« La Russie et l’Europe » - c'est non seulement le nom de l'œuvre historique et philosophique de Nicolaï Danilevskiy publiée en 1869, mais aussi l'un des sujets les plus importants de la pensée politique en Russie et dans les pays de l'Ancien Monde. Durant des siècles, la question de la corrélation et de la relation entre la Russie et l'Europe a été soulevée et résolue de différentes manières dans divers contextes - ceux religieux, culturels, idéologiques, économiques, militaires, civilisationnels et autres.
À certaines époques, la Russie était considérée comme partie inaliénable, bien qu'étrange, de l'Europe ; à d’autres, comme « un Autre constituant » de l'Occident. C’est ainsi qu’au cours du XXe siècle, elle adoptait progressivement dans le discours politique européen des caractéristiques de « l'Est », précédemment associées aux pays du monde islamique.
En même temps, la nature « non européenne » de la Russie à l’Occident n'était pas toujours perçue comme un inconvénient, mais « l'européanité » impliquait souvent un examen difficile, voire irréalisable, pour passer de la catégorie « apprentis » à celle de « maîtres »1.
La fin de la Guerre froide, et l'effondrement du bloc communiste au tournant des années 1980-1990 devaient, selon les concepts répandus à l’époque, marquer la « fin de l'histoire », c'est-à-dire une transition graduelle des systèmes politiques et civilisationnels antérieurs vers le « dénominateur commun », la démocratie libérale euro-atlantique. À l’époque, il semblait à beaucoup que les contradictions séculaires entre l'Occident et la Russie n'aboutiraient à rien et que la Fédération de Russie se « dissoudrait » dans l’Occident qui, à son tour, acquerrait la globalité politique et la validité normative générale. Mais en fait, la période « unipolaire » n'a duré qu'un peu moins de deux décennies - un temps insignifiant selon les normes historiques -, après quoi on a commencé à parler de « retour de l'histoire ».
« Le retour de l'histoire » a coïncidé avec la crise de l'ordre mondial centré sur l'Occident. Certains observateurs crurent à un tournant en 2016. Ils considéraient le Brexit2 et la victoire de Donald Trump aux élections présidentielles américaines comme les « points de non-retour ». D'autres fixèrent la fin de l’époque à deux ou trois ans avant, la liant au début de la crise ukrainienne, et à l'effondrement des projets concomitants de construction de la « Grande Europe ». D’autres encore mentionnèrent le « printemps arabe » en 2011 comme un phénomène non seulement régional mais aussi d’importance mondiale. Enfin, certains se référèrent à la crise financière et économique de 2008-2009, arguant de l'incapacité ou de la réticence de l'élite mondiale à répondre adéquatement au choc et au mécontentement que provoquait son comportement auprès de nombreuses couches de population des pays développés. Certains auteurs remontèrent encore plus avant, à savoir à l'élection de Poutine en tant que président de la Russie en 20003 !
Quel que soit le début du « retour de l'histoire », une des caractéristiques fondamentales du nouvel ordre mondial, qui est en cours de formation, est la « réhabilitation nationale » dans la sphère politique des principales puissances mondiales4. Il s’agit des questions de souveraineté politique étatique, ainsi bien que de celles d'identité nationale. La croissance du populisme national est directement liée aux diverses manifestations d’un « mythe national » observé dans de nombreux pays occidentaux ces dernières années, et l’euroscepticisme de droite5 semble devenu la « nouvelle norme » de l'Union européenne6. Le soutien des forces politiques de droite s'accroît, et les partis plus traditionnels adoptent souvent la rhétorique et les attitudes politiques des populistes7.
