Un ministre des Affaires étrangères poussé à démissionner pour désinformation et un gouvernement néerlandais ébranlé…
Comme le soulignait très justement mon amie juriste Karine Bechet-Golovko, rédactrice de « Méthode », « Dès qu’il s’agit de la Russie, il semblerait qu’une étrange machine à fantasmagorie se mette en marche et pousse les politiques européens, ou américains, à se jeter à plein perdu dans un monde magique, totalement reconstruit sous le pouvoir de leurs fantasmes. »
L’éphémère ministre des affaires étrangères néerlandais n’y a pas fait exception et sa récente nomination comme chef de la diplomatie n’était d’ailleurs peut-être pas sans lien avec son zèle à vouloir dénoncer le péril russe.
Néanmoins, quelques semaines seulement après son entrée en fonction et à l’issue de plusieurs jours de polémiques, le ministre Halbe Zijlstra, proche du premier ministre Mark Rutte, a dû quitter ses fonctions après avoir avoué au quotidien De Volskrant l’invention de sa fable russophobe.
Halbe Zijlstra prétendait, en 2016 devant le congrès du parti au pouvoir, le Parti pour la liberté et la démocratie (VVD), avoir assisté à une réunion dans une datcha de M. Poutine au cours duquel ce dernier aurait détaillé son projet de retour à une grande Russie qui inclurait l’Ukraine, la Biélorussie, les Etats baltes et le Kazakhstan. La scène se serait passée en 2006 et M. Zijlstra, alors collaborateur occasionnel en technologie de l’information de la société Shell aurait pu entendre ces propos depuis l’arrière de la salle de réunion.
Jeroen Van der Veer, qui dirigeait Shell en 2006, avait affirmé dès octobre que son ancien employé n’avait pas pu assister à la réunion avec M. Poutine. Il sembla, en effet, peu vraisemblable, qu’un simple collaborateur ait été autorisé à prendre part, même passivement, à un débat à haute teneur politique, au cours duquel étaient aussi évoqués des contrats de plusieurs milliards d’euros. L’ancien dirigeant de Shell en doute d’autant plus qu’il était présent à cette réunion et précise que les propos attribués à M. Poutine faisaient davantage référence à l’histoire qu’à l’avenir.
Celui-ci précise par ailleurs que si parfois le président Poutine évoquait en quelque sorte sa nostalgie de la grande Russie et souhaitait à un regain d’influence pour son pays, l’interprétation « dans un sens agressif » de M. Zijlstra dépassait largement le sens des propos tenus lors de cette réunion.
Sous pression, les collaborateurs ministériels de M. Zijlstra ont d’abord tenté d’éluder les questions sur sa présence, puis ont suggéré que M. Van der Veer avait peut-être « oublié » certains détails. Une position devenue intenable quand d’autres cadres de Shell ont décrit comme « risible » l’éventuelle présence de leur collègue dans la datcha.
Même s’il a tenté de se justifier en soulignant que la menace russe restait bien réelle, avec pour preuve l’annexion de la Crimée en 2014, M. Zijlstra a dû reconnaître son mensonge.
Le Premier ministre Mark Rutte s’est alors trouvé sous le feu des critiques des députés lui reprochant de ne pas avoir immédiatement agi après avoir été mis au courant, trois semaines au préalable, du mensonge de son ministre.
Une motion de défiance a alors été introduite par le député Geert Wilders du Parti pour la Liberté (PVV), qui avait jugé « inacceptable » que le premier ministre, à la tête d’une coalition très fragile, n’ait pas informé les députés du scandale autour de son ministre des affaires étrangères. « C’était une erreur de jugement de ma part » que de ne pas avoir informé le Parlement à ce moment-là, a-t-il reconnu et d’ajouter « Je ne pensais pas que cette affaire aurait une telle portée politique. J’ai sous-estimé l’impact de ce mensonge. »
Le départ de M. Zijlstra complique la position de la coalition au pouvoir, qui s’évertue régulièrement à dénoncer les « tentatives de désinformation » auxquelles se livrerait la Russie. La Haye est, par ailleurs, toujours en conflit avec Moscou au sujet du crash de l’avion MH-17 de la Malaysia Airlines. L’appareil qui reliait Amsterdam à Kuala Lumpur s’était écrasé en Ukraine en juillet 2014, frappé par un missile de fabrication russe tiré, selon des conclusions provisoires du parquet néerlandais, d’une portion de territoire occupée par des séparatistes du Donbass.
Le bilan fut de 298 tués, dont de nombreux ressortissants néerlandais. Une enquête dont l’intégrité apparait toujours très discutable et les conclusions plus troublantes encore, envers laquelle les Pays-Bas reprochent à la Russie des propos « injustes et inacceptables. » M. Zijlstra devait d’ailleurs évoquer ce dossier avec son homologue russe Sergueï Lavrov, mercredi 17 février. La polémique l’a rattrapé avant.
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