Le mardi 10 avril 2018, les honneurs militaires ont été rendus dans la cour d’honneur des Invalides à l’un des huit derniers Compagnons de la Libération. Constant Engels, figure du 1er régiment d’artillerie coloniale est en effet décédé le mardi 3 avril 2018 à Beauzelle en Haute-Garonne, à l’âge de 97 ans.
Fils d'un ingénieur belge, il était né, à Esen, le 11 août 1920. Elève brillant, Constant Engels prépare l'école des Mines et Sciences-Po en Belgique. Lorsqu'éclate la guerre en 1939, il est trop jeune pour être mobilisé. Mais comme tous les Belges, il subit de plein fouet l'offensive allemande qui envahit son pays et coupe d'un coup de faux avec ses panzers les jarrets de la France. Sa famille et lui rejoignent la France et pensent trouver refuge à Dunkerque.
Mais, bousculé par le Blitzkrieg engagé par l'armée allemande lors de la bataille de France, le front est rompu par la percée de Sedan.
L'armée britannique ainsi que les unités les plus modernes de l'armée française battent en retraite vers le nord de la France et se retrouvent coupées des troupes françaises situées plus au sud. Tous sont désormais encerclés.
Avec sa mère et sa famille, Constant Engels devient, à l’instar des troupes britanniques et françaises, prisonnier de la poche de Dunkerque.
Le Royaume-Uni décide alors de réaliser une évacuation par la mer d’un maximum de personnes : l'essentiel des troupes britanniques bien sûr, plusieurs unités françaises et si possible les volontaires parmi la population. Mais rassembler en aussi peu de temps une petite armada n'est pas chose aisée. Qu'à cela ne tienne, la Royal Navy détache immédiatement 39 destroyers, des dragueurs de mines et quelques autres bâtiments.
Mais c'est insuffisant, car la faible déclivité des plages oblige les navires de fort tonnage à mouiller au large. Il faut dès lors mobiliser des ferries, des chalutiers, des remorqueurs, des péniches, des yachts et d'autres embarcations encore plus modestes, les désormais célèbres little ships. Les opérations de rembarquement sont incommodes. Il y a trop d'hommes et pas assez de bateaux.
Mais la machine se rode. Ainsi, le premier jour, 7 669 hommes ont pu rejoindre un port allié, 17 804 le second, 47 310 le troisième, 53 823 le quatrième. C’est ainsi aux premiers jours de juin 1940 que sous les tirs allemands, Constant Engels et sa famille rejoignent l’Angleterre à bord d’un bateau belge.
Quelques jours d'attente à Folkestone et son destin bascule, car il est désormais mobilisable. « Alors on m'a renvoyé vers la France pour poursuivre le combat », expliquait-il. Ce 17 juin 1940, il embarque donc pour retraverser la Manche. Mais le même jour le maréchal Pétain déclare à la radio… « C'est le cœur serré que je vous dis aujourd'hui qu'il faut cesser le combat » – et permet ainsi à l'ennemi de faire plus d'un million de prisonniers.
Message reçu, son bateau fait alors demi-tour et rentre à Folkestone tandis que Constant Engels, lui, décide de poursuivre le combat. Il rencontre un membre de l'entourage d'un général de brigade alors inconnu, sous-secrétaire d'état à la Défense nationale et à la guerre du 6 au 16 juin 1940 et qui refuse la capitulation... Avant la fin du mois, le jeune homme fera partie des premiers à s'engager dans les Forces Françaises Libres de ce général De Gaulle. Il est incorporé dans l’artillerie, comme canonnier de 2e classe, et participe aux opérations de Dakar et du Gabon de septembre à novembre 1940.
Le 23 septembre 1940 à l'aube, trois bâtiments de guerre des Forces Françaises Libres, accompagnés par deux cuirassés britanniques anciens non modernisés, le porte-avions HMS Ark Royal, plusieurs croiseurs et destroyers constituant la Force M, commandée par l'Amiral John Cunningham, se présentent devant Dakar, la capitale de l'Afrique-Occidentale française, pour en demander le ralliement.
La visibilité de l'armada alliée est gênée par le brouillard. Pierre Boisson, gouverneur général de l'A.O.F., envoyé de Brazzaville à Dakar en juillet, après l'attaque britannique du 8 juillet, refuse catégoriquement de se rallier, affirmant sa volonté de défendre Dakar « jusqu'au bout ».
Du 23 au 25 septembre 1940, au large du Sénégal, pour la première fois de la guerre, des Français se battent contre des Français. La présence du général De Gaulle, en mer, ne provoque pas les ralliements escomptés et aucune des trois opérations simultanées ne réussit. Le traumatisme de Mers el-Kébir est bien trop récent.
En mars 1941, avec l’artillerie des FFL Constant Engels prend part, au sein la brigade française d’Orient, à la campagne d’Érythrée contre les Italiens, participe à la prise de Keren.
La bataille décisive de la campagne a lieu à Keren, ville à 100 kilomètres à l'est d'Agordat. La ville, qui est à une altitude de 1 300 mètres, est située dans un cirque, coupé au sud-ouest par le ravin Dongolaas et au nord par le ravin Anseba. Le ravin Dongolaas est le seul passage permettant d'accéder aux haut-plateaux érythréens depuis Agordat.