La politique européenne et l’évolution de ses courants idéologiques ont toujours eu, et continuent d’avoir un impact sur la Russie ; elles déterminent les relations de Moscou avec chacun des États membres. C’est pourquoi il semble opportun d’analyser ici l'image de la Russie dans la rhétorique des populistes de droite de l'Europe occidentale. Pour cette étude, nous prendrons en considération les cinq principaux partis :
Le Parti de la liberté d'Autriche (FPÖ), qui appartient au nouveau gouvernement de coalition du pays ;
Le Parti pour l'indépendance du Royaume-Uni (UKIP), qui est devenu l'un des principaux impulseurs du Brexit en Grande-Bretagne ;
L’Alternative pour l'Allemagne (AfD), un jeune parti formé en 2013, mais qui détient déjà la troisième plus grande place au Bundestag ;
La Ligue du Nord italienne (LN), influant surtout dans le nord du pays et partenaire de la coalition traditionnelle S. Berlusconi ;
Et le Front National (FN), l’un des plus anciens partis eurosceptiques en France et en Europe dont le leader, Marine Le Pen, est arrivé deuxième à l’élection présidentielle de 2017, avec 34 % des suffrages exprimés.
LA RUSSIE EN TANT QUE MEMBRE POTENTIEL DE L'UE
Tout au long de l'histoire du Parti de la liberté d'Autriche (FPÖ), le sujet de la Russie est intervenu de façon sporadique dans la rhétorique de cette force politique et dans différents contextes (nécessité d'assurer l’indépendance énergétique de l’Autriche vis-à-vis de Moscou, opportunité de suggérer à la Russie, en tant que pays de culture européenne, d’adhérer à l’UE réformée (au lieu de la Turquie). Depuis le début de la crise ukrainienne, et la « guerre des sanctions » de l’UE contre la Fédération de Russie, cette dernière a toujours été présente dans les déclarations du parti. Ainsi, H.- C. Strache, leader du FPÖ, critique Bruxelles pour avoir accepté des sanctions antirusses « erronées » pour plusieurs raisons8. Selon lui, la Russie est l'un des partenaires économiques clés et des plus fiables en Europe, et les exportations autrichiennes ont chuté de 20 % en raison des contre-sanctions imposés par Moscou. Les sanctions elles-mêmes, selon le politicien, sont motivées par des considérations politiques, visant à « punir » la Russie pour protéger ses propres intérêts nationaux. En outre, la politique antirusse de l'UE actuelle est conditionnée par son inclination vers les États-Unis, dont les intérêts géopolitiques sont défendus par Bruxelles, exacerbant ainsi les relations avec Moscou.
Toujours selon le leader du FPÖ, les conflits en Europe, et donc la crise ukrainienne, doivent être résolus par la voie pacifique et diplomatique plutôt que par des sanctions qui se retourneraient vers chaque État membre comme un boomerang, et nuiraient non pas tant à la Russie qu’aux économies desdits États, se « punissant » ainsi eux-mêmes.
Les membres de « Liberté » estiment que la crise ukrainienne trouve sa source dans les ambitions américano-européennes d’expansion vers l'Est, dans le cadre de l'UE et de l'OTAN.
Or ce désir d’expansion US va à l'encontre de l'engagement de stopper le pouvoir d’expansion donné à l'Union soviétique encore à la fin des années 1980. Le FPÖ estime que l'Ukraine et la Russie ont des racines culturelles et historiques communes associées à la « Rus' de Kiev », ce que politiques et stratèges occidentaux ne veulent pas prendre en compte, ayant planifiée une expansion militaire, politique et économique dans l’espace postsoviétique10.
Le parti de la liberté d'Autriche a reconnu le référendum de Crimée en mars 2014 comme ayant été correctement organisé ; il y avait envoyé ses observateurs. En décembre 2016, la délégation officielle de « Liberté » s'est rendue à Moscou où elle a signé un accord de coopération avec « Russie unie ». Dans un entretien avec la presse russe, H.-C. Strache, le leader de « Liberté », a déploré que « certains journalistes et politiciens occidentaux ne savent pas encore que l'URSS n’existe plus, et que la Russie n'est plus un pays communiste mais un partenaire important économique et politique de l'Europe, aussi bien que le principal participant à la lutte contre le terrorisme international et l'extrémisme religieux, en particulier en Syrie »11.
