d'occupation.

L’euphorie patriotique exacerbée fait du Rhin le but idéal d'excursion et de congé et devient un phénomène de mode. Cet enthousiasme nationaliste entraîne instantanément la fabrication d’une multitude de souvenirs commémoratifs : assiettes souvenirs, trophées sportifs, etc, accompagnés par les mots « Libération 1930 » même une bière spécifique fait son apparition. On réalise des pièces de monnaies avec la citation suivante « Le Rhin fleuve allemand » et non frontière de l'Allemagne » laquelle provoque une irritation considérable en France étant comprise comme une révision des frontières. Aussi, pour de nombreux historiens les célébrations de libération du Rhin sont interprétées comme une véritable césure entre les deux nations et comme un éloignement important entre les deux pays. C’est « la fin de l'ère de Locarno. »

L'enthousiasme de cette « libération » laisse rapidement place aux ressentiments anti-français. Dans de nombreuses villes et communes rhénanes des actes de violence massifs sont commis contre d'anciens séparatistes ainsi que contre des bâtiments et des magasins d’allemands jugés pro français. Bien que les mesures de rétorsion sont conséquentes de la part de la police et malgré les avertissements correspondants et appels au calme des services publics, la chasse aux séparatistes prétendus est ouverte14. 

La récupération politique ne se fait pas attendre. Quelques jours seulement, après le départ des troupes françaises profitant de l’enthousiasme ambiant, le Président Paul von Hindenburg avise les autorités locales de sa présence à la grande manifestation patriotique ayant lieu à Coblence. Il met cependant une condition sine qua none : qu’il soit accueilli par une garde d'honneur formée de ses fidèles du « Stahlhelm15». 

Ayant obtenu satisfaction, Paul von Hindenburg quitte le 19 juillet 1930 Berlin pour son voyage en pays Rhénan. Son premier arrêt est pour la commune de Germersheim, puis Speyer, Neustadt, Ludwigshafen, Mayence et Wiesbaden. 

Le mardi 22 juillet un bateau à vapeur l’amène à Coblence où le Président Hindenburg est triomphalement accueilli par près de 2300 élèves de toutes les écoles de Coblence, au son des cloches et des chorales entonnant des chants patriotiques. À l'hôtel de ville, il est reçu par les représentants de tous les corps et organisations constitués, soit près de 250 visiteurs représentant le gouvernement, les organisations professionnelles ainsi que les membres des diètes régionales et de l’État. 

Cette journée historique est retransmise par toutes les stations de radio allemandes. Signe des temps, le ministre des Affaires étrangères Gustav Stresemann, dont la patiente politique avait permis le retrait des soldats belges et français, n’est que brièvement cité. Le gouvernement allemand ne juge pas utile de l’honorer.


L’APOCALYPSE EST EN MARCHE

Le Krach de Wall Street de 1929 a bouleversé et plongé le monde entier dans le marasme économique. Cette crise sans précédent sera l’une des conséquences de l'impossibilité pour l'Allemagne de tenir ses engagements financiers mais elle se manifestera également au niveau politique. 

Les coalitions gouvernementales deviennent de plus en plus fragiles et n’arrivent pas à bloquer la montée de l’extrême-droite. Il y a une agitation politique et un climat de tension entretenu par les nazis.

Le chancelier Brüning sera obligé de dissoudre le Reichstag en 1930. Les élections anticipées profitent aux partis extrémistes qui attirent à eux les voix des plus mécontents. 

Tandis que les députés communistes passent de 54 à 77 sièges, le parti nazi obtient 107 sièges (contre 12 en 1928). Dès lors, Adolf Hitler devient un personnage politique de premier plan et le 30 janvier 1933, il sera nommé chancelier par le président Hindenburg. 

