Le long entretien accordé par le Président syrien Bachar Al-Assad à Paris-Match produit un redoutable effet de miroir. Il n’apprend rien de vraiment nouveau sur la Syrie dès lors qu’on s’est intéressé sérieusement au sujet depuis le début de la crise. Une armée étrangère, appelée à l’aide, ne peut à elle seule, surtout lorsqu’elle est essentiellement aérienne, assurer la victoire d’un gouvernement rejeté par une large majorité de sa population, et confronté à un soulèvement armé. Depuis 2011, le « régime » baasiste a toujours bénéficié du soutien d’une large partie du peuple syrien. L’image tronquée donnée par les médias français de la bataille d’Alep était révélatrice.
Dans cette grande ville syrienne proche de la Turquie, alors qu’on se battait dans la moitié la plus ancienne de la cité que des bandes armées avaient occupée, dans l’autre, la plus moderne et la plus peuplée, le gouvernement légal et son armée sont toujours restés maîtres de la situation, même lorsque leur encerclement était complet. Lorsque la partie orientale a été libérée, ce fut une vague de liesse à l’ouest.
Aussi, c’est beaucoup plus notre regard sur la Syrie qui est remis en question. Bachar Al-Assad invite les Français à se tourner vers la politique menée par leurs gouvernements successifs à l’égard de la Syrie, et à prendre conscience des fautes commises par ces derniers. Il y a un point capital : celui du droit international. La Syrie est un État souverain dont les limites territoriales sont reconnues. Or, aujourd’hui encore, des troupes étrangères, que le gouvernement légal n’a nullement invitées, occupent une partie du territoire. C’est le cas de l’armée turque qui s’est avancée au nord sur plusieurs bandes frontalières, mais aussi de troupes américaines, britanniques et françaises qui soutiennent une milice majoritairement kurde au-delà de l’Euphrate, où les Kurdes sont minoritaires mais où sont la plupart des puits de pétrole. Elles empêchent l’armée syrienne d’en reprendre le contrôle. De même, une base américaine près de la frontière jordanienne dessine une zone d’exclusion pour les troupes syriennes, sous peine de bombardement. Cette situation est totalement illégale.
Armée turque dans Afrine
Elle se complète par l’existence d’une poche autour d’Idlib, au nord-ouest, abandonnée à l’opposition, elle-même divisée entre le dernier avatar local d’Al-Qaïda et des rebelles proches des Frères Musulmans et soutenus par la Turquie. Là encore, les Occidentaux n’ont pas les mains blanches : ils ont armé et soutenu ces rebelles, et le font peut-être encore, ne serait-ce qu’en menaçant les troupes syriennes de représailles en raison d’une prétendue utilisation d’armes chimiques par celles-ci.
Ce mépris sélectif du droit international par les démocraties occidentales depuis l’effondrement du bloc soviétique a produit des résultats calamiteux. L’écrasement de la Serbie a soit fait naître de faux États artificiels, comme la Bosnie ou le Kosovo, soit renforcé des États mafieux, comme l’Albanie. L’invasion de l’Irak a plongé ce pays dans une guerre civile qui a duré pendant 15 ans. La destruction du régime du colonel Khadafi a fait éclater la Libye et est directement la cause de l’irruption des djihadistes sur l’ensemble du Sahel. Les 13 militaires français morts il y a trois jours sont les victimes indirectes de cette intervention malencontreuse. Lorsque notre président appelle les alliés à l’aide, il doit songer que certains jugent que c’est à la France d’assumer ses erreurs. Les Kouchner, les BHL qui ont inspiré nos dirigeants et justifié ces actions devraient se faire modestes. L’ingérence dite humanitaire est une remise en cause du droit international. Elle a été justifiée par la menace de massacres, voire de génocide que des gouvernements faisaient peser sur leurs peuples révoltés ou réclamant leur indépendance.
La plupart du temps, ces risques ont été grossis, mais surtout, ils ont toujours été estimés de manière unilatérale au profit des mêmes : les musulmans de Bosnie ou du Kosovo, les islamistes soutenus par les Frères Musulmans, et donc le Qatar, parfois même Al-Qaïda, en Syrie ou en Libye. Les mauvais esprits auront tôt fait d’y voir le souci de nos gouvernants d’entretenir de bons rapports avec ce petit pays si riche et si généreux du Golfe.
Les choses ne sont sans doute pas si simples. Les pays musulmans sont loin d’être unis. Entre l’Iran chiite et la Turquie sunnite, le Qatar, l’Arabie saoudite et les Émirats, les intérêts sont souvent divergents. Le Yémen ou la Libye en font la démonstration.
Et il est fort probable que notre grand pays, notre chère patrie des droits de l’homme, navigue à vue dans cette mer agitée pour y satisfaire des intérêts et signer des contrats. Aussi, son gouvernement a-t-il substitué au droit d’ingérence la lutte contre une abstraction, le terrorisme, en limitant curieusement celui-ci à « Daech » pour éviter le mot « islamique ». Al-Qaïda ne serait plus terroriste ? Ferait-elle un boulot tellement bon qu’il faille la protéger dans son repaire d’Idlib ? Qu’on cesse cette mascarade qui consiste à couvrir nos turpitudes d’un voile de morale et d’humanisme ! Les sanctions contre la Syrie qui entravent la reconstruction d’un pays que nous avons contribué à détruire est une honte !
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