« NE FÂCHEZ PAS UN OURS RUSSE ! »
Bien qu’il était notoirement connu que Vladimir Boukovski, dissident soviétique, coopérait depuis longtemps avec le Parti pour l'indépendance du Royaume-Uni (UKIP), la Russie ne s’est intéressée à ce parti qu’après le début du conflit civil en Ukraine orientale et le référendum de Crimée. Fin mars 2014, Nigel Farage, leader de UKIP, a déclaré au Parlement européen que, bien qu'il n’approuvait pas « l’annexion » de la Crimée par Vladimir Poutine, il comprenait cependant sa motivation. C’est ainsi qu’aux autorités de l'UE dont les politiques ont provoqué la confrontation armée en Ukraine, il a dit qu’elles avaient « du sang sur les mains ». Farage a souligné que « la vanité remplace le bon sens dans la conduite de la politique étrangère de l'UE », et que l’intervention de Bruxelles dans les affaires d'autres pays « conduit à leur déstabilisation sans aucuns effets positifs ». Ainsi, l'intervention de l'UE dans les affaires de l'Ukraine, que la Russie considérait comme un territoire « dans le champs de ses intérêts », a provoqué une réaction « très prévisible » de la part de Moscou. « Je ne soutiens pas ce que Poutine fait, mais les dirigeants à Bruxelles doivent comprendre que s’ils tâtent du bâton l'ours russe, il ne faut pas qu’ils soient surpris qu'il réponde » - a dit Farage13.
Le parti est d'avis que les sanctions occidentales contre la Russie ne fonctionnent pas plus que toute autre tentative d’intimider Moscou. Paul Nutall, député du Parlement européen UKIP, a rappelé que la Russie est un pays qui a connu une révolution, deux guerres, la famine, le blocus de Leningrad et la bataille de Stalingrad en un siècle, et que croire en une inflexion de sa politique en raison des ces sanctions est pour le moins naïf14. Bien au contraire, si l’UE continue de se fixer cet objectif, le peuple russe, détectant une menace extérieure, se fédérera d’autant plus autour de son leader national, et aucun changement de régime n’interviendra.
Quant à Donald Coburn, speaker pour la défense de UKIP, s’il attire l'attention sur certains aspects antidémocratiques de la politique russe (il parle en particulier de « la persécution des homosexuels et d'autres choses inacceptables »), il note que le plus grave défi auquel l'humanité est confrontée depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale c’est le fondamentalisme islamique, tant au Moyen-Orient qu'en Europe15, et que la Fédération de Russie combat activement et avec succès l'extrémisme religieux au sein de ses frontières et en Syrie, ayant l'expérience de la coexistence des peuples musulmans et chrétiens sur son sol. Pour lui, la Russie n’est donc pas l'ennemi, mais l’allié évident de l'Occident.
ALTERNATIVE ALLEMAND ET LA CRIMÉE RUSSE
Pour le parti « Alternative pour l'Allemagne » (AfD), la question russe » est fondamentale, et elle est intimement liée à son histoire et sa base électorale. « Alternative » a été fondée en 2013. Deux ans plus tard, il se produisit une scission au sein du parti concernant l’attitude à adopter à la suite du référendum en Crimée et des sanctions antirusses16. Le leader d’AfD de l’époque n'a pas reconnu le référendum et a préconisé les sanctions contre la Russie, votant pour la résolution condamnant Moscou au Parlement européen. Au contraire, la grande majorité du parti s'est opposée aux sanctions et ce, pour deux raisons. Tout d'abord, les intérêts de la Russie ne sont aucunement contraires à ceux de l'Allemagne ; il n’y a donc pas lieu de gâcher les relations entre les deux pays, et de donner ainsi des armes au leadership de l'UE détesté par les eurosceptiques. D'autre part, la grande majorité des partisans et des militants de l’AfD provient de l'ancienne Allemagne de l'Est où les gens sont généralement russophiles et sensibles à la guerre de sanctions UE/Russie. Cette majorité estime donc qu’il est souhaitable de restaurer des relations amicales entre Berlin et Moscou.
