Conflits armés, régimes autoritaires ou dictatoriaux, minorités oppressées ou mises au ban... « jamais les droits de l'homme n'ont autant été célébrés sur la scène internationale », comme l'affirme le politologue Bertrand Badie, professeur à l'Institut d'études politiques de Paris.
Mais il convient de définir ce que sont les droits de l'Homme, ceux-ci étant souvent confondus avec le droit international humanitaire. Si ce dernier tend à empiéter sur le domaine des droits de l'Homme, il n'en est pas moins que ces droits régissent d'autres rapports. Il est intéressant de voir quels sont ces rapports, comment ils évoluent et comment agissent les défenseurs des droits humains.
Selon la sociologue française Madeleine Grawitz, les droits de l'Homme sont « un ensemble de droits, libertés et prérogatives reconnus aux hommes en tant que tels ». Il s'en déduit que ce sont des facultés que tout être humain ou individu possède en toute liberté et dont les violations ou refus à y satisfaire sont considérés comme illégaux car reconnus par la collectivité. Ce sont des standards fondamentaux, des prérogatives morales ou des règles que la nature confère à l'homme en tant qu'être doué d'intelligence, auxquels doit se conformer la coexistence des sociétés et des individus, qui sont la manifestation de sa personnalité et qui lui permettent d'agir, de vivre, de se protéger. Les droits de l'Homme sont le fondement de la liberté, de la justice, de la paix et dont le respect permet à l'homme de se développer.
Ces droits sont des principes très anciens que la Révolution française a fait ressurgir. En effet, force est de constater que la question des droits de l'Homme n'est pas l'apanage des révolutionnaires du XVIIIème siècle ni celui des philosophes de la même époque. La Perse du VIème siècle avant J.C. peut être considérée comme étant à l'origine de ces droits, lorsque Cyrus le Grand fit écrire sur un cylindre ce qui peut être perçu comme la première charte des droits de l'Homme : abolition de l'esclavage, tolérance religieuse, paix, liberté de choix de profession...
Ces défenseurs de tous les êtres humains dénoncent les atteintes liées aux droits des hommes, des femmes et des enfants. Toute personne, quelle que soit sa condition, son orientation sexuelle, sa santé, son travail, ses idées politiques, a des droits que la nature lui confère. Les hommes n'ont pas à guider la liberté naturelle d'autres hommes. Les défenseurs des droits humains cherchent à universaliser les droits de l'Homme.
Les droits proclamés lors de la Déclaration de 1789 se voulaient naturels, inaliénables et égaux pour tous. C'est de là que proviennent leur universalité. En outre, les droits énoncés sont ceux de l'homme
et du citoyen, et non uniquement des Français. Cette volonté d'universalité se retrouve dans le contenu même de la Déclaration, le terme de « Français » n'y apparaît qu'une seule fois, à la première ligne du préambule, marquant simplement l'origine française du texte.
Mais l'idéologie des droits de l'Homme est avant tout interne. Elle tend en effet un certain type de rapport en États et individus.
En ce sens, les droits de l'Homme modèlent la société interne tant par leurs fondements philosophiques que par leur régime juridique. Ils ont ensuite connu un processus d'internationalisation avec par exemple la Déclaration universelle des droits de l'Homme de 1948, la Convention européenne de 1950, ou les Pactes des Nations-Unis de 1966. Cette internationalisation n'est pas à confondre avec universalisation. L'universalisation s'appuie sur diverses conventions à vocation universelle, mais aussi sur l'action militante des sociétés civiles ou d'ONG, la plupart d'origine occidentale. L'universalisation est dangereuse dans le sens où elle impose une conception commune. En effet, une valeur ne peut être arbitrairement déclarée universelle. Les démocraties occidentales ont tendance à l'oublier. Pour être universelle, une valeur doit être acceptée par tous, par chaque personne quelle que soit sa culture, sa religion ou son pays. Chaque personne doit donc se l'approprier et l'intégrer dans sa culture. Bien que les droits de l'Homme, de par leur côté naturel, ont une portée universelle, ceux-ci doivent encore être reconnus par l'ensemble des citoyens du monde. Il ne s'agit pas d'acculturer les peuples.
Ces droits humains ont été exprimés depuis très longtemps, dans différentes cultures, d'où l'universalité qui peut leur être reconnue. Par exemple le droit à la vie, le droit à la dignité de tout homme et de toute femme sont actuellement reconnus par une très grande majorité des cultures et des religions, bien que cette dignité soit justifiée de manière différente selon les athées et selon les croyants. Cette distinction entre les valeurs et leur justification implique que pour avoir un caractère universel, la formulation des droits de l'Homme doit s'appuyer sur la raison, universellement partagée, et non sur des motifs religieux, par exemple, qui ne sont pas universellement partagés. C'est une des grandes différences avec la formule des droits de l'Homme en terre d'Islam qui fait constamment référence à Dieu et à la charia. Concilier universalité et diversité culturelle et religieuse nécessite un travail de dissociation entre le concept et la manière dont il est traduit dans les différentes cultures. Ce travail ne peut se faire qu'avec un dialogue interculturel, interreligieux et intrareligieux.
Un des enjeux des droits de l'Homme repose sur la notion de personne, qui n'a pas la même résonance dans toutes les cultures. Alors que la notion peut se référer à l'individu en société, elle peut se comprendre chez d'autres peuples comme véhiculant l'individualisme occidental, en opposition aux solidarités familiales ou communautaires très répandues dans beaucoup de civilisations. C'est pourquoi le Charte africaine des droits de l'Homme intègre la notion de valeurs traditionnelles et que la Déclaration islamique des droits de l'Homme se réfère à la Oumma. Peut-être faudrait-il trouver un autre vocable associant individu et société compris sans ambiguïté dans toutes les cultures.