Par conséquent affirmer que tout débuta en 1933 est le fruit d’une profonde méconnaissance des faits historiques et des responsabilités des Alliés dont les intérêts économiques et politiques ont rapidement repris le dessus. La montée du nazisme et la prise de pouvoir ne sont pas le fruit d’une problématique purement allemande mais l’aboutissement d’une multitude d’erreurs et de jugement politiques erronés commises par les Alliés

On oublie trop facilement l’extrême misère et la détresse profonde qui règnent avant l’avènement du 3ème Reich dans les couches populaires allemandes en raison du chômage, des réparations de guerre, des émeutes révolutionnaires et enfin la crise économique de 1929. L’ascension d’Hitler s’explique par plusieurs faits, les Allemands peuple fier confrontés depuis plusieurs années à des bouleversements telles que grande puissance continentale se retrouvent marqué du sceau de l’infamie, occupé et dont le pays sera dépecé, dépossédé de ses colonies. 

Il n’est donc pas surprenant qu’après de multiples crises majeurs où les mouvements nationalistes et extrémistes l’emportent grâce au soutien des milieux bourgeois conservateurs contre les mouvements révolutionnaires bolchéviques un homme du peuple « providentiel » leur rappellera la grandeur d’antan et les appelle à relever la tête et à se venger de cette déchéance imposée.

Pour Hitler la Rhénanie est d'une importance vitale, à la fois pour des considérations économiques et pour sa politique de réarmement16. Profitant de la faiblesse et du désaccord entre Alliés, Hitler réoccupe la zone démilitarisée de la Rhénanie et rétablit la souveraineté du Reich sur la frontière occidentale de l'Allemagne.

Cette transgression ouverte des dispositions du traité de Versailles n'a pour le « Führer » aucune conséquence vraiment fâcheuse et constitue une nouvelle étape dans son programme pour refaire de l'Allemagne une grande puissance. Après les premiers atermoiements des puissances victorieuses, et d'abord le Royaume-Uni, se laissent apaiser par les assurances pacifiques d’Hitler. 

Malheureusement la suite nous est trop bien connue.


A.W.


Notes : 


1 Entre 1914 et 1919, le mark perd 90% de sa valeur et le franc 75 %.


2 Pendant la période d’armistice, le maréchal Foch, commandant en chef, avait reçu, par la convention d’armistice, le pouvoir suprême en territoires occupés, lui permettant d’exercer un pouvoir réglementaire, dans le but d’assurer la satisfaction des besoins et la sécurité des troupes d’occupation. Le commandant en chef créa, à cet effet, un Contrôle général de l’administration des territoires occupés, dont le siège fut primitivement fixé à Luxembourg, puis transféré, dans les derniers temps de la période d’armistice, à Coblence. Le Conseil suprême économique créa, pendant cette période d’armistice, un organisme interallié appelé « Commission interalliée des territoires rhénans » (C.I.T.R.), chargé de régler les questions économiques soulevées par la situation de l’Allemagne au lendemain de la guerre et par l’occupation. Paul Tirard, conseiller d'État, fut nommé contrôleur général de l’administration des territoires rhénans et président de la C.I.T.R. Il devait par la suite assurer les fonctions de Haut-commissaire français et de président de la Haute Commission interalliée et fut, pendant douze ans, le défenseur des intérêts de la France sur le Rhin. L’arrangement rhénan du 28 juin 1919, annexé au traité de paix, prévoyait la création d’un organisme interallié qui, lors de la mise en application du traité, devait se substituer au pouvoir militaire pour assurer le contrôle de l’administration allemande ainsi que la satisfaction des besoins et la sécurité des troupes d’occupation. Après ratification, le traité de paix était mis en application le 10 juin 1920, la Haute Commission entrait en fonctions à la même date et tenait sa première séance. La Haute Commission était composée d’un Haut-commissaire français, président, d’un Haut-commissaire britannique et d’un Haut-commissaire belge. L'Italie envoya un représentant siégé à la H.C.I.T.R. pendant les sanctions économiques de 1921 et de 1923, car, bien qu’elle ne participât pas à l’occupation, elle était concernée par le règlement de la question des réparations de guerre qui motivèrent des sanctions. Les organismes interalliés de l’occupation comprenaient le Secrétariat interallié de la H.C.I.T.R. et les différents comités et sous-comités qui ont fonctionné pendant la période normale et pendant la période des sanctions. La Haute Commission était représentée dans le territoire par des délégués supérieurs dans les provinces et par des délégués dans les cercles. Il y avait des délégués supérieurs à Mayence, Wiesbaden, Coblence, Trèves, Bonn et à Spire, et des délégués de cercles. Les délégués de cercles étaient subordonnés aux délégués supérieurs. Ils étaient, les uns et les autres, investis de leurs pouvoirs par la Haute Commission interalliée. La tâche considérable du représentant de la France et la place que le pays devait tenir sur le Rhin, ainsi que les nécessités de l’occupation, imposèrent la création de différents services français, sous l’autorité du Haut-commissaire de France. In : État général des fonds des Archives nationales (Paris). Mise à jour 2009 Commission interalliée des territoires rhénans (1918-1920) puis Haute Commission interalliée des territoires rhénans (1920-1930) Haut-commissariat français auprès de la HCITR.