En conséquence, en 2015, l’AfD a changé ses dirigeants, et sa politique étrangère actuelle vise à lever les sanctions et à mettre en place la plus grande coopération possible entre l'Allemagne et la Russie. C'est dans une telle politique que les eurosceptiques allemands voient la condition d’une croissance économique et de sécurité pour l'Allemagne, comme pour la Russie et pour l'Europe. « Alternative » renouvelée a affirmé sa position russophile lors de déclarations officielles et des votes au Parlement européen, au Bundestag et aux parlements régionaux (Landtage), où le parti dispose d’une représentation notable, en particulier dans l'Est. En outre, des représentants d’« Alternative » ont bien des fois visité la Russie, en particulier la Crimée, et même les républiques autoproclamées du Donbass. Ainsi, W. Stein, membre du parlement local du Bade-Wurtemberg d’« Alternative » qui a visité les républiques à l’été 2016, a dit : « J'admire la façon dont les gens vivent ce qu’ils ont enduré. Et je regrette la situation politique, surtout que le gouvernement allemand ne contribue pas à résoudre ce conflit »17.
« Auswanderung braucht gute Gründe », soit en français « Il faut de bonnes raisons pour immigrer »
Selon M. Frontmayer, chef de la section jeunesse du parti, « il n'y a pas d'agression russe contre l'Ukraine. L'Ukraine a été prise en otage par le mouvement « Euromaïdan » au début de 2014. Le gouvernement légitime a été renversé avec la participation directe de l'Occident.
En mars 2014, en Crimée, a eu lieu un référendum, au cours duquel la péninsule, par des procédures démocratiques, a opté pour l'adhésion à la Fédération de Russie. Le Donbass souhaitait plus d'autonomie vis-à-vis de Kiev. L'Ukraine a répondu par la guerre. Les habitants du Donbass furent tués, bombardés et « virés » sous le contrôle des forces de Kiev, parmi lesquelles figuraient des éléments criminels des pays occidentaux - les soi-disant « volontaires ». Et nous ne comprenons absolument pas pourquoi nous [en Allemagne] ne parlons pas de tout cela quand on parle du conflit ukrainien »18.
Le parti estime que les sanctions imposées par l'UE contre la Russie dans le cadre du référendum de Crimée et des événements dans le Donbass sont de nature « idéologique » et qu’ils peuvent avoir, en outre, des conséquences négatives durables pour l'économie allemande si la Russie décide de se détourner de l'Europe au profit de la Chine19. Il estime que les manœuvres de l'OTAN près des frontières de la Fédération de Russie sont « une utilisation inefficace de l’argent », qui « n'impressionneront personne au Kremlin », mais qui nuiront aux possibilités de dialogue constructif entre Moscou et Bruxelles.
« AMIS DE POUTINE »
Comme un certain nombre d'autres partis eurosceptiques, la Ligue du Nord italienne (LN) a commencé à utiliser la rhétorique russe au début de 2013-2014, au moment où la Russie faisait face aux événements en Ukraine, aux sanctions, à la crise de l'Union européenne et à la lutte contre l'extrémisme religieux au Moyen-Orient. Ainsi, LN fut la seule force politique italienne à reconnaître le référendum en Crimée. Le leader du parti, Matteo Salvini, y a vu la manifestation claire du droit des peuples à l'autodétermination. Il a dénoncé la politique hypocrite de l'UE qui reconnaît ce droit au Kosovo, et le refuse à la Crimée20. Selon le parti, les sanctions antirusses votées en 2014 par l'UE ne sont pas dictées par les intérêts de l'Europe (« les Européens n’ont absolument aucune animosité envers la Russie »), mais par la pression de Washington, à qui les élites « antinationales » de Bruxelles ont succombé.
Matteo Salvini met en garde le président Poutine contre la bureaucratie cosmopolitique de Bruxelles. « Poutine protège l'identité des peuples, s’oppose à l'immigration de masse, soutient la famille traditionnelle, composée de l'union d'un homme et d’une femme, en s’opposant ainsi au mariage homosexuel, et protège la souveraineté économique et nationale »21. Salvini a avoué admirer le leader russe ; il a même créé au parlement italien le groupe de députés « Les amis de Poutine »22.