Universel ne veut également pas dire uniforme. En effet, il peut être envisagé d'exprimer une même valeur dans des cultures différentes, de façon à lui donner un sens global et compris par tous.
Malgré ce qui peut être cru, l'universalité des droits fondamentaux permet à la philosophie et la pratique des droits de l'Homme d'être en progression. Le rôle de la société civile n'en est pas anodin. Pour permettre à cette progression de continuer, le dialogue interculturel, interreligieux, interétatique et les différents courants de pensée ne doivent pas s'arrêter.
Cependant, les défenseurs des droits de l'Homme sont aujourd'hui confrontés également à la progression du droit international. Car les différentes chartes sur le sujet ne sont pas des traités contraignants. Rien n'oblige les États à complètement les respecter.
L'essence même de la défense des droits de l'Homme, de la dignité humaine, réside dans la protection contre les abus du pouvoir, la négligence des gouvernements, ainsi que les différentes formes de discriminations sociales ou politiques. Ce principe, sur le plan international, affirme que les États sont responsables de la manière dont les gouvernements traitent leur population. Il n'est donc guère surprenant que certaines ONG axent leurs actions sur l'application, ou à l'inverse sur la violation, par les gouvernements, des normes universelles ou régionales des droits de l'Homme. Cette optique reflète la conception traditionnelle du gouvernement considéré comme le centre du pouvoir et de la responsabilité. Elle reflète également le principe qui veut que les États soient liés par le droit international, soit parce qu'ils sont partie à un traité, soit parce qu'une règle commune est reconnue comme une norme de droit international coutumier, ou encore le principe classique qui veut que seuls les États ou gouvernements sont susceptibles de violer les droits de l'Homme. Les meurtres commis par des personnes ou des groupes d'individus non étatiques sont des crimes. Ces actes deviennent des violations des droits de l'Homme lorsque leur auteur est un agent de l’État ou lorsque l’État manque à son devoir de protéger les personnes ou de poursuivre l'auteur présumé.
En effet, la prolifération des conflits internes ne justifie pas le fait que des violations des droits de l'Homme puissent être commises sous prétexte qu'elles ont lieu pendant des conflits armés. Néanmoins, il est indiscutable que les normes du DIH ont un degré de spécialisation et de spécificité qui manque aux droits de l'Homme. L'exemple le plus flagrant est celui du déplacement des populations. Ce type de phénomène est courant dans les conflits armés internes mais les droits de l'Homme n'offrent guère d'outils dans ce domaine tandis que la Convention de Genève de 1949 stipule que les civils ne peuvent être déplacés que pour des « raisons militaires impératives » et ajoute que « toutes les mesures seront prises » pour que les populations civiles déplacées « soient accueillies dans des conditions satisfaisantes de logement, de salubrité, d'hygiène, de sécurité et d'alimentation. »
Deuxièmement, les droits de l'Homme restent contraignants pour les États même si ceux-ci peuvent, en certaines circonstances, déroger à quelques-unes de leurs dispositions. Les ONG de défense des droits de l'Homme peuvent donc se trouver dans une situation où elles invoquent à la fois les droits de l'Homme et le droit international humanitaire vis-à-vis d'un groupe d'opposition armé comme d'un gouvernement. Car de nos jours, un gouvernement doit-il respecter des normes plus strictes que l'opposition, ou simplement des normes différentes ? En outre le Protocole II aux Convention de Genève de 1949 ne s'applique que si l’État concerné est un État partie. Le fait qu'un gouvernement n'ait pas adhéré au Protocole doit-il empêcher les ONG d'insister pour que les dispositions soient tout de même respectées ?
L'intérêt croissant des ONG actives dans le domaine des droits de l'Homme à l'égard du DIH illustre bien les problèmes auxquels font face ces organismes, concernant en particulier la manière de préserver ou d'améliorer la protection des droits de l'Homme dans des situations de conflits armés ou de troubles internes. Étant donné la nature même des ONG, il ne saurait y avoir de réponse unique à ces problèmes. Il est peu probable que ces ONG soient parfaitement à l'aise avec le DIH qui diffère des droits de l'Homme par ses notions, sa terminologie et sa philosophie. Toutefois la force du mouvement des droits de l'Homme réside dans sa capacité à apprendre et à s'adapter pour faire face à l'évolution du monde tout en préservant l'intégrité de la notion des droits de l'Homme contre les pressions exercées par les États et les populations. Le DIH offre aux ONG qui se vouent à la promotion des droits de l'Homme des outils précieux dans leur combat.
Les défenseurs des droits humains doivent pouvoir continuer à promouvoir l'Homme dans les pays de démocratie libérale qui ne sont pas les derniers à lui manquer de respect. La lutte contre les discriminations, l'intérêt supérieur de l'enfant, le droit des femmes, la médiation avec les services publics et la déontologie des services de sécurité font toujours partie des compétences et des objectifs à promouvoir.
Il est nécessaire de continuer à mettre l'Homme, en tant qu'être naturel, au centre des préoccupations. La philosophie des droits de l'Homme peut être résumée par les propos de l'écrivain Bernard Clavel qui déclare que « seuls peuvent encore nous sauver ceux qui comprendront que l'unique patrie qui mérite d'être défendue est la patrie humaine. Ceux qui auront le courage de désobéir à leurs gouvernements et placeront le monde au-dessus des nations. »
A.P.
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