SEPTEMBRE 2017

Anne de Kiev, princesse varègue
devenue reine des Francs

par Alexandre PAJON


Lorsque le président français, Emmanuel Macron, reçut château de Versailles, le 29 mai 2017, son homologue russe, Vladimir Poutine, ceux-ci n'hésitèrent à en appeler à l'histoire. Emmanuel Macron se référa à Pierre le Grand et son ouverture sur l'Europe quand Vladimir Poutine fit allusion à Anne de Kiev, contributrice de la dynastie capétienne et par la même occasion des deux maisons devenues plus tard européennes, la maison des Valois et la maison des Bourbon.

Si tout le monde connaît le tsar Pierre le Grand, qui connaît Anne de Kiev ? Et comment une princesse kiévoise se retrouva-t-elle reine des Francs ? Pour le comprendre, il est nécessaire de regarder vers ce qui deviendra plus tard la France. 

En effet, le roi des Francs, Henri Ier, petit-fils du fondateur de la dynastie capétienne, Hugues Capet, venait de perdre son épouse Mathilde de Frise. Celle-ci n'ayant pu lui donner d'héritier, il chercha alors à contracter un nouveau mariage. Mais il ne pouvait chercher d'épouse dans la famille de sa défunte femme, même éloignée, car l’alliance étant considérée par l’Église comme un lien de parenté, celle-ci s'opposait aux mariages consanguins jusqu'au septième degré.

Henri envoya alors des ambassades aux quatre coins de l'Europe, chargées de lui signaler toute princesse à marier.

Pendant quatre ans il attendit que lui soit signalée une possible fiancée, car toutes celles dont on lui parlaient étaient peu ou prou ses parentes. Jusqu'au jour où lui fut révélée l'existence d'une princesse, Anne, fille du grand Iaroslav Vladimirovitch qui régnait à Kiev, et qui n'avait aucun lien de parenté avec le roi franc.

Sa mère était Ingrid de Suède, fille d'Olof III Skötkonung, premier roi chrétien de Suède. Anne ne manquait pas de patronyme puisqu'on la connaît sous les noms d'Anne de Kiev, Anna Iaroslava, Anne de Ruthénie, Anne d'Esclavonie, Anne d'Ukraine etc...

La petite-fille de Vladimir le Grand, Grand-prince de la Rus' de Kiev qui avait convertit le pays au christianisme, était réputée être une belle femme aux cheveux blonds, gracieuse et bien éduquée. Cette princesse ruthène, d'origine varègue - les varègues étaient le nom donné aux vikings de Suède par les Slaves orientaux - naquit en 1027. Son éducation était celle de toutes les princesses slaves de Ruthénie : lecture, écriture, philosophie, langues mortes et vivantes, connaissance de l'Ancien et du Nouveau Testament...


Une page de l'Évangéliaire de Reims, livre apporté d'Ukraine par Anne de Kiev lors de mariage avec le roi de France Henri 1er
En apprenant donc son existence, Henri chargea l'évêque de Châlons-sur-Marne, Roger, de porter des bijoux à Iaroslav et de lui demander la main de sa fille. Favorable à une politique d'ouverture, le prince de Kiev accepta la proposition.

Anne quitta alors sa ville natale en 1051 pour se rendre auprès de son futur époux qu'elle n'avait encore jamais rencontré. Après un voyage de plusieurs mois, elle arriva à Reims, apportant avec elle une dot de pièces d'or frappées à Byzance.

La légende raconte qu'une fois Anne sortit de son chariot, le roi se dirigea vers elle pour l'embrasser. La princesse ne protestant pas, la foule pouvait donc voir les fiancés blottis l'un contre l'autre. La légende continue en disant qu'Anne aurait rougit en s'exclamant « je suppose que c'est vous, n'est-ce-pas, qui êtes le roi ? ».

Le mariage eut lieu dans la basilique de Reims, la cathédrale n'ayant pas encore été construite. Il est probable qu'Anne fut ointe d'une huile ordinaire et non du baume de la Sainte Ampoule.

On ne sait pas grand-chose de ce qu'elle pensa du sacre, mais à en croire les Chroniques de France, « la dame, que sainte vie menait, pensait plus aux choses spirituelles qui à venir sont, qu'elle ne faisait aux temporelles, en espérance qu'elle en reçut le loyer en la vie perdurable. » Le sacre fut célébré par l'archevêque Guy de Châtillon. Henri avait 39 ans et Anne, 27.

La première alliance franco-ukrainienne, ou franco-russe selon les susceptibilités, ne dura pas longtemps, Henri décédant brusquement le 4 août 1060, à Vitry-aux-Loges, dans l'actuel département du Loiret. Mais Anne aura pu lui donner trois héritiers : Philippe, Robert et Hugues. Hugues reçut le comté du Vermandois, Robert mourut jeune, et Philippe, l'aîné, fut appelé à devenir roi.

Le prénom de Philippe était assez rare dans le vieux monde carolingien et au début de l'époque capétienne. Anne l'introduisit donc à la cour. Il signifie littéralement « celui qui aime les chevaux. » C'est également le prénom d'un des douze apôtres du Christ. Était-ce un choix personnel de la reine, très pieuse ? Nul ne le sait, mais la dynastie capétienne était enfin assurée. Henri pouvait mourir tranquille.

A la mort de son époux, Anne se retira au château de Senlis avec son fils Philippe, qui avait été sacré roi du vivant de son père. Elle ne s'était pas vu confier la tutelle: à cette époque, il n'y avait pas encore de coutume établie. Ce fut alors Baudoin V, oncle du jeune roi, qui fut désigné tuteur-régent.

Ruines du château de Senlis

Anne put donc vivre libre de toute obligation politique. En dépit de son veuvage récent, elle continuait à organiser des réceptions mondaines. C'est ainsi qu'elle rencontra Raoul le Grand, comte de Crépy-en-Valois, un puissant seigneur qu'elle épousa seulement trois ans après la mort d'Henri. Raoul répudia sa femme, Haquenez, pour que les deux amants puissent se marier. Cette union fit scandale dans le royaume. En effet, la reine se rendait coupable d'adultère. Haquenez, apprenant la raison pour laquelle elle fut répudiée, se plaignit auprès du pape Alexandre II. Ce dernier chargea alors l'archevêque de Reims, Gervais, de mener une enquête, et demanda ensuite à Raoul de se séparer d'Anne pour reprendre son épouse légitime. Mais devant le refus du comte, le pape l'excommunia et annula le mariage avec Anne.

Cependant, les deux amants continuèrent à rester ensemble, et devant l'absence de remords, leur union finit par être acceptée. Un peu plus tard, le roi Philippe Ier, trouva sage de se réconcilier avec eux et accepta même Raoul à la cour. Anne y réapparut également avec le titre de reine mère, une fois le comte décédé. Depuis, Anne ne laissa plus aucune trace et nul ne sait ce qu'elle est devenue.

Ruines de l’abbaye de Villiers-aux-Nonnains

Il est dit qu'elle retourna sur sa terre natale. Mais une tombe, trouvée en 1682 dans l'abbaye de Villiers-aux-Nonnains, près de la Ferté-Alais, laisse à penser qu'elle n'a peut-être pas quitté la France. Cette tombe portait l'inscription « Anne, femme de Henri ». Son corps pourrait également reposer à Senlis, lieu qu'elle chérissait et où elle fit construire l'abbaye Saint-Vincent.

Le mystère demeure toujours mais Anne serait décédée entre 1076 et 1080, à Verneuil, près de Melun, sans avoir connu son petit-fils, le futur roi Louis VI le Gros, né en 1081.


A.P.

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