Selon Pierre Messmer, cette bataille est la bataille décisive de la campagne d'Érythrée1. Après cette bataille, la conquête de l'Érythrée et de l'Éthiopie ne pose pas de difficultés particulières aux troupes alliées. En avril 1941, Constant Engels est ainsi engagé dans la bataille de Massaouah.
Il entre alors avec le colonel français Raoul Magrin-Vernerey, à la tête de la brigade française libre d'Orient et fait prisonniers l'amiral Bonatti, commandant des forces italiennes en Afrique orientale, 8 autres officiers généraux, 440 officiers et 14 000 hommes des forces italiennes.
En juin 1941, il combat en Syrie où, à Damas en décembre 1941, le 1er Régiment d’Artillerie des Forces Françaises Libres (1er RAFFL) est créé et placé sous les ordres du chef d’escadron Laurent-Champrosay. Désormais formé de quatre batteries de six canons de 75 mm, transformé en unité motorisée moderne, le Régiment constitue l'artillerie de la 1ère Brigade Française Libre commandée par le général Koenig et intégrée à la VIIIe Armée britannique.
C'est dans les sables brûlants du désert de Libye que le 1er RAFFL va écrire les pages les plus glorieuses de son histoire. En effet, le Régiment participe à la prise d'Halfaya en janvier 1942 puis se distingue à Bir-Hakeim en mai et juin 1942, où il constitue la seule artillerie de la place. Les batteries motorisées, alliant dynamisme et combativité, harcèlent les colonnes de Rommel avant l'encerclement de la position. Le Régiment, malgré les bombardements de Stukas, les tirs de contre-batterie de l'artillerie lourde allemande, les assauts de l'Afrikakorps et des Italiens, tient bon jusqu'à l'évacuation de la zone, dans la nuit du 10 au 11 juin 1942. Mais le bilan est lourd : le 1er RAFFL compte 64 tués à Bir-Hakeim dont sept officiers. De ses 24 canons, il en reste huit.
Et lui ? « Ah oui, c'est là que j'ai été blessé, le tibia fracturé, une vilaine blessure ».
Observateur et radio du 1er RA, Constant Engels sera en effet gravement blessé à Bir-Hakeim le 7 juin 1942 à son poste de combat. Il supporte pendant deux heures, sans recevoir de soins, une grave fracture du tibia droit, tout en conservant un moral exemplaire. Son courage exemplaire, son sang-froid, ses encouragements à ses camarades malgré la souffrance font que le général de Gaulle le fait compagnon de la Libération et lui remet la prestigieuse croix le 11 août 1942 sur son lit de convalescence à l’hôpital Maurice-Rottier de Beyrouth.
Constant Engels se rappelait… « C'est la photo où de Gaulle me décore. J'étais très honoré, de Gaulle en personne ! Ça m'a laissé un grand souvenir… pour nous, la réputation du général était extraordinaire. J'avais 22 ans ».
Constant Engels est ensuite affecté en Syrie, en Afrique Noire, puis enfin à l’État-major du général Pierre Koenig d’abord à Alger, puis à Londres.
La Libération ? Quelques années avant de nous quitter il se rappelait que la fin de l'horreur en Europe avait été pour lui enfin l'occasion de renouer avec ses 20 ans qu'il n'avait jamais eus. Il conservait parle ailleurs le souvenir de cet écho de liberté qu'il percevait alors dans les « musiques militaires américaines, qui, contrairement aux autres, étaient très dansantes et joyeuses ».
Après la guerre, il quitte le service actif et reprend ses études. Licencié de Physique, il poursuit des études d’Ingénieur au Conservatoire national des arts et métiers, (CNAM), en électronique, génie nucléaire et informatique.
Devenu chercheur, il travaille dès 1947 au Commissariat à l’Énergie Atomique, Naturalisé français en 1949, il poursuit sa carrière, de 1954 à 1957, au Centre national d’essais en vol de Brétigny-sur-Orge. De 1957 à 1964, Constant Engels est employé au Ministère des Armées (Air), au Service de documentation de la direction technique et industrielle de l’aéronautique.
De 1964 à 1976, il est employé au ministère des Universités et enseigne les mathématiques. En 1976, Constant Engels est de retour au Commissariat à l’Énergie atomique.
Malgré son titre de Compagnon de la Libération et ses élogieux états de service, on peut toutefois s’étonner que la France ait attendu plusieurs décennies avant de reconnaître le caractère exceptionnel de l’homme et des services rendus à la Nation. Ainsi Constant Engels n’a été fait chevalier de la Légion d’honneur que par le décret du 13 mai 1996 un des deux derniers Compagnons de la Libération, avec Stanislas Natlacen, à n’avoir pas été encore décoré du ruban rouge.
Il fut toutefois élevé au grade officier de la Légion d’honneur en 2014 et reçu les insignes d’Officier dans l’Ordre national de la Légion d’honneur des mains du général Olivier SALAÜN, commandant la 11ème Brigade parachutiste, commandant d’armes de la garnison interarmées de Toulouse et délégué militaire départemental de la Haute-Garonne.
Les insignes de commandeur lui ont enfin été remis par le général de corps d'armée Jean-Paul Raffenne, en octobre 2016, dans la résidence « Edelweiss », de Beauzelle, où il s’est éteint ces derniers jours. Une reconnaissance de la Nation toute légitime à un homme d’un courage exceptionnel et d’une humilité qui le grandissait plus encore.
Hommage de la rédaction à ce héros de la Seconde Guerre mondiale.
F.M.
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