Selon la Ligue du Nord, la Russie et l'Europe sont unies non seulement par des intérêts économiques communs, mais aussi par l’« ennemi numéro un » - DAECH. En outre, selon elle, Moscou agit de manière plus sévère et plus efficace que la coalition occidentale dans la lutte contre les actes terroristes internationaux23. Salvini a même dit que « s'il n'y avait pas Poutine, DAECH serait à Naples depuis longtemps »24.
Au printemps 2016, le Conseil de la région italienne Vénétie a adopté la résolution, préparée par la « Ligue », qui demande au gouvernement de condamner la politique de l'UE concernant la Crimée pour lever les sanctions contre la Russie. L'exemple de la Vénétie a été suivi par les Conseils de la Ligurie, de la Lombardie, de la Toscane, du Piémont et de l'Émilie-Romagne25.
« DE LISBONNE À VLADIVOSTOK »
De tous les partis eurosceptiques qui sont accusés de « collusion avec la Russie » dans la presse mainstream occidentale, c’est le Front national français (FN) qui est le plus fréquemment attaqué par les journalistes26. L'existence d'une telle « collusion » nous semble douteuse, mais les liens de longue date du FN avec la Russie sont certains et ce, depuis de l'époque de l'URSS.
Ainsi, Jean-Marie Le Pen, fondateur du Front national, avait beaucoup d'amis parmi les émigrés blancs russes éminents et leurs descendants (il a considéré que l'émigration russe était « peut-être la seule qui n'a créé aucuns problèmes en France et aux Français »27).
Vladimir Cyrillovitch Romanov, fils du grand-duc Cyrille a assisté au mariage de J.-M. Le Pen qui a connu le prince Felix Ioussoupov, meurtrier de G.E. Raspoutine. Il était aussi l’ami de Serge Lifar, maître de ballet de l'Opéra de Paris.
L’amitié de J.-M. Le Pen avec ces personnalités a été basée non seulement sur l'amour pour la culture russe, mais aussi sur la haine du communisme28. C’est en ces termes que le premier dirigeant du Front national différenciait le peuple russe et le communisme en tant qu'idéologie d’État (disparue en 1991) : « L'erreur de nombreux politiciens européens est qu'ils continuent à percevoir la Russie comme l'Union Soviétique, en ont peur et essaient de l'affaiblir. La Russie ne menace plus le monde depuis longtemps. Idéologiquement, elle a proclamé l'adhésion aux valeurs démocratiques, mais malheureusement, du point de vue démographique, elle s'éteint. Et pourtant, il y a beaucoup de personnes qui désirent l'humilier, lui infliger des dommages, en particulier ses anciens alliés et amis. Ce n'est plus une lutte contre le communisme, mais une lutte contre le peuple russe »29.
Selon J.-M. Le Pen, le président Poutine dans la transition d'un régime totalitaire à une société démocratique a réussi à éviter les violents conflits idéologiques dans la société russe. Il a été en mesure d'équilibrer l'héritage soviétique et la tradition russe non-communiste pour unir les gens sur la base du respect et de l'acceptation de leur histoire commune. De manière générale, le fondateur du « Front national » a toujours la vision gaullienne et pertinente de l'Europe « de l'Atlantique à l’Oural » et souligne qu’au vu du monde moderne, l'Occident a besoin de se concentrer sur Poutine, « dont l'idéologie est opposée à la décadence européenne »30.
La fille de J.-M. Le Pen, Marine, leader actuel du Front national, poursuit la ligne russophile. À son avis, en soutenant sans équivoque l'Ukraine post-Maïdan contre Moscou, et en introduisant des sanctions antirusses, les pays européens risquent de perdre un allié fort. Ce comportement est un luxe inadmissible, compte tenu de la nécessité d'une lutte commune contre le terrorisme islamique, « à laquelle la Russie s’est déjà confrontée »31.
