Le 9 Mai correspond à un double anniversaire. C’est pour la Russie le jour de la victoire à l’issue de la Grande Guerre Patriotique menée contre l’Allemagne nazie et ses alliés.
La Russie, à un jour près, cultive sa différence, mais il ne s’agit plus de l’URSS de Staline, le bloc communiste rival menaçant pour les anciens alliés occidentaux. Désormais, la Fédération de Russie a perdu le contrôle des pays de l’Est de l’Europe, et a reconnu l’indépendance des anciennes républiques socialistes soviétiques dont certaines lui sont devenues hostiles. La brutalité de cette situation, le rôle des Occidentaux, États ou groupes de pression, dans cette évolution ont créé une tension superflue et périlleuse avec des pays comme la Géorgie et surtout l’Ukraine.
La Russie est jalouse de son identité fondée sur l’histoire d’un peuple qui est toujours parvenu à sauvegarder son indépendance, souvent au prix d’énormes sacrifices contre les Tartares, les Teutoniques, les Suédois, les Français et les Allemands. Par ailleurs, cette identité s’appuie sur une culture d’une extraordinaire richesse, où l’occident chrétien l’a emporté sur les influences orientales. Elle est toujours une grande puissance grâce à son potentiel militaire qui a fait ses preuves en Syrie, à son immensité et aux richesses de son sous-sol. Dans un monde où la Chine et les États-Unis sont devenus les deux principaux acteurs, il n’y avait aucune raison pour l’Europe de traiter la Russie en ennemie sinon pour obéir à une stratégie américaine discutable à Washington, et absurde à Bruxelles.
La Russie défend son influence sur des États qui ont été russes durant des siècles, et qui sont habités par de nombreux russophones, souvent russes d’ailleurs. Tenter de les opposer à la Russie en les intégrant à l’Union Européenne ou à l’Otan est une provocation inutile et dangereuse. La Russie actuelle n’est plus une menace pour les démocraties occidentales. Sa stratégie emprunte deux axes : d’une part, protéger les populations russes dans les États indépendants voisins ; d’autre part, intervenir pour soutenir ses alliés.
Le premier objectif explique l’annexion parfaitement justifiée de la Crimée. Le second s’est exprimé dans une intervention en Syrie qui a sauvé le pouvoir baasiste de Damas.
Face aux Frères Musulmans et autres islamistes, ce sont les Russes qui avaient fait le bon choix, et les occidentaux, le mauvais. Le soutien à Maduro au Vénézuela est plus discutable : il replace la Russie dans les pas de l’URSS, sans doute par volonté de rétorsion contre les empiétements occidentaux dans sa sphère d’influence légitime. Néanmoins, on retrouve là la rivalité entre un régime socialiste aberrant soutenu par la Russie et une opposition démocratique et libérale soutenue par les États-Unis et leurs alliés.
Ce retour en arrière est d’autant plus consternant que la Russie d’aujourd’hui n’incarne plus ni le socialisme, ni le progressisme de l’URSS. Au début du défilé de ce jour sur la Place Rouge, le Ministre de la défense s’est signé selon le rite orthodoxe. La Russie se veut chrétienne, conservatrice, et patriotique. Ses ressources naturelles en font le complément de l’Europe non l’adversaire.
Mais, contre tout bon sens, nombre de responsables européens brandissent une idéologie et des valeurs qui conduiraient à faire de l’Europe l’ennemie de la Russie, comme si la domination économique des Américains et des Chinois n’était pas un problème plus préoccupant.
On trouve dans cette attitude le signe persistant de ce que Philippe de Villiers dénonce dans « J’ai tiré sur le fil du mensonge et tout est venu. »
Le 9 Mai, c’est aussi l’anniversaire de la déclaration lue le 9 mai 1950 devant les journalistes par Robert Schuman dans le salon de l’Horloge du Quai d’Orsay et qu’on a élevée au rang d’acte fondateur de la « construction européenne ». Ce texte devait peu à Schuman. C’est Jean Monnet qui l’a inspiré avec une note écrite de sa main, et on sait que « Mister Monnet of Cognac » était vraiment très, très proche des Américains.
Qui plus est, Dean Acheson, le secrétaire d’État américain est venu à Paris le 8 mai pour relire et corriger le projet. Autrement dit, ce que certains commémorent aujourd’hui, c’est un énorme mensonge et une imposture qui ont fait croire aux Européens qu’ils allaient construire une puissance indépendante et démocratique, face au bloc totalitaire de l’Est, capable d’imposer la paix.
Or l’Europe n’est pas indépendante. Elle continue à être pilotée par les États-Unis notamment en raison du prétendu danger que constituerait la Russie. Il n’est pas interdit de penser que la priorité donnée par Trump à l’intérêt immédiat des États-Unis ne libère d’une certaine manière les Européens de cette dépendance.
Par ailleurs, l’Europe est de moins en moins démocratique, puisque l’abandon progressif des souverainetés nationales au profit de la technocratie bruxelloise liée aux oligarchies des pays membres, est évidemment un recul du pouvoir des peuples, accusés de « populisme » dès qu’ils renâclent. C’est Delors qui vendit la mèche en 1999 : « Cette construction à l’allure technocratique, progressant sous l’égide d’un despotisme éclairé… » L’Europe est un engrenage auquel il est difficile d’échapper qui entraîne les peuples vers un destin qu’ils n’ont pas choisi. Est-ce qu’il s’agit de faire leur bonheur malgré eux ? Rien n’est aujourd’hui moins sûr !
Les Russes ont raison de fêter le 9 Mai. Pour les autres européens, la question se pose !
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