3 De janvier 1923 à juillet 1924, il y aurait eu selon les sources allemandes, en Rhénanie et dans la Ruhr, 87 viols et 45 tentatives de viols et selon des sources françaises, 59 viols et 20 tentatives de viols, dont les 2/3 environ de février à juin 1923 selon les sources françaises.


4 En effet les partis communistes européens protestent énergiquement contre les mesures prises par le gouvernement français en rédigeant le « Manifeste d’Essen ». Les mineurs français de la CGTU se mettent en grève par solidarité avec les mineurs rhénans.


5 Albert Leo Schlageter, est un combattant allemand des Freikorps, considéré comme un martyr pendant la République de Weimar et surtout, à des fins de propagande, au début du Troisième Reich, à partir de 1933. Avec l'occupation de la Ruhr, Schlageter travaille comme chef de groupe, et dirige une troupe de choc illégale qui oppose une résistance active contre les troupes d'occupation françaises à Essen. Son groupe surveille le service d'espionnage français à Essen, et abat au moins un agent. Pour empêcher le départ du charbon vers la France, Schlageter et ses hommes mènent des attaques à l'explosif en mars 1923 à la gare d'Essen et sur un pont de la ligne ferroviaire Düsseldorf–Duisbourg.


6 Ainsi lorsque le lieutenant Colpin originaire de Lille fut tué dans la Ruhr le 10 mars 1923, on éleva un monument mentionnant qu’il était bien mort pour la France.


7 Wilhelm Cuno est chancelier du Reich sous la République de Weimar, durant l'occupation franco-belge de la Ruhr, en 1923. Il est aussi directeur général de la compagnie de transport maritime Hamburg-American Line. Sa tentative en janvier 1923 de combattre par la résistance passive l'occupation franco-belge dans la Ruhr visant à recouvrir les sommes dues au titre des réparations échoue. La vague de grèves connues sous le nom de Grèves Cuno en août 1923 est dirigée contre son gouvernement. La majorité au Reichstag exige alors un nouveau cabinet. Cuno démissionne, le 12 août 1923, après un exercice de neuf mois en tant que chancelier.