Marine Le Pen considère la Russie comme un pays européen qui sans aucun doute « prendra sa place » dans la future Europe de « Brest à Vladivostok », dans l’Europe « nationale, libre et souveraine », qui, selon le leader du FN, devrait remplacer l’Union européenne dirigée par « la bureaucratie de Bruxelles »32. La Fédération de Russie est un partenaire important des pays européens sur le plan économique, stratégique et militaire, ainsi que dans la sécurité énergétique du continent. Dans le même temps, Marine Le Pen note que la « nouvelle guerre froide », menée par l'UE contre Moscou, sape non seulement la sécurité européenne, mais « pousse la Russie dans les bras de la Chine ». Selon la politicienne, une telle perspective peut conduire à un « retour au monde bipolaire, alors que notre objectif est un monde multipolaire »33.
DISCUSSION ET CONCLUSIONS
L'image de la Russie et des Russes dans la rhétorique des cinq partis populistes de droite de l'Union européenne que nous avons examinés semble multiforme et ambiguë. Ainsi, si pour la Ligue du Nord ou le Front national la Russie est un objet d'identification positif et un allié inconditionnel, le Parti pour l'indépendance du Royaume-Uni souligne des aspects « antidémocratiques » de la politique russe. En même temps, toutes les forces politiques reconnaissent d'une manière ou d'une autre l'importance de Moscou dans la lutte contre le terrorisme international au Moyen-Orient en soulignant l'expérience positive de la Russie dans la résolution du même problème sur son territoire. Dans le même ordre d'idées, il est reconnu que la pratique réussie de la coexistence pacifique des populations musulmane et chrétienne du pays peut devenir un exemple pour les États européens confrontés à la crise migratoire.
Dans la rhétorique des populistes de droite, les Russes sont dotés des qualités de persévérance et de volonté, notamment en ce qui concerne les menaces extérieures, les instincts étatiques forts, la capacité de réconcilier les divers aspects de leur propre expérience historique complexe. En général, l'État est associé au président Vladimir Poutine qui, selon les eurosceptiques français ou italiens, est non seulement un leader couronné de succès dans son pays, mais aussi un exemple que les dirigeants des États européens devraient suivre.
La Russie reste toutefois controversée concernant la gestion de la crise ukrainienne et le référendum en Crimée. Si les populistes britanniques de droite n’ont pas reconnu le référendum, les Italiens, en revanche, l’ont appelé une « manifestation claire de l'autodétermination du peuple », et les Autrichiens , eux, ont envoyé leurs observateurs. Pour les eurosceptiques allemands, le problème de la Crimée et « la question russe » en général est pour beaucoup devenue décisive dans le développement de l’AfD. Au tournant de 2013-14, ils parlaient de la volonté de l’UE d’étendre son leadership à l’Ukraine et de l’intégrer sans prendre en compte l’opinion russe ni les liens historiques et culturels entre Moscou et Kiev. Puis intervint la scission en 2015.
Pour certains eurosceptiques, notamment français et italiens, la Russie est aussi un centre géopolitique alternatif aux États-Unis, qui en union avec l'Europe « de Lisbonne à Vladivostok », pourrait jouer un rôle encore plus important dans le monde. Les eurosceptiques lient les sanctions antirusses avec la pression des États-Unis, insatisfaits du rôle plus actif de la Russie dans l'arène mondiale, et avec la « bureaucratie bruxelloise » de l'UE qui doit se soumettre à Washington contrairement aux intérêts nationaux des États membres.
Nous ajoutons que parmi les populistes de droite, laissés en dehors de l'étude, il y a des points de vue extrêmement négatifs sur la Russie. On mentionnera à titre d’exemples le principal parti polonais « Droit et justice » ou « Démocrates de Suède ». Ces forces politiques perçoivent la Russie comme un pays hostile qui conduit une politique néo-impériale et expansionniste, à laquelle les pays européens doivent répondre par une cohésion politique et militaire et par la poursuite des sanctions.
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