8 Gustav Stresemann (né le 10 mai 1878 à Berlin et mort le 3 octobre 1929 à Berlin) est un homme politique allemand, fondateur et dirigeant du Deutsche Volkspartei, chancelier en 1923 et ministre des Affaires étrangères de 1923 à sa mort. Figure incontournable de la République de Weimar, Gustav Stresemann a permis à l'Allemagne de retrouver un poids diplomatique et économique perdu après la Première Guerre mondiale en mettant en œuvre une politique pragmatique. Cette politique où les compromis ont eu une large part n'a pas été menée aux dépens de l'Allemagne. À chaque concession allemande a correspondu une avancée soit diplomatique, soit économique. Après avoir jugulé l'hyperinflation qui menaçait l'existence même de l'Allemagne, Stresemann s'est attaqué à d'autres problèmes comme l'occupation de la Ruhr par les armées française et belge, les réparations de guerre ou encore les frontières définies par le traité de Versailles. Le caractère pragmatique de sa politique lui a attiré beaucoup d'ennemis, et c'est abandonné par une grande partie de la classe politique que Stresemann a dû mener ses combats. Avec Aristide Briand, il a été l'artisan d'un rapprochement franco-allemand et de changements diplomatiques sur le plan européen, ce qui leur a valu à tous les deux le Prix Nobel de la paix. Ce rapprochement a toutefois été arrêté net dans sa lancée à la mort du ministre allemand à l'âge de cinquante et un ans. Avec sa mort, la République de Weimar perd l'un de ses derniers défenseurs.


9 Ludwig Quidde (né le 23 mars 1858 à Brême - mort le 4 mars 1941 à Genève), était un historien, un écrivain, un pacifiste et un homme politique libéral allemand sous l'Empire allemand et la République de Weimar. Connu pour ses critiques sévères contre l'empereur allemand Guillaume II, il reçoit le prix Nobel de la paix en 1927 conjointement avec Ferdinand Buisson pour ses activités en faveur du mouvement pacifiste. En tant que pacifiste, il s'engage de nombreuses années comme chef de la Deutsche Friedensgesellschaft (DFG) et participe à de nombreux congrès internationaux pour la paix et organise par exemple le seizième congrès mondial de la paix en 1907 à Munich. Ludwig Quidde meurt en exil en Suisse en 1941, à l'âge de 83 ans.

10 Le pacte Briand-Kellogg, ou pacte de Paris, est un traité signé par soixante-trois pays qui « condamnent le recours à la guerre pour le règlement des différends internationaux et y renoncent en tant qu'instrument de politique nationale dans leurs relations mutuelles ». L’initiative de ce pacte revient à Aristide Briand, ministre des affaires étrangères français et Frank Kellogg, secrétaire d’État américain, c’est un traité qui fut signé le 27 août 1928 à Paris et entra en vigueur le 24 juillet 1929. C’est le climat détendu des relations internationales qui permet la signature de ce pacte, par 15 puissances dont la France, les États-Unis, le Royaume-Uni, l'Italie, l'Allemagne et le Japon, pour la renonciation générale à la guerre. Si le pacte est accueilli dans l'enthousiasme aux États-Unis, il suscite une réserve indéniable en Europe. C’est de plus, un texte ayant une portée limitée, en effet, aucune sanction n’est prévue en cas d’infraction, seule une réprobation internationale est envisagée.


11 à 6 000 000 en 1932, soit 33% de la population active.


12 Le plan Dawes est un arrangement des réparations dues par l'Allemagne signé le 24 juillet 1924, à la suite du traité de Versailles de 1919 et ayant pour objectif de lutter contre l'hyperinflation qui mettait à mal la survie de la République de Weimar.


13 Le plan Young est une seconde négociation du traité de Versailles permettant à l'Allemagne un paiement réduit, échelonné, modulé, et contrôlé des réparations. Il a été signé à Paris le 7 juin 1929 mais ne fut jamais réellement exécuté du fait des conséquences de la crise de 1929.


14 À Trèves, par exemple, de nombreuses personnes se voient dans l’obligation de quitter la ville. 


15 Trad : casque d’acier. Association d’anciens soldats. Une organisation d'extrême droite interdite en Rhénanie et en Westphalie depuis 1929 ! Ce n'est qu’une fois le « casque d'acier » autorisé dans ces deux régions par les autorités locales que les célébrations voit le jour.


16 Car c'était dans les parties démilitarisées de la Ruhr que se trouvaient traditionnellement les usines qui fabriquaient le matériel de guerre du Reich.

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